L’Institution Sainte Jeanne d’Arc vient de prendre la décision d’interdire le port du voile à partir de la rentrée prochaine, jetant l’émoi et un vent de révolte parmi les élèves et parents concernés. Cela se comprend aisément du fait que ces jeunes filles y poursuivent leur cursus depuis de nombreuses années et qu’elles seront obligées de renoncer à une conviction profonde ou s’inscrire dans un autre établissement.
Les conséquences pratiques d’une telle mesure
Nombre de ces élèves ont choisi L’ISJA pour la qualité de son enseignement et son projet pédagogique d’ouverture et de rigueur. Parmi elles, des raisons pratiques de proximité géographique ou parce qu’elles poursuivent le cursus d’enseignement français.
Celles qui suivent ce cursus verront la porte du lycée Jean Mermoz fermée. Il ne leur restera comme opportunité que l’école Sainte Marie de Hann, si pour autant elle se mettrait à braver les prétendues « valeurs chrétiennes » de mixité et d’interdiction du voile. En conséquence, celles qui ont la nationalité française ne pourront plus disposer de bourse, celle-ci étant exclusivement réservée aux élèves qui sont inscrits dans un cursus français.
Ainsi, de façon générale, si l’Église catholique est conséquente avec elle-même, ses nouvelles valeurs devront être imposées dans toutes ses écoles et institutions. En conséquence, celles qui ont la nationalité française ne pourront plus disposer de bourse, celle-ci étant exclusivement réservée aux élèves qui sont inscrits dans un cursus français. Elles seront ainsi soumises au chantage, le voile ou la bourse.
En toute logique, ce seront encore une fois les jeunes filles qui seront sacrifiées sur l’autel des nouvelles crispations identitaires importées en réalité d’Europe et en particulier de France, ces valeurs n’ayant rien de catholique. Elles sont mises en exergue par les nationalistes identitaires français et leur islamophobie morbide, drapant leur combat de laïcisme d’exclusion.
Des arguments maigres noyés dans une proclamation élogieuses de belles intentions et réalisations
Dans sa réponse au Ministre de l’Éducation Nationale sur la mesure d’interdiction du voile à L’ISJA, le Conseil National du Laïcat du Sénégal enrobe pèle mêle, dans une « défense et illustration » des valeurs de l’Église, proclamation de son apport économique, social, et éducatif immense, dont le but est d’enrober quelques maigres arguments précis relatifs à la mesure controversée. Ceux-ci peuvent être regroupés selon deux aspects :
ce qui relève du corps de la femme d’une part : la jeune fille ne dévoile ni sa chevelure, ni certaines partie de son corps. Elle n’a pas de contact physique avec son camarade,
ce qui a trait à la relation sociale d’autre part.
Le seul argument pertinent parmi les raisons évoquées par cette association des laïcs catholiques, ainsi qu’ils se nomment, a trait au refus de certaines élèves de respecter la pratique de la gymnastique. Cela est effectivement inadmissible. Celles-ci doivent être tenues de respecter strictement le programme d’enseignement. Par contre, si c’est la tenue de sport qui est en cause parce qu’elle dénuderait une partie du corps, il est tout à fait possible, pour des esprits d’ouverture et de bonne volonté, de s’accorder sur une tenue appropriée (jogging par exemple) aux couleurs de L’ISJA.
Un second argument, même s’il peut sembler compréhensible, relève malheureusement de la stigmatisation quand il dit « qu’il a été relevé que certains élèves identifiables à partir de leur port vestimentaire, se regroupent par affinité et se démarquent de leurs autres camarades ». Il concerne le fait de chercher à s’asseoir à la même table qu’une camarade, vouloir en suivre une dans les rangs…. Cela mérite-t-il réellement une exclusion ? Ne serait-il pas plus judicieux de mener un travail pédagogique avec les élèves, les parents et des associations religieuses pour aplanir cette barrière et la ramener aux tendances ressenties par nombre d’enfants et d’adolescents des deux sexes, de toutes origines ou appartenance religieuse ou culturelles à se regrouper spontanément par affinité de genre. Une telle approche pédagogique serait bien plus féconde et riche d’apaisement et d’ouverture à l’autre et couperait court aux exploitations sectaires, mais non moins réelles, de certains.
Nos familles, aussi bien sénégalaises de souche que libano-sénégalaises, sont composées de couples et de parentelle islamo-chrétiens, y compris de fratries des deux religions. Elles coexistent harmonieusement dans le respect des pratiques respectives des uns et des autres. Certaines de ces jeunes filles voilées ont certainement des frères ou sœurs, beaux-frères ou belles-sœurs, tantes ou oncles chrétiens. Comment décréter alors que cette coexistence deviendrait impossible au sein d’une enceinte scolaire ?
Ne pas dévoyer un Laïcat d’ouverture
Le Laïcat dans l’Église, mis en place par Vatican 2, a pour objectif de promouvoir les valeurs chrétiennes dans la société et les Institutions, C’est une manière, en utilisant les principes fondamentaux de la laïcité qui l’avait exclut du pouvoir et réduit fortement et durablement son influence, de retrouver ses attributs et son rayonnement. C’est tout à son honneur, comme toute grande religion, philosophie ou idéologie qui cherche à promouvoir des valeurs universelles de partage, de solidarité et de cohabitation. Il serait par contre déplorable que certains, catholiques musulmans, juifs, bouddhistes, hindouistes, animistes, athées ou tout autre, en profitent pour pour promouvoir le sectarisme et le rejet.
L’exclusion est toujours un acte lourd de conséquences et engendre des dynamiques que chacun rejette a priori, mais dont les conséquences sont imprévisibles et peuvent être désastreuses. On a vu en France où cette dynamique a mené : de l’exclusion de deux jeunes filles voilées de leur collège en 1989 à la nouvelle vague islamophobe qui sévit dans toute l’Europe et n’a d’égal que la vague d’antisémitisme des années de l’entre-deux-guerres. On en connaît les sinistres conséquences.
Pour autant, quant aux pratiques de certaines écoles privées évoquées dans cette lettre, disons le nettement, le lycée Jean Mermoz interdit le voile alors que l’école Al Zahra l’impose :
ni le lycée Mermoz ne peut se draper de son statut d’établissement français pour interdire le voile. Ni l’école Al Zahra ne peut évoquer la religion pour imposer le voile ou la participation aux cours sur l’islam.
Remettre les pendules à l’heure
Le règlement de ces établissements doit être conforme à la loi et à la Constitution du Sénégal.
Il appartient à l’État de s’appuyer sur cette crise, avec discrétion et fermeté, pour remettre les pendules à l’heure concernant les uns et les autres et mettre chacun devant ses responsabilités à travers un dialogue d’ouverture et de respect de cohabitation au sein de tous les établissements, scolaires ou non.
Le Sénégal, dans cette période si troublée, a plus que jamais besoin de stabilité, d’esprit de dialogue et d’ouverture, certainement pas de dérives vers des crispations identitaires aux conséquences aussi imprévisibles que néfastes. Cela est aussi la responsabilité de chacun, et en particulier des autorités morales de toutes obédiences de notre pays.
Scandre HACHEM (Libano-Sénégalais vivant en France)