Guillaume Boyer est arrivé à Dakar en septembre 2015. Il a quitté un emploi à Lyon pour se lancer dans une aventure entrepreneuriale ardue : l’élevage de poulets en Casamance. Il raconte ses péripéties et la grande aventure de Dokkal.
Que faisiez-vous avant d’arriver à Dakar ?
Guillaume Boyer : Je travaillais dans le financement d’entreprises, pour Total, à Lyon. Je venais de me marier avec ma femme qui travaillait pour les Nations Unies, à Genève. Elle a passé une partie de sa jeunesse au Mozambique, moi à Dakar et en Côte d’Ivoire. Nous avons aussi déjà été, l’un comme l’autre, au Cameroun et en République Démocratique du Congo. Dakar a été pour nous le moyen de vivre ensemble. Quand nous sommes arrivés ici, pour moi, c’était la page blanche. Cependant j’avais déjà l’idée de créer quelque chose. J’ai passé ma vie à aider et conseiller des entrepreneurs, évidemment à la fin tu penses à entreprendre à ton tour.
Arrivé à Dakar, j’ai travaillé pour quelques start-up et organisations de réseautage. Cela m’a permis de comprendre le business et ce dont les gens avaient besoin au Sénégal. Je travaillais pour la mine d’or de Kédougou lorsqu’un ami m’a appelé pour me parler d’un projet de ferme : j’ai alors fait mes premiers pas dans le domaine agricole.
Où se trouve la ferme ? Pourquoi cette région ?
Le terrain se trouve en Casamance, à dix kilomètres de Ziguinchor sur la route 54, en direction de la Guinée Bissao. C’est une zone anciennement affectée par la guérilla. Lorsque nous nous sommes installés, il y avait des trafiquants de bois qui passaient par notre terrain, c’est une zone sensible.
Le chef de la commune de Borofaye Baïnouk, le chef Koly, a décidé de donner ses terrains à six notables du village, à condition qu’ils les valorisent et y fassent travailler les habitants. Mamadou Koladé, mon associé, est l’un des six notables qui furent choisis pour recevoir une parcelle de huit hectares. Il est descendant d’une des premières familles peules de Casamance.
Pour le moment nous sommes les seuls à avoir démarré : on a fait cimenter et défricher par les villageois, et le déplumage des poulets est effectué par les femmes du village.
Pourquoi des poulets ? Et pourquoi “Dokkal” ?
“Dokkal” veut dire “offrande” ou “générosité” en peul. Au début, nous avions pensé à cultiver et transformer les mangues ou les cajous, qui sont les spécialités de la région. Cependant des manguiers peuvent mettre cinq ans avant de donner des fruits. Nos poulets sont matures en quarante jours. Cependant il s’agissait d’un vrai challenge car en Casamance, un poulet est un mets de luxe. De plus, nous avions le désir de démarrer quelque chose qui resterait après nous, que quelqu’un pourrait reprendre sans trop de contrainte technique.
Quelles ont été les grandes difficultés dans la mise en place du projet ?
Je suis toubab, alors marchander les prix de la main d’œuvre, du matériel… Cela n’a pas été une mince affaire. L’eau aussi a été une contrainte très concrète : nous avons fait creuser un puit traditionnel mais la nappe ne s’est pas ressourcée. Nous utilisons maintenant des pompes solaires car nous n’avons pas d’électricité à la ferme. De plus, nous avons dû couper une partie de nos bananiers par manque d’eau.
Nous achetons les poussins à Dakar, car ce n’est pas possible d’en acheter autant en Casamance. Nous les transportons doucement, de nuit, mais s’il y a un peu de retard, les poussins ont vite soif. Beaucoup de réajustements ont été nécessaires depuis le début du projet : le sol en ciment s’effritait, ce n’était pas hygiénique. Nous avons ainsi arrêté toute la production pendant trois mois pour poser du carrelage.
Quel est votre rythme de production ?
Nous avons deux bâtiments, on peut élever 4000 poulets en même temps. On en élève 3000 en ce moment. Ce n’est pas une multinationale mais ce n’est pas mal. Nous avons produit 20 000 poulets jusqu’à maintenant, mais les premières fois, les rendements étaient très aléatoires. Nous vendons majoritairement en Casamance, et nous passons par des revendeurs pour l’instant.
Avez-vous reçu des aides financières ?
Au début, nous n’avons pas été aidés financièrement pour ce projet, et puis nous avons été subventionnés à hauteur de 40% à partir du moment où les banques ont accepté de nous faire un prêt. C’est le Bureau de Mise à Niveau de l’Agence Française de Développement qui nous subventionne, pour lutter contre l’immigration par la création d’emplois.
Comment sont élevés vos poulets ?
Ils sont élevés en plein air, avec tous les aménagements nécessaires à une production « éthique ». Malheureusement, nous ne pouvons pas revendiquer le label bio pour l’instant car nous vaccinons nos poulets. Sinon, les conditions de vie casamançaises les rendraient sujets à de trop nombreuses maladies. Nous élevons des Cob500 et des bleus de Hollande, qui sont des poulets très résistants, et malgré cela, il nous est déjà arrivé d’en perdre.
Que vous a apporté ce projet, personnellement ?
J’ai rencontré plein de personnes très aidantes, notamment les personnes proches de l’Océanium. Le réseau est bienveillant et j’ai reçu plein de conseils avisés. De plus, la Casamance, c’est le Sénégal que j’aime : le grand air et les paysages magnifiques. De plus, nous avons créé des emplois, une structure faite pour durer, c’est le plus important.
Qu’est-ce que vous aimez de votre vie au Sénégal ?
Le Sénégal jouit de paysages merveilleux. De plus, les gens y sont accueillants, proches de la nature. Peut-être moins à Dakar, mais à Dakar les avantages sont différents, cette ville offre la possibilité de rencontrer des gens du monde entier, de tous les milieux, qui font tous les métiers du monde.
Voyez-vous des points négatifs à votre vie au Sénégal ?
La bureaucratie ! La quête du tampon introuvable, les administrations où il faut toujours repasser demain… Et puis bien sûr, à Dakar les embouteillages et la pollution. J’ai une poussette chez moi, je ne sais même pas où je peux l’utiliser à Dakar.
Avez-vous des adresses à nous suggérer ?
Le jardin de l’alliance française à Ziguinchor est magnifique, on y voit de très belles cases à impluvium. Le restaurant “Le Perroquet”, face à la mer, à Ziguinchor aussi. Tu bois un verre face à la mer et tu vois un dauphin qui saute… C’est merveilleux!
Avez-vous un conseil à donner à un jeune entrepreneur qui veut se lancer au Sénégal ?
Il faut bien se faire accompagner, ne pas faire trop de démarches seul. De plus, il faut être réaliste : moi j’ai ralenti le tempo. Il faut se ménager et se laisser le droit à l’erreur. L’entrepreneuriat n’est pas une science exacte, c’est ça le plus important à retenir.
Avec Le Petit Journal