Le 17 avril, 192 millions d’électeurs indonésiens ont été appelés aux urnes. Pour la première fois, ils ne venaient pas simplement voter pour le président et le vice-président, mais aussi pour renouveler les deux chambres du Parlement et désigner les membres de leurs élections locales. Au total, expliquait Libération, 245 000 candidats ont été départagés dans quelque 800 000 bureaux. Pour cela, 7 millions de volontaires ont été mobilisés pour dépouiller à la main les bulletins et organiser le vote.
Le 24 avril, Bloomberg écrit qu’au moins 100 de ces travailleurs sont morts de fatigue. Le 28 avril, ce chiffre passe à 270 selon Reuters. Début mai, les autorités dénombraient 496 décès. Selon le Jakarta Post, le nombre de volontaires dans les bureaux de vote et de «personnels de sécurité» décédés s’élevait, le 12 mai, à 583 morts. Les familles devraient être indemnisées selon la Commission des élections.
Sont-ils vraiment morts «d’épuisement» comme écrit dans la presse ? C’est ce qu’a annoncé le porte-parole de la Commission des élections générales (KPU). Selon plusieurs articles de presse, ces travailleurs ont été réquisitionnés pendant au moins vingt heures d’affilée en moyenne le jour du dépouillement, et «ils sont nombreux à avoir dépassé les vingt-quatre heures».
Pour Jesse Hession Grayman, professeur à l’université d’Auckland en Nouvelle-Zélande, qui travaille sur les politiques de santé publique en Indonésie, ce chiffre est en effet inhabituel, mais resterait dans la fourchette du taux de décès des travailleurs indonésiens. A CheckNews, il précise que «des investigations épidémiologiques sont nécessaires», mais «il semble probable que le nombre total de morts tombe dans les marges d’erreur acceptées pour les taux de décès de l’ensemble de la population de ces plus de 7 millions de travailleurs dans les bureaux de vote dans l’archipel». Selon des données de la KPU, citées par le Jakarta Post, les personnes décédées étaient âgées de 50 à 70 ans.
Pour les élections législatives de 2014, bien moins importantes que ces élections générales de 2019, «seules» 144 personnes étaient mortes relève le chercheur, par rapport à 500 aujourd’hui. Mais «à partir de quel moment devrait-on arrêter d’attribuer ces morts à leur épuisement lié aux élections, quand le travail le plus dur était il y a plus de trois semaines ?» s’interroge-t-il.
Le ministère de la Santé indonésien a étudié les 377 décès survenus dans quinze provinces (sur trente-quatre). Dans un communiqué du 11 mai, il explique que treize maladies sont à l’origine de ces décès. Parmi elles, «l’infarctus du myocarde, l’insuffisance cardiaque, le coma hépatique, les accidents vasculaires cérébraux, l’insuffisance respiratoire, l’hypertension, la méningite, la septicémie, l’asthme, le diabète sucré, l’insuffisance rénale, la tuberculose». Certains sont aussi morts dans des accidents de la route. La majorité sont morts d’AVC ou de crise cardiaque. «Les gens qui meurent de fatigue meurent souvent d’AVC ou de crise cardiaque», souligne par ailleurs Jesse Hession Grayman. Pour le ministère de la santé, d’autres facteurs que l’épuisement sont toutefois responsables de leur mort.
Selon le président de l’association des médecins indonésiens, citée par le Jakarta Post, «l’épuisement n’est probablement pas la cause de leur mort. Cependant, un état de fatigue peut déclencher et exacerber d’autres problèmes de santé. De nombreux scrutateurs souffraient en fait de problèmes cardiaques, d’hypertension, de diabète et d’autres maladies qui ont été aggravées par le manque de sommeil, d’eau et par un environnement de travail malsain».
Face à la polémique, un candidat de l’opposition a demandé que des autopsies soient réalisées. Un groupe d’universitaires observateur des élections s’est par ailleurs associé avec une université de médecine pour enquêter sur ces décès. La Commission nationale des droits de l’homme a aussi ouvert une enquête, et annoncé qu’elle publierait ses conclusions avant le 22 mai, jour où les résultats officiels des élections doivent être rendus publics.
En résumé, plus de 500 volontaires travaillant dans les bureaux de vote et au dépouillement des bulletins et policiers sont morts depuis le scrutin historique du 17 avril. Ils sont morts d’épuisement selon la Commission des élections alors que 7 millions de personnes ont été mobilisées pour dépouiller les votes de ceux parmi les 192 millions d’électeurs qui se sont exprimés à l’occasion des élections présidentielles, générales et locales le même jour. Des enquêtes doivent encore être menées mais, selon le ministère de la santé et l’association des médecins indonésiens, les personnes décédées souffraient souvent d’une autre condition médicale, aggravée par l’épuisement. Selon un chercheur néo-zélandais, le taux de mortalité de ces 500 personnes sur 7 millions ne serait pas supérieur à celui des travailleurs en Indonésie.