Daddy Bibson s’est fixé comme objectif de porter Idrissa Seck à la tête du Sénégal. Dans cette veine, il a décidé de lancer sa caravane Le «Sénégal va mal». Il en parle dans cette interview, ainsi que de ses prochains albums qu’il mettra sur le marché à Thiès, le 1er décembre, de son expérience avec les groupes Pee froiss et Rap’Adio, de sa maladie mystique, de sa déception née du pouvoir de Macky Sall, du manque de reconnaissance de son ami, Ousmane Tanor Dieng, entre autres sujets…
Que pouvez-vous nous dire sur la personne Daddy Bidson ?
Je m’appelle Cheikh Tidiane Coly, Cheikh Bou Coly pour les intimes. Mais je suis plus connu sous le nom de Daddy Bibson. C’est un nom qui me vient de mon grand-père paternel. Je l’ai conservé comme nom de guerre dans le mouvement Hip hop. Et j’y ai ajouté Daddy qui veut dire père. C’était la mode dans les années 1988.
Dites-nous en un peu plus sur vous ?
Je suis né Thiès, en 1974, au quartier Bayal Khoudia Badiane. Alors que je n’avais pas encore un an, je suis venu à Dakar, avec mes parents. Pendant les vacances, je revenais à Thiès, y apprenais le Coran. A un moment donné, je suis resté à Dakar, trop pris par la musique. J’adore la ville de Thiès. Quand j’y suis, je me sens à l’aise. Mais je ne me réclame pas comme artiste thiessois, parce que mon vécu, c’est à Dakar. Fass et Rufisque se disputent même mon appartenance. J’ai démarré ma carrière à Rufisque en 1988 jusqu’au moment où je me suis établi à Fass.
Avez-vous fait des études ?
J’ai arrêté mes études en classe de Terminale à quelques mois du baccalauréat. Je devais aller avec le Pee Froiss en Belgique, pour un festival. Si je me souviens bien, c’était en 1994.
Comment est venue votre intégration au Pee froiss ?
J’ai connu Xuman par l’entremise de Chaka Bab’s. J’habitais tout juste derrière chez lui. Xuman venait d’arriver de la Côte d’Ivoire. Chaka Bab’s dansait dans un groupe avec un de ses frères qui s’appelait Yoro Diop. Ils partageaient une chambre dans le quartier.
Un jour, Chaka m’a proposé de me présenter à Xuman. Je l’ai reçu chez moi. Nous avons fait des free style. C’est ainsi qu’on a commencé à faire du rap. Mais au départ, c’était un groupe de danse. Il s’appelait Pee froiss Muslim. Quand le Positive Black Soul (Pbs) a voulu nous produire, nous avons retenu le nom de Pee froiss tout court, qui signifie le groupe des froissés. On avait atteint un niveau que seul le Pbs avait dans le milieu du Rap. Lord Aladji Man a ensuite quitté le groupe pour créer le Daara-J. Il y avait une concurrence saine entre le Pee froiss, le Pbs et Daara-J. Quand nous avons sorti l’album Walla walla Bokk, ça a cartonné. Après une tournée internationale, j’ai arrêté avec le Pee froiss.
Pourquoi?
Je ne voulais pas quitter Fass. Puisque notre carrière musicale avait atteint un certain niveau, nous avions pris l’option d’habiter dans une même maison. Le groupe avait le soutien d’un milliardaire sénégalais. Il avait décidé de mettre des millions pour que nous soyons dans une même maison. Les amis ont proposé Hlm Grand Médine. Je leur ai dit que je ne connaissais pas ce quartier.
Ils sont partis. Je suis resté à Fass. Ils ont commencé à enregistrer l’album «Affaire bu graw». J’avais écrit la moitié du répertoire. Quand j’ai vu qu’ils ont fait leur album, je me suis senti écarté. J’ai alors pris la décision de tracer ma propre voie. Par l’intermédiaire de Mbaye Laye (Chamberline), j’ai intégré le Rap’Adio qui avait un projet d’album.
J’ai rencontré leur producteur, Mister Kane. Il me fallait l’avis de ma mère, la seule personne à me soutenir financièrement. Il fallait aussi changer le nom qui était à l’origine, Niul té rapadio. Mais je l’ai intégré en 1997, un an après mon départ de Pee froiss, en 1996. On a travaillé sur l’album «Ku wet kham sa bopp» en 9 mois. Il y avait Kay T, Iba et tout un staff derrière. A Niul té rapadio, il y avait aussi Cool Kocc Ciss.
D’où vous est venue l’idée d’un rap de rupture ?
Au Sénégal, les rappeurs faisaient plutôt de la variété. Ce n’était vraiment pas du hip hop. C’était plus chanter que raper. C’est d’ailleurs ce phénomène qu’on est en train de vivre présentement dans le milieu du Hip hop. Il n’y avait pas de messages instructifs dans les textes. Il y avait plus que des textes d’amour. Il fallait un rap underground pour porter la voix de la société.
Les Sénégalais ont vite adhéré à notre musique. On faisait les premières parties des plus grands artistes africains, dont Alpha Blondy. On avait du poids. C’est ainsi qu’on avait été approchés par Youssou Ndour. Quand le Super étoile jouait au Thiossane, à l’heure de la pause, le public criait Rap’Adio. Bouba Ndour avait voulu nous enrôler dans un de ses projets de compilation. C’est d’ailleurs auprès de lui que j’ai connu le Jamaïcain Handyshaft. Pendant 10 ans, le Rap’Adio a trôné sur le Rap sénégalais. Le groupe s’est disloqué parce que j’ai quitté et d’autres sont partis à l’étranger.
Mais on vous reprochait votre style un peu voyou, avec les cagoules…
C’était loin d’une affaire de bad boy. On vivait la pauvreté. A cette époque, les habitants de Grand-Dakar, Fass, Guédiawaye vivaient dans une extrême pauvreté. Nos parents nous assuraient seulement le repas de midi. Les ménages étaient éprouvés. C’était la paupérisation totale au Sénégal avec le régime de Diouf. C’est pourquoi le Rap’Adio n’a pas eu de la peine de dénoncer la pauvreté au Sénégal. Nous nous voyons plus du côté de la société, plutôt que d’utiliser notre succès pour avoir des filles.
On avait un vécu à mettre sur une toile. Aujourd’hui, les jeunes ont suivi nos traces, parce qu’ils se réclament du vrai hip hop. On n’était pas contre les Mbalaxmen ou autres, comme l’ont prétendu certains, pour dévoyer notre concept. Il fallait promouvoir une culture urbaine qui est encore plus élevée que le hip hop. Nous n’étions pas des voyous.
Les cagoules, c’était pour représenter tout le monde. Une fois, nous devrions faire une prestation au Lycée Malick Sy. On n’était pas d’accord sur le cachet. Notre manager est parti là-bas, empocher les 300 000 FCfa qu’on nous avait proposés. Il a pris trois gars qui ont mis des cagoules pour prester à notre place. Quand il nous l’a révélé plus tard, on en a tellement rigolé.
Comment le pouvoir prenait cela ?
A chaque fois que je circulais sans carte d’identité nationale, les policiers m’interpellaient pour me dire que c’est vous qui chantez que la «lice-po centrale» n’a rien foutu. Les gouvernants pensaient qu’on n’était pas bien pour eux. On a accueilli Abdoulaye Wade à l’aéroport en 2000. On était du côté du front populaire pour faire partir Abdou Diouf. Je suis toujours du côté du peuple.
J’ai accompagné Macky Sall en 2012 pour qu’il prenne le pouvoir. Aujourd’hui, je me suis rendu compte qu’il a dévoyé ses engagements. Je l’ai soutenu de manière inconditionnelle. Je ne pouvais le servir nulle part, sinon lui apporter mon expertise pour développer la culture urbaine. J’ai la possibilité de faire passer tous mes messages via facebook. Je peux faire une musique que je poste. Et ce sera écouté. J’ai des amis à la présidence de la République, proches collaborateurs de Macky Sall.
Je suis très proche d’Ousmane Tanor Dieng. J’ai sillonné le Sénégal avec lui pour battre campagne jusqu’à Salémata. Au Sénégal, les hommes politiques n’aiment pas qu’on leur dise la vérité. Si Macky écoutait nos conseils, il n’aurait pas tous ces problèmes. Il n’y a pas au Sénégal, un programme plus ambitieux que les Assises nationales. Je ne pouvais plus le soutenir lorsqu’il l’a mis de côté.
Vous avez quelque peu disparu de la scène…
Pendant 10 ans, j’ai fait les meilleures ventes solo. J’ai eu les meilleurs tubes de l’année. J’ai remporté plusieurs titres et trophées. Je suis resté pendant 3 ans sans qu’on m’entende. J’étais malade. Je me soignais à Philadelphie aux Usa. Je suis diabétique. Je ne voyais plus et une de mes jambes était paralysée.
Certains ont parlé d’attaques mystiques ?
Je le crois aussi. C’est pourquoi j’ai d’ailleurs hésité à sortir un nouvel album. Cette fois-ci, j’irai à Médina Baye, au Fouta et en Casamance pour me blinder mystiquement, avant de sortir mon album. Je ne comprends vraiment pas ce qui m’est arrivé. J’ai sorti deux albums qui ont fait le buzz. A chaque fois, je tombais malade. J’ai même pensé mettre définitivement un terme à ma carrière. Lors d’un de mes concerts à Guédiawaye, on avait enterré plusieurs œufs sur la scène. Une autre fois, j’ai joué un concert, je suis resté paralysé pendant 6 mois. Ces attaques mystiques ont terriblement entaché ma carrière. Mais j’ai tenu.
J’ai fait 3 ans aux Usa pour préparer mes albums et chercher de l’argent pour m’autoproduire. J’ai toujours voulu être indépendant. J’ai une idéologie socialiste. C’est pourquoi j’ai soutenu Ousmane Tanor Dieng à un moment donné, pour la reconquête du pouvoir. J’ai été déçu. De tous les dirigeants des Assises nationales, je n’avais pas vu un seul qui avait le charisme pour faire face à Abdoulaye Wade. Nous étions proches de Barthélémy Dias, de Malick Noël Seck, d’Aly Mané, pour rebâtir le socialisme.
Bien qu’on fût proche de Tanor, notre référence c’était Khalifa Sall. Il est plus social que Tanor. Il est vertueux. Pendant 3 ans où j’ai été aux Usa, Ousmane Tanor Dieng ne m’a jamais appelé au téléphone. Je l’ai une fois appelé, il a vu l’appel manqué, a rappelé pour savoir qui c’était, j’ai vite compris qu’il n’était pas mon leader. Il y a eu ensuite l’emprisonnement de Khalifa Sall que nous avions soutenu. Quand nous avons vu qu’il risque de ne pas être candidat à la Présidentielle de 2019, nous avons décidé de soutenir Idrissa Seck.
Il est le seul à pouvoir le libérer de prison. Notre combat est de libérer le peuple de Macky Sall qui dilapide nos ressources, en nous renvoyant à la colonisation. Le fer de la Falémé, le zircon, le pétrole, le gaz sont des ressources exploitées par des étrangers. Pis, il y a trop de manquements au Sénégal. Les Sénégalais souffrent et ont mal dans leur chair. Les jeunes n’ont pas d’emploi, alors que l’Etat pouvait en créer des milliers. On est en train de revivre la gestion d’Abdou Diouf.
Pourquoi pensez-vous que c’est Idrissa Seck qui peut le faire ?
Parmi les leaders du M23, des Assises nationales, il a été le plus constant. Il a sauvé le Sénégal de la dévolution monarchique. Il a été le seul à ne pas quitter la Place de l’Obélisque, quand les leaders avaient convenu de ne pas battre campagne. Quand il a vu que la coalition Benno bokk yaakaar (Bby) ne prenait plus en compte les aspirations du peuple, il l’a quittée.
Il est humble et n’est pas intéressé par les postes. Il a donné la mairie de Thiès à Talla Sylla. Il a accepté d’être derrière Khalifa Sall lors des Législatives. C’est de l’humilité. Le Sénégal a besoin d’un Président qui a du caractère. Aujourd’hui, Macky Sall est le Président le plus insulté dans le monde, à travers les réseaux sociaux. Si on me l’avait fait, je cesserai d’être dans le milieu du Hip hop. Il cherche à avoir un autre mandat, alors qu’il va tomber en 2019. Sur 10 Sénégalais, seuls 2 sont avec lui.
Au moment de gérer les ressources de l’Etat, il crée un Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct) inutile. Il rallonge le budget de Tanor de plus d’un milliard, alors que les Sénégalais peinent à avoir de l’eau potable. Il distribue aux délégations de Matam, Pikine plus de 40 millions de FCfa pour battre campagne. Il y a trop de manquements avec le régime de Macky Sall. J’ai opté pour Idrissa Seck entre 3 candidats les plus crédibles, notamment Sonko, Bougane Guèye et lui-même.
Idrissa Seck a le meilleur profil. En 9 mois, il a changé le visage de Thiès. Je l’ai rencontré et il m’a rassuré. Je gagne bien ma vie aux Usa. Mais je dois m’engager pour changer les choses. Je vais faire une caravane Le Sénégal va mal. J’ai fait une chanson à l’honneur de mon candidat. Il sera le parrain de mon dernier album, qui sera lancé le 1er décembre, à Thiès. Après ces deux albums, je vais me consacrer à la musique spirituelle. J’avais décidé d’arrêter après 13 albums en solo. Je suis en train de mettre en œuvre ce projet avec deux autres amis, disciples de Baye Niasse, qui vivent aux Usa.