Le titre de cette contribution peut laisser supposer une visée pamphlétaire induite par une formulation galvaudée. Ce n’est pas le cas. Le sujet s’accommode peu, dans l’intégrité de son idéal, de goguenardise filée, à moins d’avoir le talent d’un Régis Debray (la référence vaut révérence), dans l’épilogue de sa République (française) expliquée à sa fille. Il y confesse presque le regret de n’avoir pas axé son petit texte sur les nombreux défis de l’exigence républicaine. Le contenu de cet article, non plus, ne sera ni exhaustif, ni très original, ni même toujours cohérent, tant il y aura des silences sur des topoï essentiels. Sa justification serait à chercher dans les vertus pédagogiques prêtées à la répétition et dans la non-réalisation effective, partout, de la République. Sa vocation est, donc, de réinvestir une problématique aussi précieuse que précaire, de rappeler, sans démagogie, certaines de ses vertus et de les mettre en perspective avec notre modèle national.
Aux souches d’un idéal
Avant de convoquer des repères plus anciens, rappelons-nous de cette frugale et très jolie définition, que tout élève sénégalais a dû réciter en classe d’instruction civique : La République c’est le Gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le Peuple. Cette formule, si elle était traduite, expliquée et appliquée, devrait imprégner tout le corps social et ne pas seulement garantir des bonnes notes dans une matière, hélas, négligée. Avant d’y revenir, risquons quelques courts jalons préférentiels.
Le terme République était employé, dans l’Antiquité, pour toute organisation humaine régie par des lois. Les Grecs Platon, Aristote et, un peu plus tard, le Romain Cicéron ont été des auteurs de traités sur la République. Ces écrits politiques concernaient différentes formes de gouvernement. Aux Grecs, est communément associée la Démocratie, étymologiquement, « pouvoir du peuple » tandis que la locution latine « Res publica », à la source du mot République, signifie « chose publique ».
A la Renaissance, Machiavel construisait son Prince autour de la distinction entre République et Monarchie (définition simple et précise de la République) et y édictait des stratégies géniales basées sur la corruption, la manipulation et la violence politique aux fins de conquérir le pouvoir et de s’y maintenir. Ce deuxième aspect a transcendé son époque pour assurer la réputation et le succès de son œuvre qui, manifestement, inspire, encore aujourd’hui, beaucoup d’hommes politiques.
Au même moment, pour le plaisir de le mentionner, Erasme « donnait corps » à une République des Lettres, communauté d’idée ou d’esprit dont on peut trouver de nombreux avatars dans les Histoires littéraires.
Puis, une œuvre monumentale dans tous les sens du terme (nombre de pages, profondeur) : le Léviathan 1651 de Thomas Hobbes. Le Léviathan représente la République ou l’Etat. Hobbes part d’un postulat antique : l’homme est un loup pour l’homme, dans l’état de nature. Comme dans une jungle, les plus forts et les plus intelligents anéantissent les plus fragiles. On s’organise pour survivre. Dès lors, il faudrait des règles où chacun accepte de renoncer à son pouvoir individuel de nuire à l’autre, contre la garantie d’avoir de la sécurité. La proposition de Hobbes consiste à surseoir à son agressivité supposée naturelle, à la condition d’être protégé en cas d’agression, et ne pas recourir à la légitime défense. (Équivalence traditionnelle du mbam soula wekhé, nga fayou, yena yem ?). Pour cela, il faut constituer des corps qui seront investis du pouvoir de nuire au nom de loi, des dépositaires de la puissance public (Etat, hommes de tenue, police, armée, magistrats…), des gens à qui on confère le monopole de la violence légitime, selon les termes, plus tard, de Max Weber. Mais là encore, des failles évidentes ont ponctuées l’Histoire. On peut toujours s’estimer lésé ou se sentir peu considéré et peu protégé, et vouloir, par conséquent, recouvrir son droit de se défendre. Sans évoquer l’exploitation totalitaire qui a pu être faite de la pensée de Hobbes…
Montesquieu, en 1748, dans De l’esprit des lois, accentue le contexte (géographie, notamment) dans la définition des lois et théorise la séparation des pouvoirs pour éviter que le vainqueur, le chef désigné (le Président de la République) devienne omnipotent. « Seul le pouvoir peut arrêter le pouvoir » écrira Régis Debray distinguant, pour sa fille l’exécutif, le législatif et le judiciaire. La proposition subtile et plutôt équilibrée de Montesquieu ne trouvera pas ici l’analyse détaillée qu’elle mérite mais le constat de son application dans la majorité des Républiques d’aujourd’hui est assez éloquent.
Une autre grande célébrité du 18ème siècle postulera que « tout gouvernement légitime est républicain ». Tout en s’inspirant de Hobbes, Rousseau, dans Du contrat social ou Principes du droit politique 1762, pose, à l’inverse, l’hypothèse de la bonté naturelle de l’Homme. Il imagine un contexte originel de bienveillance et d’abondance naturelles généralisées où tout est à portée de main pour satisfaire les besoins vitaux. Mais, devant les raréfactions et les pénuries consécutives aux guerres, au climat et aux catastrophes naturelles, l’Homme a dû, pour sa survie, adopter de nouveaux modes de vie (sédentarisation, domestication, agriculture, élevage, clôtures…). Cette « naissance de la propriété » sera incarnée, dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes 1755, par celui que Rousseau dénonce comme « le vrai fondateur de la société civile, le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire. ». En considérant que sans contrat, il ne saurait y avoir de loi, de droit, de bien, de mal, de juste ou d’injuste, qu’en l’absence de loi ou de normes préétablies, point de contrevenant, la réponse du contrat social est, ainsi, apportée à la question centrale de la politique, celle de la République : comment gérer la cité, concevoir et administrer ce qui est à tous ? La proposition, encore très réduite, qui va suivre fera abstraction des détails sur les différents régimes possibles (régime renvoyant aux institutions, procédures, et pratiques qui caractérisent un mode d’organisation et d’exercice du pouvoir).
Exemple d’application
La solution de la volonté générale consistant à construire une chose publique par le suffrage universel est, aujourd’hui, la plus appliquée. Mais, chacun peut avoir une perception singulière de l’intérêt général. Le vote, devant le refléter, obéit, souvent, à des intérêts subjectifs ou à des manifestations d’affinités diverses. Dans l’isoloir, on exprime son autodétermination et on obtient, avec une addition d’infinies motivations, une majorité numérique supposée traduire la volonté générale. Dès lors que cette majorité, même relative, est identifiable à la totalité, que devient la minorité, étant entendu que la souveraineté est sensée être celle du peuple ? Sans compter le déclin des adhésions à des partis politiques devenus pléthoriques et opaques et les records d’abstention qui ponctuent les scrutins.
Le premier devoir d’un président républicain serait de réconcilier toute la nation au lendemain de son élection. En principe, tous les chefs d’Etat s’y attèlent mais la tâche est vite compromise par la recomposition des oppositions partisanes. A peine le serment prononcé d’assumer les « graves devoirs de sa charge » pour songer à Senghor, un président doit gérer un nombre considérable d’antagonismes qui sont rarement des affrontements réels d’opinions. Il s’agit bien souvent de démarches clientélaires, lobbyistes, communautaires dont l’unique horizon est le partage du pouvoir. Et, si elles se révèlent inopérantes, elles passent par le chantage, le sabotage et le dénigrement avant une spectaculaire allégeance au régime (cas fréquents sous nos tropiques). Bien entendu, ce tableau ne saurait, heureusement, s’appliquer à tous, mais il explique assez justement, à mon avis, l’impression de campagne électorale permanente que peuvent avoir beaucoup de citoyens.
Citoyen, un autre mot clé qu’on ne définira que négativement en vous lisant cet extrait de la République expliquée… de Debray : « Le mauvais citoyen n’est pas l’autre, il est en nous. C’est le petit malin qui cherche partout le piston, la resquille, la combine, la tangente, la petite faveur. Pour lui-même, ou pour ses enfants, ou pour ses copains. Ce sont les sujets qui sollicitaient les faveurs du roi ou de ses ministres ; le citoyen accepte la règle commune. ». Le choix de cette citation appelle à une vigilance constante quant à la signification du mot citoyen. Car, au Sénégal, on clame trop rapidement, sa bonne citoyenneté par une déclaration d’un apolitisme qui voudrait se démarquer, par le mépris, de l’engagement politique, sans jamais faire mieux que les présumés dégénérés parce que militants. C’est souvent le fait de gens trop prudents pour supporter les agressions et les pénibles compromis du monde politique et de quelques fiertés curriculaires qui « prennent leurs diplômes pour des titres de noblesse et qui s’endorment dessus » (encore du Debray), ignorant que leur prétention à servir l’Etat, par le mérite et dans la légitimité, nécessite un renforcement régulier de leurs capacités. Là encore, on va très haut dans l’élitisme républicain en oubliant ceux qui visent les sommets de l’administration publique sans avoir jamais validé un titre universitaire sérieux. Assez de dissipation, revenons à la République du Sénégal.
Latyr DIOUF
Vice-Coordonnateur de la Convergence des Cadres Républicains