PAR ELGAS – “Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.” Cioran
Il y a toujours un risque à (trop) prêcher la probité, d’en être un jour le mauvais élève. Bien souvent quand cela arrive, peu importe le passé vertueux, les mémoires ne retiennent plus que la glissade qui disqualifie tout l’ouvrage. La contrition rachète moins l’erreur qu’elle-même ne pardonne le passé.
Il faut dire qu’avec ses airs de moine pas très réveillé, son débit lent et professoral, Ousmane Sonko, ne trahit pas, ni dans sa mise, ni dans son allure, ni dans son être, encore moins dans son dire, un potentiel de kaccor, sans lequel – presque – l’homme politique sénégalais ne survivrait pas. Alors qu’il commence son ascension, exploitant la matière première de son crédit, à savoir l’intégrité morale, Sonko est un fils de l’époque. Un bébé du puritanisme ambiant, une figure exemplaire de la méritocratie, un énarque sobre, un bambin d’inspiration néo-protestante, jeune premier, qui semble donner des gages dans un pays où la règle est reléguée au rang d’hypothétique cadre.
Mais en politique, comme en affaire, ou en sexe, il faut offrir du rêve, à pas cher. Exciter la ménagère à défaut de remplir son panier, charmer le client à défaut de le convaincre, vendre de l’espoir au pauvre à défaut de l’exaucer, chanter la gloire des héros passés à défaut d’en être. Il manque cela à la panoplie Sonko : ce mélange d’aura libidineuse, de capacité à lâcher prise, à aimanter les foules par le vice du verbe, ou l’ivresse du charisme. Son messianisme manque de souplesse, d’attrait, d’atours. On peut convaincre avec la vertu, on ne séduit jamais avec. C’est presque une leçon des échecs des Livres. La coercition, même avec le bon sentiment, négatrice de liberté et d’évasion, promet l’échec.
Quand le vent Sonko se lève, avec ses rafales dans l’administration fiscale, c’est une tempête médiatique et politique qui se lève. Elle vire vite en tornade qui découvre le champ de ruine de la politique nationale et rebat les cartes. Becquetée par le pouvoir, l’opposition survit entre les dents de l’ogre. Le chaos profite à ce natif de la cité rebelle du Rail, qui incarne le rêve d’un assainissement national. Dans ce pays orphelin d’investigation et de flair journalistique depuis que Latif Coulibaly en a posé les cendres dans la majorité Yakaar, on avait perdu le goût des révélations, et la saveur du héros sauveur. Et voici qu’au cœur de la maison qui materne notre argent, les Impôts, apparaît le chevalier.
Dans le dernier quart de siècle, la politique n’avait pas produit pareille figure. On peut s’en réjouir. L’homme a des failles négligeables. Son érudition est de plusieurs ordres. Un parcours excellent, sanctionné formidablement. Et voici la garantie – à priori – d’une maîtrise. Il a troqué la barbe pour le bouc. Le cheveu à mi-hauteur, par le crâne rasé. Il fut (demeure peut-être) un ibadou. Ersatz d’homme de dieu qui ne refuse pas la promiscuité avec ses semblables. Moine pèlerin en mission. Et voici le prédicateur. Il aime les livres, révélations sur les marchés du pétrole, Vision, à venir confie-t-il au micro du Grand Jury. Et voici l’homme du texte, presque sacré.
De tout ceci, l’observateur reste confus. Voici un bon cheval, qui semble taillé pour le marathon et la course. Mais la monture reste sommaire. Il rassure mais n’enivre pas. Alors que la conjoncture politique mondiale se tend, que la raréfaction de la souveraineté économique des Etats s’aggrave, le chantier du fait social et culturel paraît le plus urgent. Le moine-soldat, paraît peu disert, l’optique nationale des affaires semble son seul horizon pour l’heure. Alors que les destins nationaux se bâtissent pour partie sur la scène des enjeux du monde.
C’est un homme du Livre, mais à rayon national. Le livre reste collé à la dimension utilitaire. Peu de poésie, d’art, de douceur, de passion, d’excès, de finesse, de rire. Soupapes de décompression sans lesquelles le talent reste bien souvent vain et vaniteux. Le bassin raide et rigide ; cette frigide allure, de l’homme qui incarne tant l’espoir d’un renouveau, doit trouver assistant vicelard. La seule aide précieuse et urgente pour Sonko, c’est lui insuffler une bonne dose de vice.
©Elgas – Tract Quotidien 2018 – www.tract.sn