L’ECO DES SAVANES – Avec un marché qui va peser 5 600 milliards de dollars en 2025, dont 2 100 milliards pour la consommation des ménages, l’Afrique a un fort potentiel d’opportunités d’affaires. Cela dit, pour éviter les mauvaises surprises, tout entrepreneur doit s’imposer de connaître et comprendre l’environnement dans lequel il sera appelé à évoluer. En effet, chaque pays a ses réalités culturelles et politiques et celles-ci ne peuvent manquer d’impacter l’activité économique, d’où l’intérêt de s’assurer d’être en phase avec l’environnement dans lequel elles baignent. Cette information est déterminante dans le choix du secteur d’activité, mais aussi d’éventuels partenaires, ainsi que pour poser de bonnes relations avec les décideurs politiques locaux. Car le choc culturel peut se révéler brutal.
De l’utilité de maîtriser l’environnement
Rebecca Enonchong, fondatrice de la start-up AppsTech, un important fournisseur mondial de solutions pour les applications d’entreprise, établi à Washington et incontournable dans le high-tech, en sait quelque chose. En retournant au Cameroun il y a une dizaine d’années, elle a été confrontée à ce constat qu’« en Afrique, dans la relation d’affaires, tout est construit autour du soupçon ». « Ça m’a pris des années pour comprendre ça », explique-t-elle.
Certains entrepreneurs, comme le Marocain Mourad el-Mahjoubi, directeur de Visiativ Africa, société spécialisée dans la mise en place de plateformes digitales basée à Casablanca, ont d’abord vécu une première expérience de travail pour plonger dans la culture locale.
« Partir de zéro en s’installant à Casablanca avec ma femme et mes trois enfants pour développer un business sur un continent que je ne connaissais pas paraissait risqué. Surtout lorsqu’on fait face aux différentes images du continent : problèmes de sécurité, manque de moyens, retard sur la santé, l’éducation, marché immature, corruption…, la liste est longue ! » Des éléments qui n’ont pas découragé ce quadragénaire, diplômé de l’EM Lyon. Pourtant, selon le dernier rapport Doing Business, les pays d’Afrique sont ceux qui ont le plus réformé afin d’améliorer le climat des affaires et donc de faciliter l’entrepreneuriat. Mais il y a des étapes qui permettent de passer de l’idée au projet plus sereinement.
Adapter l’idée à l’environnement
En Afrique, on entreprend, de manière générale, pour améliorer le quotidien des populations. On est tellement loin des marchés développés, où presque tout existe déjà. En effet, s’il y a chaque jour des entreprises qui se montent, il y en a également beaucoup qui ne franchissent pas le cap des cinq ans. Il est donc nécessaire de répondre à un réel besoin et de bien réfléchir avant de se lancer dans une telle aventure.
Deux possibilités s’offrent aux futurs entrepreneurs : soit vous avez une idée précise d’un projet, d’un produit qui n’existe pas encore ou qui reste à développer – et vous partez pour créer ce service –, soit vous partez pour créer en Afrique un produit ou un service qui a déjà fait ses preuves ailleurs.
Surtout prendre en compte le secteur informel
Compte tenu de la diversité des marchés africains, il est important de bien choisir le marché où on souhaite s’implanter. Tout en tenant compte de la dimension régionale du continent, vous ne devez surtout pas perdre de vue le poids du secteur informel. C’est peut-être là que se trouvent vos potentiels concurrents. Commerçants, mécaniciens, plombiers, maçons…, voilà une liste de métiers qu’occupent les personnes dans l’informel, mais pas seulement. Parfois, on trouve aussi des groupes de taille moyenne et à la longévité éprouvée qui ne jouent pas le jeu du formel. Cela démontre une grande hétérogénéité de l’économie informelle en Afrique subsaharienne. Dans tous les cas, il importe de ne pas se limiter aux données officielles.
Une fois que vous êtes certain de vouloir vous lancer, reste le travail de prospection afin de mieux ficeler votre business plan. « Dès mon arrivée, j’ai prospecté et c’est ainsi que j’ai commencé à comprendre le tissu économique du pays et surtout à identifier les organismes qui pourraient m’aider dans mon développement », précise Mourad el-Mahjoubi. Et c’est là qu’interviennent les agences de promotion des investissements. L’intérêt de ces structures publiques est d’apporter une plus grande visibilité aux acteurs économiques sur l’ensemble des démarches et des obligations réglementaires. Mais attention, avertit Rebecca Enonchong : « Sur le papier, ça semble facile ! Beaucoup de pays promettent qu’on peut ouvrir sa société en vingt-quatre heures à un guichet unique, mais, en pratique, sachez que ça ne fonctionne pas toujours ! » Dans certains pays comme le Maroc, ces dysfonctionnements ont été corrigés. Et Mourad el- Mahjoubi d’expliquer : « Ces premiers réflexes m’ont permis de signer mes premières affaires et de recruter mes premiers collaborateurs. »
Recruter les bons profils : l’autre grand chantier
Selon une étude de PwC, 90 % des dirigeants africains ont du mal à recruter. C’est donc un élément stratégique dont il faut tenir compte afin d’anticiper les éventuelles difficultés. Sans compter la volatilité des bonnes ressources humaines, laquelle peut être fatale à une PME en croissance. Celle-ci peut en effet perdre ses meilleurs éléments trop tôt, ce qui ne peut manquer de lui être préjudiciable. « Il est vrai qu’une des problématiques du monde de l’entreprise en Afrique est le sujet des ressources humaines.
Manque d’engagement, absence d’appartenance, manque d’assiduité, abandon de poste, etc., dit Mourad el-Mahjoubi. Ayant eu des expériences négatives sur des profils expérimentés, j’ai opté pour le recrutement de jeunes diplômés sortis d’école sur lesquels j’ai investi en formation et en accompagnement dans la maîtrise de nos solutions. Mon objectif étant de créer ma propre culture d’entreprise. »
Quid du financement ?
Les PME africaines ont beaucoup de mal à trouver des financements. Certes, il y a de plus en plus de banques et de fonds d’investissement qui se disent prêts à financer les PME, mais la réalité est différente. Il faut compter sur soi avant tout.
Rebecca Enonchong explique aux jeunes start-up : « Dans un premier temps, vous n’avez pas besoin de financement en dehors de vos clients. Il faut savoir que les investisseurs n’investissent pas dans des idées, mais dans des sociétés. Donc, si vous avez déjà des clients payants, c’est beaucoup plus facile pour attirer des investisseurs ou des business angels. »
Lever des fonds
« C’est une étape très difficile, car il faut avoir une idée bien précise des montants dont on a besoin. Dans l’idéal, il faut juste trouver un montant optimal pour démarrer. Et, à chaque étape, recommencer cet exercice », soutient Cédric Atangana, à la tête d’Infinity Space. Ces dernières années, la levée de fonds est devenue un enjeu majeur pour l’entrepreneuriat. Il n’y a qu’à regarder l’engouement des fonds d’investissement qui se bousculent. Pour autant, la sélection est toujours très stricte avec des critères exigeants !
Comment assurer les démarches ?
Il est préférable de déléguer à des personnes recommandées pour éviter de perdre un temps monstrueux et rester concentré. Ne négligez pas la question du rapport au temps. C’est un temps différent qui régit les mouvements et les décisions sur le continent africain.
Entreprendre en Afrique constitue donc un vrai défi pour qui vient de l’extérieur, qu’il (elle) soit de la diaspora ou pas. La patience et la résilience apparaissent comme les principaux alliés de l’entrepreneur