Assis sur une chaise en plastique rouge, Ismail Drammeh fait défiler les photos de son profil Instagram sur son téléphone. On aperçoit le jeune Gambien poser, tantôt vêtu d’un manteau d’hiver, tantôt torse nu, pour un magasin en ligne de prêt-à-porter sicilien. Depuis son passage sur la chaîne de télévision Rai 2, mi-février, cet apprenti mannequin est au centre de l’attention en Italie. Son histoire en forme de conte de fée a ému l’opinion.
Arrivé sur l’île italienne par la mer, Ismail Drammeh, 19 ans, pose pour des marques de prêt-à-porter parallèlement à une formation en hôtellerie.
En dépit de cette soudaine notoriété, Ismail garde les pieds sur terre. « J’ai eu plusieurs propositions de marques prestigieuses, mais si ça ne marche pas je veux étudier ou devenir cuisinier », explique-t-il depuis le centre d’accueil pour migrants de Termini Imerese, une ville de 30 000 habitants à une demi-heure de Palerme.
Avec ses 1,90 m et 80 kilos, Ismail, 19 ans, ne passe pas inaperçu. « Plusieurs amis me disaient en rigolant que je devrais faire du mannequinat. Je ne savais pas même pas ce que c’était », se rappelle-t-il. Une de ses amies du centre insiste et lui montre des vidéos. Très vite, Ismail est enthousiaste. Il s’entraîne alors à marcher pour les défilés dans les couloirs du centre d’accueil.
Trois séjours en prison
Le jeune homme se souvient particulièrement du 13 juillet 2017. Dans le village de Cerda, au milieu de la Sicile, un petit défilé est organisé lors d’une fête paysanne. Poussé par ses amis, Ismail y participe sans trop réfléchir. « J’ai regardé des vidéos toute la journée qui précédait. J’avais le visage un peu figé parce que je ne savais pas trop comment faire », rigole-t-il. Un photographe de mode palermitain le repère alors. Très vite, les shootings s’enchaînent et, après un défilé en plein centre de Palerme, Ismail devient l’une des égéries de la marque David Haward.
Dans un italien où pointe déjà un léger accent sicilien, le garçon évoque simplement sa nouvelle passion. « J’adore défiler. Quand je suis sur scène, j’oublie tout. Il n’y a plus de racisme, la couleur de peau n’a plus d’importance. » Dans un rire, il explique que lorsqu’il a envoyé ses photos à sa sœur, celle-ci a aussitôt voulu l’imiter. « J’ai dû lui expliquer que la mode était un milieu compliqué et qu’elle n’aurait pas survécu au voyage que j’ai dû faire », raconte-t-il.
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En contact régulier avec sa famille restée en Gambie, Ismail n’oublie pas la dureté du voyage qui l’a mené en Sicile. Parti à 15 ans de son village natal de Mabally Koto, il a traversé le Sénégal, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et enfin la Lybie, d’où il a pu prendre une barque de fortune avant d’être récupéré par les gardes-côtes italiens. Durant ce voyage de près d’un an, Ismail a travaillé comme homme à tout faire dans des restaurants à Bamako, Niamey ou Tripoli, parcouru près de 7 000 km à pied ou en bus et été jeté trois fois en prison, au Niger puis en Libye. De ce périple, il garde une cicatrice sur la cuisse : à Tripoli, c’est un enfant de 11 ans en uniforme militaire qui l’a agressé.
Un modèle d’intégration
Postés derrière lui, les trois éducateurs du centre d’accueil de Termini Imerese écoutent avec attention. L’un d’entre eux, Emanuele Zammito, explique qu’Ismail a eu de la chance : « Comme il est très appliqué à l’école, nous avons réussi à obtenir une prolongation de son séjour au centre jusqu’à 21 ans, le temps qu’il finisse son apprentissage d’hôtellerie. Mais c’est une exception. » Chaque année, près de 18 000 mineurs non accompagnés arrivent en Sicile. Si près de la moitié d’entre eux sont réinstallés un peu partout en Italie, ceux qui restent sur l’île doivent très vite apprendre à se débrouiller seuls.
Modèle d’intégration aux dires de ses éducateurs, Ismail n’hésite pas à se rendre utile à la communauté en participant aux cérémonies religieuses et à la garde d’enfants. Parallèlement à ses études, il travaille le soir dans la pizzeria du coin. Très fiers de leur poulain, ses trois anges gardiens font tout pour lui éviter de succomber aux tentations d’une gloire éphémère. « Il ne rêve que de devenir mannequin. Mais nous lui avons expliqué que c’était un monde très compétitif et qu’il ne fallait pas se faire de faux espoirs », racontent Maria Grazia Cannavo et Lucia Piraino, les deux dirigeantes du centre. Les trois adultes couvent aussi leur protégé sur les réseaux sociaux. « A chaque fois qu’il poste une photo de lui ou qu’il participe à un défilé, nous contrôlons les commentaires », racontent-ils.
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Chaque jour, Ismail prend le bus pour se rendre à l’école d’hôtellerie de Caccamo. Il partage le reste de son temps entre le fitness et l’équipe de football du village. Alors que le jeune homme pose pour quelques clichés, les employées du salon de coiffure d’en face se mettent à faire des grands signes. Un peu gêné, Ismail répond timidement de la main. Il ne semble pourtant pas douter de son avenir. Se tournant vers les éducateurs, il leur promet : « Quand je serai parti à Milan, je ne vous oublierai pas. »
Avec Le Monde