Mukasonga est de ces auteurs que l’on croit connaître, telle une amie, tant ses livres, romans, nouvelles ou récits autobiographiques, semblent nous être racontés à l’oreille. « Un si beau diplôme » ne fait pas exception à cette règle. L’auteur, cette fois, nous prend à témoin de son parcours, scolaire, universitaire et professionnel, ardemment désiré par son père comme gage de survie. Dans le Rwanda des années 1970, il ne fait pas bon d’être tutsi. L’horreur qui survient en 1994 est annoncée et le magnifique « Notre-Dame du Nil » nous en a déjà conté les signes précurseurs. Pour le père de la jeune Scholastique, qui remarque l’intelligence et la vivacité de sa fille, un beau diplôme, «idiplomi nziza », quel qu’il soit, est avant tout un passeport pour la vie… Elle est en effet, de sa famille, la seule survivante au génocide. Commencées à Butare, au Rwanda, les études d’assistante sociale de l’héroïne se poursuivent, par exil forcé, à Gitega au Burundi, où elles sont couronnées de succès. Une autre épreuve commence alors, dans le si beau parcours qu’est ce récit : travailler, en tant qu’étrangère, au Burundi, à Djibouti, ou en France, là où la mène sa vie. Le bout de papier qu’est le diplôme se transforme assez rapidement pour elle en pages de livre, et c’est le pouvoir de l’écriture qu’il finit par symboliser et que le père, paysan et petit boutiquier, avait bien pressenti. L’émancipation des jeunes filles, dont l’emblème secret est la Reine Kanjogera, par l’éducation est également au coeur de ce texte, à la fois simple et savoureux. Les noms propres et communs en kinyarwanda en émaillent les lignes, tels l’urwarwa ou l’ikikage, la bière interdite dans le nouveau Rwanda. Car si cette langue fut, un temps, celle qui, montrant l’identité de son locuteur, signifiait sa mort, elle est aussi celle qui permet à la narratrice, nommant par leur nom, amatugi, des légumes, lors d’un retour dans son pays natal, de se sentir chez elle, là où, autrefois, son père eut l’intuition de ce qui la sauverait.
Véronique Petetin