ET DIT TÔT (mis à jour le mardi 7 mai 2019 à 16h34)- Le lendemain du verdict le condamnant, ce mardi 7 mai, début officiel de Ramadan au Sénégal, le cheikh Béthio s’en est allé rejoindre son Seigneur et répondre à sa justice, laissant les hommes à leur justice d’homme. Béthio avait donc été condamné ce lundi 6 mai au matin par le tribunal de Mbour, à 10 ans de travaux forcés, au séquestre de ses biens et à allouer 100 millions de francs CFA à chacune des familles des deux victimes de Médinatoul Salam. Pour complicité de meurtre et non dénonciation de crime. Soit. Mais incarcérer le cheikh Béthio Thioune, c’est en soi un trouble à l’ordre public. Bethio n’est pas Alex ou Ino. Ni un agresseur de rue, qui dépouille en scooter le sac des honnêtes citoyens, sous la menace d’un couteau, en les amputant d’un pouce. Crime barbare, n’est-ce pas, pour lequel l’ex-député Benno Bokk Yaakar Moustapha Diakhaté s’avance peu honorablement à demander comme sanction l’amputation d’une main et d’un pied.
A l’heure de l’hallali médiatique, en 2012, j’ai eu à dire mon admiration pour le sieur Bethio Thioune, administrateur civil de formation et marabout-leader d’opinion doublé de gourou hypnotiseur, de métier. Pour l’écosystème religieux industrieux qu’il a créé de toutes pièces autour de sa personne, à partir d’une improbable rencontre il y a sept décennies avec celui qui allait devenir le Khalife général des Mourides, Serigne Saliou. Je le réitère à la veille du verdict de son procès, dans ce qu’on appelle « le double meurtre de Médinatoul Salam ». Pour un début de Ramadan serein, il ne serait d’ailleurs pas inutile de reporter le verdict du procès à la Korité prochaine ou à la Tabaski, plus propice aux immolations.
Au plus, Béthio Thioune peut être convaincu de complicité de dissimulation de crime, mais cela n’en fait pas l’ennemi public numéro 1.
Il a couvert de son manteau les agissements condamnables de ses ouailles ? C’est qu’il se sent responsables d’eux. Ce qui est louable pour un guide, accepté comme tel.
Ce n’est pas plus condamnable que les maquignons politiques adeptes de la transhumance, qui s’apprêtent à transporter leur bétail électoral de prairies bleues en prés brun-beige.
La responsabilité comme la culpabilité ne peut qu’être individuelle.
Elle n’est pas collective. Elle ne peut être affectée au leader, tenu pour commanditaire naturel de ce qu’il a couvert.
D’accord, il s’est fourvoyé plusieurs fois à donner des consignes de vote dans un mélange des genres pas recommandable ( et au moins une fois à prédire le trépas des deux victimes sur la TFM). Mais dans le premier cas, c’est Abdoulaye Wade qui le lui a gentiment demandé, de manière si insistante qu’il aurait été honteux de refuser. Dans le deuxième cas, il a dit le sort qu’il souhaitait aux deux futures victimes; comme l’on peut souhaiter à quelqu’un d’aller voir au diable
D’accord, en 2012, il a gonflé son fichier de talibés à 12 millions, mais tout le monde peut se tromper avec les fichiers et leur fiabilité est affaire de saison, comme on l’a vu lors de cette élection présidentielle de 2012 et à celle de 2019.
Bethio Thioune, élevé à la dignité de Cheikh, a donc été en prison. Avant d’en être élargi, bénéficiant d’une liberté conditionnelle pour raisons médicales.
En prison, il disposait d’un confort peu douillet, qui se résumerait à un frigo bar et à un double-lit dans sa cage dorée. Quand nous nous sommes renseignés, il n’y avait pas de bières dans le frigo et il n’était pas autorisé à recevoir l’une de ses sept femmes pour des moments d’intimité.
De sa septième épouse, parlons-en justement. Privez ainsi de lune de miel un homme dans la force de l’âge, au lendemain de ses épousailles ?
C’est un acte de torture et de barbarie qui devrait interpeller aussi bien les organisations de défenses de droits de l’homme que les militantes féministes.
En épousant sept femmes et en le laissant savoir (ce qui n’est pas le cas de tout le monde dans la sphère maraboutique), Béthio Thioune a fait la même chose que Macky Sall durant la campagne électorale de 2012, quand il promettait aux jeunes femmes de les aider à trouver un mari. Il a nourri l’espérance et il l’a comblé, lui.
Béthio interrogeait ainsi la pertinence dépassée et le statu quo mortifère d’un ‘‘marché du mariage’’ bloqué au Sénégal, où les mâles d’une classe d’âge doivent s’astreindre à attendre d’avoir le double de l’âge des femmes de leur génération, pour pouvoir prendre épouse au sein de la génération suivante. Où ceux qui en ont les moyens, dans la force de l’âge, prennent plusieurs femmes à des intervalles peu espacés, renversant la pyramide des âges hommes-femmes.
Tout cela à cause des pesanteurs sociales et du lourd protocole de dons et de contre-dons accrochés à l’institution sénégalaise du mariage.
Cet homme est un vendeur d’espoir et on n’emprisonne pas l’espérance.
Ce diable d’homme, déifié par certains suiveurs zélés, quand il organisait ces thiants sur l’ancienne piste, réunissait des centaines de jeunes, filles et garçons, sénégalais et étrangers, qui y communiaient dans la joie.
Ils y communiaient surtout autour de quelque chose qui est plus important que ripaille et bombances : la foi en l’avenir. Cela est un bien inestimable, pour lequel cet homme doit être conservé à sa place, dans la société sénégalaise en mal de repères. D’accord tout cela aurait du se passer sous un chapiteau ou dans une salle aménagé à cet effet, mais bon…
On l’accuse de détourner des jeunes du droit chemin que leur parents ont tracé pour eux, à force de sacrifice financiers et de principe d’éducation martelés ? Rappelons juste que les « jeunes » en question sont tous majeurs et vaccinés, en âge de voter à une élection à laquelle on désigne le Président de la République de ce pays.
Un marabout Mbackè-Mbacké de second rang dans l’ordre de la succession au califat général a appelé publiquement à ce que Béthio subisse les rigueurs de la loi et soit condamné à la perpétuité s’il le faut ? Je soupçonne plus une réaction épidermique de sa part, pour cause de concurrence déloyale que Béthio fait aux marabouts de naissance.
Rendez-vous compte : Béthio est né dans la caste des griots. Pourtant, il a réussi à crever le plafond de verre de la ségrégation par la caste qui régit les relations sociales sénégalaises, pour s’élever à la plus haute dignité qui y soit : marabout.
Le cheikh Béthio Thioune est l’incarnation d’un Sénégal où l’ascenseur social s’est remis en marche par des voies détournées, même si ce plus la République qui en assurait le service. Un Sénégal où, à force de conviction, de foi, de persistance et de bagout, on pouvait s’élever à l’échelon le plus haut de la voie qu’on s’est choisi.
La place de Béthio Thioune, arrêté par une escouade de 400 gendarmes, n’est pas en prison.
Elle est à la tête d’un grand organisme national d’encadrement civique des jeunes.
Oublions la voie pénale. La moralité de son avocat Me Ousmane Séye est bien plus douteuse que celle de l’accusé Béthio !
Béthio a aujourd’hui 81 ans. Il se soigne à Bordeaux ou en tout cas le prétend, ce dont on peut bien lui donner crédit.
Qu’il soit donc condamné au civil à une réprimande pour excès de zèle dans sa mission de civilisation et à une peine de 300 jours de travaux civiques d’utilité publique, exécutés en toute liberté.
Que l’État du Sénégal indemnise à travers le Trésor public les familles des deux victimes.
Et qu’on n’en parle plus !
Ousseynou Nar Gueye
(publié dans une première version le 30 avril 2012)