Fière, altière et guerrière comme la Générale Okoye, bras droit incorruptible du roi du Wakanda, il arrive à Aissatou Sow d’arborer la « boule à zéro ». Elle, le royaume qu’elle défend, c’est notre boule bleue: la planète terre et ses 7 milliards d’habitants, qu’elle considère tous comme ses voisins de palier.
Tract a été accessible en ligne aux lecteurs pour la première fois un certain 8 mars, l’an dernier, en 2018. De même que le quotidien Tract dont notre site est l’héritier était paru dans les kiosques un 8 mars, en 2000, avec à la Une, l’interview de celle qui allait devenir la première Dame du Sénégal deux semaines plus tard : Viviane Vert Wade. Cette journée du 8 mars est donc symboliquement marquante et unique pour nous. Un anniversaire que nous nous devons de fêter dignement.
C’est la Journée de la Femme. Ou plus précisément la Journée des Droits de la Femme, tel qu’est son intitulé depuis qu’elle a été décrétée par les Nations-Unies. Place nette aux femmes donc. En cette occasion, Tract est fier et enthousiaste de mettre une femme de tête et de cœur à l’honneur, qui plus est belle, si elle nous permet de l’écrire sans être traités de phallocrates : Aissatou Sow.
Elle aura vécu et travaillé, toujours à des postes de direction exécutive (kaar kaar machallah …), au Sénégal (Gorée Institute), au Kenya (African Virtual University), au Maroc (Intel Corporation), en Angleterre (Digital Links International).
Haut cadre sénégalaise de multinationale à l’étranger, précisément au Canada, Aissatou Sow est actuellement Directrice (Secteur Public et Éducation) pour l’Afrique francophone chez l’Américain Intel Coprporation, acteur de rang mondial de l’informatique, des micro-processeurs, de la micro-électronique et de la robotique. Intel, créé en 1968 et dont le siège social est à Santa Clara en Californie, a une capitalisation boursière de 227 milliards de dollars US en février 2019, avec un chiffres d’affaires en 2018 de 70 848 milliards de dollars US.
Sous la houlette de « femme de (savoir-)faire » de la diasporique Aïssatou Sow, Intel a cornaqué la création de programmes pour équiper en ordinateurs et en tablettes numériques éducatives les écoles, les étudiants et des citoyens sur le continent noir, notamment au Sénégal, en Cote d’ivoire, au Burkina, en RDC ou encore à Djibouti. Elle aura réussi une expansion des affaires d’Intel sur un marché d’un peu plus de 100 millions de dollars. Avec à cœur un focus stratégique intangible : agir et impacter pour une transformation digitale des économies du continent africain. Son métier est donc d’abord un combat de citoyenne du monde et de fille d’Afrique. Dans ce cadre, il lui arrive bien souvent d’être en audience avec des chefs de gouvernement et des Premiers ministres. Dont elle ne dévoilera pas les noms, éthique professionnelle oblige.
Épouse, mère, leader et senior executive woman, Aïssatou Sow tient plus que tout à son nom de jeune fille. Et célèbre dès qu’elle le peut Tupac Shakur, avec des envies de visites à Compton. Lisez plutôt !
Tract : En cette journée du 8 mars, vous avez envie de plus vous adresser aux femmes? Aux hommes ? Aux deux? Pour leur dire quoi ?
Aïssatou Sow : Le 8 mars représente deux choses pour moi : à la fois une journée positive de joie et de célébration pour les femmes, mais aussi, une journée de tristesse, durant laquelle on a l’impression que toutes les femmes du monde, d’une seule voix, ont envie de hurler leurs peines. C’est bien que nous ayons cette journée pour continuer à montrer notre part dans la marche du monde. mais il est aussi bien dommage qu’en ce 21ème siècle bien entamé, on continue à avoir besoin de nous battre pour nos droits et pour notre place dans la société.
Aux femmes, je souhaite dire : « Continuez à croire en vous ! Sans ciller, ni faillir».
Aux hommes, je dis : « Avec ou sans vous, on y arrive(ra) ».
A quel âge avez-vous eu conscience que cette journée du 8 mars existait, du plus loin que vous vous souvenez? Les femmes sont-elles une majorité encore discriminée ?
Depuis ma jeunesse, sans pour autant prendre conscience de l’essence ou de l’importance du combat. En grandissant, on se rend compte, et souvent parce qu’on devient victime aussi de cette disparité homme-femme dans les traitements sociaux, professionnels ou économiques. Et on se demande pourquoi. Prenez votre voiture et roulez sur la nationale 1 au Sénégal. Dans chaque bourgade, chaque village, qu’observez-vous ? Les hommes jeunes ou vieux sont assis devant leurs maisons ou sous les arbres et ne font rien. Rien. Les femmes : elles ont le bébé sur le dos, elles vendent des fruits au bord de la route, elles nettoient et balaient, elles sont dans les champs, elles préparent les repas de famille, elles transportent des choses (des biens, de l’eau etc..). Les femmes sénégalaises sont en activité constante. C’est effarant. C’est révoltant. Car ces mêmes femmes n’ont toujours pas le droit à la parole et aux décisions concernant leurs propres vies.
Les combats des femmes ne sont certainement pas les mêmes au Canada où vous vivez et en Afrique, au Sénégal, votre pays. Comment ressentez-vous cette disparité ? Y a-t-il une inégalité territoriale entre les femmes?
Au cours de ma carrière professionnelle, trop de fois, j’ai été victime de harcèlement. Cela a toujours réveillé mon instinct de battante. Je me souviens encore que la seule fois ou cela a atteint des degrés innommables, ce sont deux femmes canadiennes qui ont pris les devants et qui ont mené le combat pour me défendre et me protéger. Je ne l’oublierai jamais. Là où j’ai observé le silence de mes compatriotes africaines… Peut-être était-ce un cas isole (sic)… j’ai admire leur détermination à faire ce qui était bien, à dénoncer et à prendre des actions au plus haut niveau. Le Canada est un exemple en matière d’autonomisation des femmes, d’égalité homme-femme, de système structurel pour dénoncer les inégalités et permettre aux femmes de pouvoir s’épanouir personnellement et professionnellement. Cela ne veut pas dire que je minimise le travail et le combat de mes sœurs au Sénégal ou en Afrique. Au Sénégal, les femmes se sont battues très tôt, pour accéder à la liberté et aux droits qui leur sont dus, et certains de ces combats se traduisent aujourd’hui par les textes et lois qui nous protègent. Je pense cependant que notre génération en a bénéficié sans pour autant poursuivre le combat. Nous aurions dû reprendre le flambeau et nous faire le porte-étendard de la femme sénégalaise et africaine, libre et épanouie dans son environnement. Ce fossé crée aujourd’hui un glissement dangereux et un recul de ce combat mené par les femmes dans les années 60 et 70.
Vous avez fait vos études supérieures au Sénégal, en tout cas une partie, à l’ISM. Comment passe- t-on de jeune professionnelle au Sénégal à la job-trotter expatriée que vous êtes devenue?
(Rires)… En faisant mes études notamment à l’ISM qui m’a énormément apporté, je savais déjà que je n’allais pas m’enfermer dans « des boites ». Je suis une femme libre, mais vraiment, LIBRE… je ne me suis jamais imposée de barrières, et je refuse que l’on m’en impose. Dans mon esprit, ce monde n’a pas de frontières. Je suis sur terre et chez moi sur la planète terre. Découvrir, comprendre et accepter l’autre a toujours été une passion. Ces préceptes sont à la base de la vie que j’ai choisi de mener. Ensuite pour me réaliser à la hauteur de mes ambitions, je me suis très vite rendue compte que le Sénégal me limitait, et je suis persuadée que je n’aurais jamais pu mener une carrière pareille si j’étais restée au Sénégal ou en Afrique d’ailleurs. Ce qui est bien dommage, parce que je reste viscéralement attachée à ce pays. Mais c’était un choix : quitter le Sénégal et voir le monde, apprendre et déployer ses ailes, ou rester à l’ombre de nos baobabs, et regretter de n’avoir pas fait plus…. J’ai essayé un retour au pays natal, après plus de 15 ans passés à l’extérieur, mais cela a été catastrophique. Je n’ai plus la patience d’attendre que les choses marchent, je n’ai plus de patience pour la facilite ou pour la médiocrité, ni pour notre chauvinisme parce que nous nous prenons encore pour le centre du monde…. Je n’ai pas la patience de m’arrêter au Sénégal, pendant que le reste du monde tourne et virevolte… je veux faire partie de la marche du monde. Grand sentiment de frustration intérieure, frustrée d’avoir tant à donner, et de voir autant de barrières dans mon propre pays… J’ai donc décidé de plier bagages après un peu plus d’un an et d’aller m’installer au Canada. Belle terre d’accueil, je dois dire.
Femme et africaine noire en Occident, c’est toujours un challenge ?
Occident, c’est vaste, je vais mitiger, cela dépend. Femme et africaine noire en France particulièrement, ou en Europe (en dehors de l’Angleterre), cela doit être difficile. Je n’aurai jamais choisi de vivre en France, par exemple. Ils n’ont toujours pas compris ce que signifie la richesse de la pluralité, et payer des taxes dans un pays où on est mal considéré, non ce n’est pas ma tasse de thé. Moi migrante qualifiée, la France devra encore beaucoup faire pour m’attirer… L’Angleterre a été une expérience époustouflante pour moi, un pays où j’étais jugée sur mes compétences, ou un conseil d’administration « tout blanc »me recrutait pour un poste de directeur exécutif devant des postulants blonds aux yeux bleus. Il faut le faire, et je dis, seulement en Angleterre, qui reste une terre d’accueil à jamais. Même si ce n’est pas parfait, c’est là où j’ai vu le cosmopolitisme dans ses plus belles expressions. L’Amérique ? Sur le plan professionnel dans certaines multinationales, ils ont atteint un degré d’excellence difficile à égaler. Ils font des interviews de position senior par téléphone, et te propose le contrat de travail sur email, sans jamais t’avoir vue.
Le plus étrange, le plus paradoxal, est que la femme noire a plus de challenge en Afrique qu’en Occident…. (sic). On demande encore le CV avec photo… et je ne parle pas des autres irrégularités dans le monde des affaires ou des entreprises qui font que les femmes sont le plus souvent sujettes aux traitements les plus abjects. Il faut que nous puissions armer nos femmes de telle sorte qu’elle puisse dénoncer les irrégularités, et que ces irrégularités soient suivies de sanctions.. Il est temps que les hommes qui sont à des positions de pouvoir commencent à se dire qu’ils pourraient perdre leur job en cas de dénonciations… c’est la seule façon de renforcer les femmes dans les milieux professionnels.
Épouse et mère, vous tenez à garder votre nom de jeune fille comme nom usuel. Coquetterie, caprice ou combat de principe ?
Ah ça ! Combat d’une vie. J’ai gardé sur tous mes papiers mon nom de famille, celui que je tiens fièrement de mon père. Je ne me suis jamais définie à travers celui de mon époux. Le mariage me complète et m’apporte un plus, il ne me définit pas. Par contre, mon nom de famille me définit. Dois-je rappeler également que rien ne nous oblige, dans la religion musulmane, à prendre le nom du mari. Je disais souvent à mon mari « lorsque j’aurai passée autant de temps avec toi que j’ai passé avec mon père, je considèrerai le trait d’union »… ha ha ha !
Cela dit, c’est quelqu’un qui m’a toujours soutenue dans mes ambitions, allant plusieurs fois à l’encontre de ce que ses proches souhaitaient. Volontairement nous ne sommes jamais tombés dans les lourdeurs sociales, belles-familles, autres choses diverses que notre société sénégalaise aime imposer aux femmes… et vivre à l’étranger aide à garder cette distance.
J’essaie d’inculquer les mêmes principes aux enfants, qu’ils soient fiers de leur multiculturalité, le résultat d’années de vies au Sénégal, en Angleterre, au Kenya, au Maroc, au Canada, ils peuvent vivre partout et ne voient pas les couleurs de peaux ou les religions ou autres différences, ils voient l’humain. Mon fils ainé n’a jamais levé la main sur une femme, et je sais qu’il ne le fera jamais, s’il plait à Dieu. Ma fille, c’est moi puissance 10, car elle n’a peur de rien. Le changement se fera d’abord chez nous, dans nos foyers, dans nos familles. Il va falloir casser certains codes et en recréer d’autres nous permettant de pouvoir enfin jouir de tous nos potentiels.
Votre journée préférée, au plan symbolique, à part celle du 8 mars ?
Je suis dans ma phase Tupac Shakur… (shocking !! rires) … Je lis tous ses écrits et regarde tous les reportages. Quel homme ! L’homme qui chanta la femme noire. L’homme qui chanta « Dear Mama »… Il était authentique, et j’ai toujours été à la recherche d’authenticité. Donc la semaine du 7 septembre, le jour où il est devenu une légende, j’espère que j’irai célébrer à Compton (grand sourire).
Enfin, si on vous demandait d’inspirer les fillettes africaines d’aujourd’hui. Que leur diriez- vous ?
Les études, l’éducation que vous recevez chez vous et à l’école, personne ne peut vous le prendre, et c’est la clé de votre réussite. Donc allez faire vos études. Etudiez ce qui vous passionne, au lieu d’étudier pour faire comme tout le monde. Rien n’est figé. Refusez les carcans, soyez libres car Dieu nous a données cette force, d’être femme, mère, épouse, sœur, mais libre. Only God can judge you.
Propos recueillis par Seynabou Cissé