A l’ombre d’Ousmane Sonko, a éclos une figure politique atypique, d’autant plus intéressante qu’elle agrège presque tous les traits romanesques : discrétion, ascension, mystère, popularité, populisme, mysticisme, ambition, acquis professionnels. El Hadji Issa Sall s’est qualifié pour les élections sans grands bruits, bousculant l’offre habituelle, présentant une allure singulière et participant d’une recomposition politique dont le caractère inédit est appelé à croître.
De tous les aspirants à la fonction, il présente une originalité qu’on aurait tort de négliger. Sans la surévaluer, elle donne de la matière pour flairer une analyse. Pour ceux qui appellent à la transformation politique, à une inclusion des classes populaires, à une adaptation aux valeurs endogènes, il offre, à sa mesure, sans doute avec des déficits, quelques pistes de ce que pourrait devenir le militantisme politique dans quelques années. Cette originalité, si elle ne lui garantit pas d’avance un succès électoral, l’écarte définitivement d’une défaite.
Quelque que soit en effet son score en février, El Hadji Issa Sall est déjà victorieux, avec une irruption durable sur une scène dont Sonko est l’autre nouveau-né. C’est un agent de transformation. S’il ne révolutionne pas la scène, il la colore différemment. El Hadji Issa Sall est comme l’augure, l’annonce d’une jonction entre le désir de retour aux valeurs et l’orientation vers la technicité sociale. Il semble déjà avoir installé les prémisses d’une vision politique qui semble susciter sinon l’adhésion, la curiosité.
Différents observateurs ont été d’abord marqués par les images de liesse, de grands rassemblements aux couleurs de son parti, ce vert et blanc très islamique. Ces manifestations qui prennent d’assaut les rues de la banlieue, avec un cap pour la province. Ces scènes impressionnantes, pour un parti renaissant, au leader qui n’a pas jamais occupé de poste de premier plan, ont animé les décryptages. Décontenancés les journalistes ont oscillé entre le boycott, l’incompréhension et les analyses farfelues sur un « mysticisme » décrit comme inviolable. La massification, qui est un indice – même trompeur – de la force de frappe politique, semble avoir souri à ce père de famille débonnaire, au large sourire, qui est en train de monter une vraie mécanique politique à l’organisation ordonnée, aux idées de communication inspirées, au travail méthodique, avec un usage des réseaux sociaux et des outils numériques qui présentent avec un vrai avant-gardisme.
Mais ce regard laisse en rade bien des choses du parcours d’El Hadji Issa, véritable moteur de ce projet. Docteur en informatique à la fin des années 90, bien avant l’essor majeur du numérique, il a ouvert dans la foulée l’université du Sahel en 1998, école en tous points précurseur et pilote d’une vision. 1998, date aussi de naissance du PUR. L’établissement privé et supérieur présente la caractéristique de s’orienter vers des filières techniques et utilitaires, et plus encore, elle semble survivre. Sa longévité n’est égalée que par l’UCAD et l’UGB et sa vocation panafricaine, de tout temps assumée, décline peu la vision de son président. Le crédo de retour des diplômés au pays, qui a toujours été un enjeu, avec des fortunes différentes, a abondamment animé le discours intellectuel pré et post indépendance. Le projet de Sall s’inscrit donc dans une pensée ancienne mais elle ajoute le mérite de persévérance, et surtout la suite dans les idées. Le nécessaire désengorgement des filières littéraires, l’orientation davantage vers la technicité, l’apprentissage local d’un monde universitaire, le crédit de l’ancienneté, ont posé les bases d’une vraie vision intellectuelle dont l’engagement politique est l’aboutissement.
Néo-politique, El Hadji Issa Sall reste surtout un vieux briscard qui a pris le temps d’analyser une scène qu’il a connue, dont il a vu les angles morts. La présidence de l’université ainsi que son intérêt pour la chose publique, son discret engagement politique, l’ont maintenu à un niveau d’alerte et d’acuité. Cette patience rappelle ceci : ce que la précocité ne vous donne pas, la maturité peut vous le rendre. Les slogans du PUR (parti pour l’unité et le rassemblement) ne sont pas que des jeux de mots ratés. Ils sont le vernis d’un projet pensé, aux mesures parfois discutables, sans doute un peu démagogiques, mais l’ensemble reste cohérent comme offre politique avec l’exploration des notions d’économie solidaire, de justice sociale et même de finance islamique, entre autres. La volonté d’arrimer les progrès de la modernité au discours traditionnel sur les valeurs, sans les opposer ou les mettre en conflit, est un autre chantier dans lequel le PUR avance ses pions.
L’impression donc d’un mysticisme, d’un gourou qui serait en possession d’âmes dévotes, est réductrice. Elle prend le parti d’une explication simpliste. Le talent politique suppose cette pincée de populisme, cette volonté de magnifier les vertus sacrées auxquelles tient le peuple. Pendant longtemps, les affinités ethnique, religieuse et les clans ont offert des points de fédérations. Il semble qu’il existe chez Issa Sall une volonté de dépassement avec une religion expurgée – pour l’heure – de son contenu seulement politique, posant ainsi les fondations et les formes nouvelles d’un conservatisme républicain.
A l’échelle du monde, de l’Indonésie à la Turquie, en passant par les compromis issus des printemps arabes au Maghreb, voire les tentations politiques des imams Dicko et Aïdara au Mali, l’offre du conservatisme à dominante religieuse évolue. C’est peut-être la première fois qu’au Sénégal, où le temporel et le spirituel ont toujours entretenu des relations intimes, qu’un conservatisme politique transcendantal, presque avenant dans son abord, sonne aux portes de la scène politique.
Le buzz autour de Sonko et ses supposées ascendances religieuses salafistes ont dévié les attaques paniquées de ses détracteurs, et manqué l’occasion d’avoir un regard plus global sur la renaissance du religieux dans a conversion politique. Offre de repli, de contestation de l’ordre occidental, décisif dans les indépendances, le recours au religieux a toujours été présent, même si récemment la séquence terroriste a réduit l’espace d’analyse à la seule violence générée. El Hadji Issa Sall, dont l’appartenance aux « moustarchidines » est connue, allie ses adhésions spirituelles à ses acquis, à ses expériences et à ses flairs. Nulle surprise donc de voir, en un temps record, son parti jouer dans la cour des grands. Le confrérisme, voire le soufisme, reste donc, contrairement à une vulgate, une offre d’islam politique, dont la violence n’est pas le seul moyen d’expression.
Il investit tous les champs, de l’éducation à la politique en passant par la solidarité et l’humanitaire, pour ainsi trouver un écho chez les populations. Le talent de El Hadj Issa Sall est d’avoir donné à cette idée qui sommeillait les contours d’une viabilité politique, en alliant le sens de l’organisation à l’élévation aux exigences des standards politiques. Son conservatisme disparaît presque devant le travail politique de confection de programme abattu, et la série de communications inspirées qui en font un candidat à part. Son site est un bijou de communication et cette fermeté sans hostilité, dévoile l’amorce de mutation dans la perception politique.
On ne peut rien prédire de son devenir, mais il est au carrefour de nombreuses idées qui sont populaires sur le continent, dans le pays et dans le monde, et auxquelles il apporte un toilettage politique, technique et intellectuel. Son charisme reste pour l’heure peu flagrant et on le déconsidère dans le quintet qui est en compétition. Mais il reste, plus que Sonko, la révélation. L’un est entré par effraction en politique, l’autre par un casse savant. Un nouveau conservatisme politique, moins affilié aux sphères confrériques seules, est né au Sénégal. Il porte la marque de son géniteur, à qui le PUR survivra pour le meilleur et pour le pire. C’est un pur-sang au trot à qui l’avenir donnera de la vitesse ou qu’il achèvera dans la brume des étoiles filantes. C’est un heureux mystère.
Elgas
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