AFROSPHERE – Blogueuse française, d’origine nigériane par sa mère, et sénégalo-malienne par son père, Fatou Ndiaye, 40 ans, tient depuis 2007 l’un des blogs dédié à la beauté noire les plus influents en France : Black Beauty Bag.
Forte de plus de 10 ans d’expérience dans le domaine, Fatou est sans conteste l’une des personnes les plus à même de partager son expertise et ses conseils à la nouvelle génération de blogueurs. Elle a réussi à creuser son sillon dans le secteur de la beauté noire, lequel était avant son arrivée – si ce n’est déserté – très peu visible. La blogueuse nous livre ses clés et ses conseils pour réussir dans le domaine, sans langue de bois ni concession !
Il y a 10 ans, comment était l’environnement de la beauté noire sur Internet ?
Je fréquentais à l’époque un forum qui s’appelait Beauté d’Afrik : le premier dédié à la communauté féminine noire française sur lequel on échangeait nos astuces beauté, parlait littérature, cinéma. Nous étions la première génération de filles connectées sur le net, avant l’arrivée des blogs.
J’ai fini par devenir modératrice du forum, un an ou deux ans après la création en 2003, et à animer un topic beauté. C’est en 2006-2007 qu’il y a eu l’avènement des blogs via Skyblog. J’ai créé mon blog beauté, à l’époque My Makeup Bag, qui faisait partie des premiers blogs dédiés à la valorisation de la beauté noire. Il a donc a rapidement fait partie des top blogs à suivre.
A l’époque où je me suis lancée, le blogging était vraiment perçu comme quelque chose de futile. Se prendre en photo, se mettre en avant sur les réseaux sociaux, c’était mal vu. Quand j’ai commencé à parler de beauté noire en pointant du doigt certains sujets, on m’a très vite rangée dans la case militante et « black power ». Et c’était les gens de la communauté qui étaient les premiers à ne pas comprendre. On trouvait mon blog communautaire.
Pourtant, j’ai toujours su qu’il était important d’utiliser sa voix pour partager des messages ou dénoncer des choses. On a un outil fabuleux, Internet, pour le faire. En tant que femme noire née en France, je me souviens en 2007, de la difficulté à trouver un fond de teint ou un produit qui correspondait à ma peau dans les magasins. Dans les magazines, je ne m’y retrouvais pas non plus, les articles ne concernaient que les femmes blanches. A la télévision, je ne voyais pas de femmes qui me représentaient. Bref, Internet a été pour moi un outil qui m’a permis de mettre en avant ce qu’on refusait de nous montrer ailleurs.
Tu travailles aujourd’hui avec les plus grandes marques de beauté. Comment as-tu décroché tes premiers contrats ? As-tu travaillé d’arrache-pied pour faire comprendre aux marques qu’il y avait un marché pour la femme noire ?
Il y a un fantasme autour de ça. Les gens pensent souvent que j’ai démarché, que j’ai été privilégiée. Or, toutes les marques avec qui j’ai collaboré sont venues à moi. L’Oréal – dont je suis l’égérie aujourd’hui – est le premier groupe à s’être intéressé au web, le premier à avoir compris que le digital annonçait un renouveau dans les médias. Lorsque que j’ai été contactée en 2014, j’ai demandé pourquoi moi. On m’a répondu que c’était mon franc-parler et ma personnalité qui avait fait la différence.
J’étais consciente qu’en France, à la différence des États-Unis, la gamme de L’Oréal n’était pas étendue aux peaux noires. J’ai donc dit que j’acceptais de travailler avec le groupe à condition de pouvoir avoir accès à l’ADN de l’entreprise, de pouvoir parler des problématiques des femmes noires au-delà des thématiques bling-bling. Ce qui m’intéressait, c’était les ressources humaines, la place des femmes dans la recherche, visiter les laboratoires, parler avec les chercheurs etc. J’ai une image sur le net, il en allait de ma crédibilité.
En travaillant avec des marques, comment trouver l’équilibre entre promotion et objectivité ?
C’est un peu le jeu du chat et de la souris. A l’époque où il n’y avait pas d’argent qui entrait en ligne de compte, que les blogueuses allaient acheter les produits pour en parler sur leur plateforme, cela ne dérangeait pas les gens. C’est à partir du moment où les marques sont venues à moi, que j’ai commencé à collaborer avec elles et à faire de campagnes que c’est devenu problématique. Pour autant, quand j’ai commencé à vivre de mon blog, je ne l’ai jamais caché et j’ai même écrit un article pour l’annoncer. Quand on regarde les magazines, la télé, c’est la même chose, il y a de la pub. Dès l’instant où je parviens à sélectionner des marques qui entrent dans l’univers de mon blog, je n’ai aucun problème avec cela.
La question de l’argent dérange, et c’est un problème typiquement français.
Quels sont les fondamentaux pour réussir dans le blogging dédié à la beauté noire ?
La bonne recette pour un blogueur est de rester soi-même. Il faut savoir développer les compétences dans lesquelles on est bon, sans essayer de copier ce qu’il se fait ailleurs. Il ne faut pas céder au buzz et à la tendance.
Les blogueuses noires rencontrent d’autres problématiques et on a d’autres sujets de prédilection. Aujourd’hui, une blogueuse blanche vit dans une société qui est faite pour elle et par des gens comme elle. Nous, il y a un message et une forme de militantisme à développer. On était invisibles, les bloggeuses noires ont permis aux médias mainstream et aux marques de faire comprendre que les Noirs de France existent et consomment comme tout le monde.
Ce que les blogueuses noires doivent donc comprendre, c’est qu’au-delà des thématiques beauté, il faut parler de la femme noire, de l’estime de soi, de la confiance…
En outre, quand on est blogueuse, on ne peut pas parler de beauté sans connaître les marques, leur ADN et l’industrie. Il existe des formations et des sites spécialisés en markéting, sur les chiffres et les pourcentages de vente… Tout cela est primordial. Aujourd’hui, les marques regardent tout ça ! Or, le problème c’est que dans la communauté noire, on manque beaucoup de professionnalisme. Les marques sont là pour faire de l’argent, elles ne sont pas des philanthropes ! Elles me disent vouloir travailler avec des blogueuses et youtubeuses afro-françaises, mais elles reconnaissent que beaucoup d’entre elles ne sont pas assez pro ou sont dans les polémiques sur Twitter etc. En France, il n’y a aucune blogueuse beauté noire qui a des millions de followers, parce qu’on n’est pas si nombreuses, alors il faut éviter l’amateurisme.
Comment adaptes-tu ton discours, en termes de ton et de ciblage markéting sur les différents réseaux sociaux et applications ?
Sur Instagram, c’est de la photo. Donc il faut raconter une histoire. Les photos doivent être léchées, jolies. Je le dis souvent, quand on a un blog ou une chaîne Youtube, Instagram c’est un CV en ligne, du brading. On vend son image. Les marques regardent beaucoup ce que l’on fait sur Instagram.
Après, Instagram a créé une sorte de psychose. Il y a des gens qui achètent de faux followers pour attirer les marques, sauf que celles-ci ne sont pas dupes. Idem sur Facebook. Or, si aucune collaboration forte n’est visible ou s’il n’y a aucune interaction, quel est l’intérêt ? Ce qui attire une marque, c’est l’image que l’on véhicule avant tout, la personnalité.
Aujourd’hui, tout le monde est influenceur. Je n’aime pas trop ce terme. Je me présente toujours en tant que blogueuse. Ce sont les marques qui décident de votre influence. On est un influenceur quand les propos et l’image véhiculés sur les réseaux ont de l’incidence sur du marketing, et pas nécessairement sur le pôle beauté. On parle d’influence quand une personne va ébranler un système.
Beaucoup de blogueuses ont déserté leur blog au profit d’une utilisation exclusive sur Instagram. En quoi les billets de ton blog restent importants pour toi ? Comment gères-tu ces deux outils complémentaires ?
Le blog est l’essence même de ce que je fais. C’est mon bébé. Il est référencé sur Google. Même quand on travaille avec des marques, les campagnes se passent sur le blog. Les marques ont des codes trackés pour connaître le nombre de personnes qui sont venues visiter votre blog, combien de temps elles y sont restées etc. Le blog est la preuve que vous avez une communauté. Raison pour laquelle il ne faut jamais abandonner son blog pour Instagram. Si jamais demain Instagram ferme, que vous reste-il ? Idem quand Facebook décide de censurer des pages ou de les fermer, il y a tout de suite des polémiques. Le problème avec les médias afro, c’est qu’ils ont tout misé sur Facebook et Instagram, or ce n’est pas notre maison. Ces réseaux doivent servir de relais !
Quels conseils donnerais-tu à la nouvelle génération de bloggeurs afro ?
Il faut bloguer pour les bonnes raisons. Beaucoup viennent me voir et me demandent des conseils pour être connus. Or, ce n’est pas ça le blogging. En outre, il y a tant d’autres terrains à explorer que celui de la beauté.
Ensuite, il faut arrêter de copier les Noires-Américaines. Leurs gestuelles et mimiques. C’est d’ailleurs ce que les marques reprochent aux blogueuses afro-françaises. Moralité, quand il y a des voyages, elles vont se tourner vers les blogueuses et youtubeuses anglophones. Parce qu’elles préfèrent prendre les originales plutôt que les copies ! Ce n’est pas une histoire de following, mais d’image. Les marques n’ont pas envie de travailler avec des clowns. Il faut savoir mettre en avant sa différence, sa double culture : africaine et française.
De quelle manière transmets-tu ton africanité sur ton blog, en quoi c’est important pour toi ?
J’ai vu beaucoup de femmes africaines de ma génération porter des tenues en wax ou traditionnelles, et être perçues comme des villageoises. Nous sommes les ambassadeurs de notre culture, il ne faut pas attendre que les gens la mettre en avant à notre place et crier ensuite à l’appropriation culturelle. Regardez la récente polémique avec Beyoncé qui aurait repris l’affiche du film Touki Bouki du réalisateur sénégalais, Djibril Diop Mambéty, pour l’image annonçant sa tournée. Ne soyons pas hypocrite, la plupart des gens ne connaissaient pas ce réalisateur ! Si on sait qu’il y a des choses riches chez nous, pourquoi on attend l’approbation des Noirs-Américains ou des Européens pour mettre en avant notre culture et notre art de vivre.