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Discours Sur L’Orgasme (Par Elgas)

Publié le

J’ai vécu mon premier orgasme féminin vers 17 ans, au premier coup. L’exploit en a affolé plus d’un. J’étais le protagoniste chanceux d’un corps à corps clandestin avec une jeune misérable. Acte qui se conclut par cette volupté animale d’une saveur singulière.  Le décor  était sec, un arbre, un manguier jeune à l’écorce duveteuse – magie de l’instant. Le temps était quelconque, un noir de nuit, sombre comme du tissu de deuil, chaude et moite. Une ville morte et argileuse, Ziguinchor. Une heure, 23 heures. Le créneau des crimes ordinaires et des dernières minutes autorisées de joie pour les adolescents. La rencontre était, elle, voulue, préparée, frénétiquement attendue. Après des jours de guet,  cette vacancière à la vingtaine entamée, de trois ans mon aînée, effroyablement laide de visage, proportionnellement sublime de corps, avait consenti à franchir un palier dans notre clandestine romance. Nous atteignîmes le sublime, elle plus que moi, le Seigneur m’est témoin.

 

Elle avait l’œil large et gros, de l’éclat dans le blanc, de la pénétrance dans le noir. Une impression ineffable donnait à penser à une beauté de l’œil ingrate, ternie par une once de brutalité dans le regard. Doux par endroit bestial par endroit. Son cheveu était de faible volume, roussâtre et cassant, révélant un crâne ingrat où des touffes disparates essaimaient. Cette disharmonie horrible était corrigée par un foulard qu’elle ne quittait jamais qui moulait la tête et en rehaussait l’aspect. Du visage, peu de lignes fines et gracieuses, tout était gros, les narines épatées et respirantes, les dents blanches et épaisses s’enchevêtrant dans une bouche qui semblait pouvoir en caser plus de 32. Ça lui faisait un grand sourire niais mais franc, inapte à tricher, s’esclaffant grassement à la moindre opportunité. Cliente facile et docile, elle inspirait une forme bâtarde de crainte, d’envie et de dégoût. On nous l’avait envoyée en vacances : elle venait d’un village de basse Casamance, connaissait de la ville les vagues standards, les rudiments de la séduction citadine. Elle  était coquette par mimétisme, consciente du visage particulièrement étrange et intimidant qu’elle possédait. Ses lèvres étaient des couches superposées qui rendaient l’habituel baiser suave en torture à gober autant de masse de chair. Mais le forfait du Seigneur s’arrêta là : le reste est un éclair de génie ; du cou à l’orteil, la splendeur était d’ordre surnaturel. Elle avait le corps tyranniquement beau, sculpté dans l’ébène rare d’Afrique, ondulant dans la courbe du bassin, ferme et affûtée, masculine dans la densité satinée de la chair et féminine  dans les seins obusiers, fruits autorisés du festin rare de notre enfer terrestre. En un mot, c’est l’image que j’ai déjà idéalisée à travers des confessions à des amis de la « bête sexuelle ». Un corps d’homme inabouti, de femme achevée, peu de grâces, énormément de force physique, un esprit paresseux, voire rapiécé et un aspect de proximité qui fleure bon la bêtise.

Et prenez un prince frêle, capricieux et joueur, ô moi, découvrant les joies envahissantes du corps et des membres, dégoûté des masturbations miteuses et jetez-le dans la bête. La négociation fut brève avec machin(e). Elle ne plaisait pas aux autres, mais à moi ; j’assumais. Il ne fallait pas lui réciter le Coran pour la culbuter, ça me convenait. Elle connaissait déjà la chose, obligation au village, tant mieux, je ferai l’élève. Elle aimait les bruits de couloir qui m’attribuaient un peu d’intérêt dans le quartier, tant mieux. Marcher à mes côtés lors d’une soirée, elle vivait ainsi sa revanche sociale de villageoise, tant mieux. Allons à la saillie.

Quelques secondes d’approximations pour dompter le noir et l’inéquité des membres des protagonistes plus tard, j’étais dedans. Elle était un gouffre, j’étais une aiguille. Elle engloutissait, je piquais. Elle broyait, je repiquais le nerf…de guerre  La bataille toucha au magique dès les premières secondes. Dans mes temps de références, le tableau était encore vierge. Mes premières secondes dans l’immensité féminine furent quelconques. Mais vu que j’avais du sursis par un octroi divin, je continuais. Brusquement, sans fait particulier,  elle gémît, s’arracha, poussant cris étranges, revenant des secondes après pour me soutirer de la crème. Je ne fus pas avare. Désormais quittes, elle m’avoua sur le chemin du retour, avoir réagi ainsi involontairement sous le coup de convulsions subites, de spasmes, inconnus, brutaux et délicieux. Le profane que j’étais, peu au fait de la science de la chose, fus stupéfait et inquiet : était-ce anormal ? Etait-ce de l’ordre du crime ? Le mystère du corps avait-il des limites que j’avais franchies ? Est-ce la raison pour laquelle les enseignements religieux réservent-ils l’acte aux adultes? Je fus transvasé de pensées noires, de doutes sur l’étrangeté des minutes antérieures. Tout deux abasourdis par l’épisode s’en remîmes aux enseignements de l’avenir. « Le plaisir est commun, celui-là était incontrôlable, » fit-elle. Nous restâmes ainsi en proies à des transports d’émotions singulières qui semblaient toutes nous accabler. Elle était primaire et sotte, n’avait jamais connu ce versant tyrannique de la joie, ne savait être mère pour rassurer. Elle partagea donc ce moment d’interrogation obscure où le sentiment d’avoir enjambé l’interdit règne d’une sinistre envergure. Elle me plongea par son incrédule immobilisme dans la peur adolescente d’avoir troublé la quiétude des Dieux. J’avais peur. Des semaines entières. Il fallait néanmoins revivre, ranger la transe inconnue aux oubliettes, renouer avec la fadeur du quotidien, désormais hanté par le questionnement. Les mois se suivirent identiques, castrateurs. Les vacances étaient achevées, elle repartait, l’acte resta  énigmatique et non élucidé.

Bien des années plus tard.

Découvrir ce que certains d’entre-nous appellent orgasme, à 17 ans, se décapsuler la virginité du regard par la plus noble des joies, incomprise et mésestimée qui plus est, avec ce que ça comporte de sauvage, d’authentique, c’est le privilège que j’eus. Celui qui me place au sommet de la hiérarchie de ceux qui ont le droit de parler d’une chose qui n’est fulgurante que quand elle n’existe pas.

Des années ont passé depuis, l’orgasme d’un état de nature, d’une sauvagerie de l’instant et du vécu, est devenu un diktat. C’est la structure du commerce sentimental actuel. L’Homme s’aide d’éléments mécaniques pour l’attendre sous peine de réputation piètre. Les couples se défont à quelques secondes de l’orgasme. Des femmes baignent dans l’acide jusqu’au reniement des Hommes par défaut d’orgasme. Des mâles supplicient leur égo jusqu’aux mutilations génitales pour satisfaire à la nouvelle convention orgasmique. Le mot fait légion, il obsède jusqu’au l’endémie du plaisir traqué. L’arithmétique s’en empare, on en évalue le temps, les coups de reins, les positions favorables, les repas aidants. Une littérature surabondante vient établir des catalogues de conseils pour domestiquer le « graal ». Les puristes de l’orgasme, nous autres, malchanceux qui ont méconnu la puissance de la chose, sommes bouffés par la dictature de l’époque.

Un consensus scientifique décrit l’instant. Le spasme qu’ils disent. La convulsion. Les gémissements. Les respirations saccadées. Les bruits, les soupirs. L’étreinte folle. L’animal fissure l’Homme pour  pousser le cri sauvage. Les hormones de concert avec les glandes rendent le plaisir puissant, un plaisir souhaitable régulièrement pour diverses vertus que vous trouverez dans quelques ouvrages dédiés à la chose. Voilà la version officielle. L’orgasme est féminin, c’est une sentence. L’éjaculation, la petite tragédie mâle, est une piètre copie, elle est banale, monotone, elle saoule à force. Pour asseoir la légende de l’orgasme : une pression alourdit l’honneur masculin : il faut l’atteindre, le cueillir, l’offrir à sa partenaire. C’est un devoir sous peine de quarantaine ou de ban. Et pour maintenir les illusions, les femelles jouent le jeu qu’est devenue la chose : elles sur-jouent, actrices plus que sujettes, épousant le ridicule de se manger leurs cheveux pour manquer leur pied. Une mythologie sociale très respectée, observée dans toutes les cultures.

Mais moi je veux nier la chose et d’ailleurs je nie l’orgasme ici et maintenant. Je presse les gens d’en rire. Quand une partenaire hurle, je mets soin avec promptitude d’appeler le SAMU. Je coupe court la fulgurance naissante. L’orgasme est ridicule quand on est son spectateur, les cons de mâles s’en glorifient jusqu’au goitre. L’orgasme c’est une perfidie de l’époque qu’il faut démanteler par la raillerie. Je joue de lui, je le diffère et le moque. Quand je le sens monter dans la femelle qui me sert de support à pompe, j’arrête, m’enquiers de son état et cours chercher de l’eau pour asperger avec une attention maternelle le hoquet diffus dans tout le corps. J’interromps le moment en demandant à l’autre si « ca va » ? « On continue » « T’es sûre maman » ? Cassant ainsi la dynamique des fantasmeuses soumises à la chose. Je leur dis souvent que le maquillage se défait, une rougeur indélicate tapisse la figure, elles sentent la poule douchée, pissent de la sueur, ont la chevelure spartiate. Avec celles qui simulent, je contre-simule. Le résultat est prodigieux, j’ai en effet réussi à domestiquer un talent : j’imite formidablement une femme qui simule. La contre-simulation que je déploie est d’une efficacité redoutable. J’empile les exploits d’ailleurs en expliquant à l’autre qu’elle me procure du surplus de plaisir et que je lui en étais redevable. J’ai d’ailleurs pissé sur une d’elles une urine lui glissant que son corps motiva un tel déchainement séminal. Elle y crut.

Ayant nié l’orgasme et ri de sa gueule, j’invite mes pairs à lancer l’offensive pour une tragicomédie de l’orgasme. Suscitez l’envie, fouettez le désir, laissez-le s’épaissir, grossir, et gâchez-le au sommet. Que l’instant crève au sommet de son règne. Je me sais minoritaire. Je me sais vain. Les suiveurs de l’époque assujettis à leur sexe ne trouveront pas d’enjeux à souscrire à mon appel, peu importe. Chaque homme sur terre a son combat, sa raison de vivre. Beaucoup veulent sauver les mômes au Darfour, réduire la faim, contribuer au progrès humain en somme. Je ne mange pas de ce pain là, moi, je veux saboter l’orgasme des Hommes. Tant que l’humanité dans son entièreté, ne me rendra pas mon âge adolescent, celui où je côtoyais Dieu et sa merveille sans savoir que c’étaient eux, je nierai la mythologie de plus admise de notre temps.

N.D, je vous salue Marie.

Elgas ©Tract Quotidien 2018 – www.tract.sn

(première publication le 21 janvier 2012)

 

 

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