Europe, Afrique, musique, islam : Youssou Ndour aborde tous les sujets, après la sortie de son dernier album international : « History ». Le roi du mbalax a été en concert le 18 mai au stade de Vitry-sur-Seine. Il était en concert à Brooklyn (New-York) ces vendredi 31 mai et samedi 1er juin, un mois après la sortie de l’album, présent dans les bacs depuis le 26 avril. Il sera le 8 juin à Forest (Belgique) et le 20 juillet aux Nuits de Fourvière, à Lyon.
Youssou N’Dour arbore une chemise blanche soignée tout en buvant à petites gorgées son café crème. Décontracté, il se définit comme un « happy man », glisse au fil de la conversation en français des « no problem », « all right » et « cool », avant de filer prendre son avion pour retourner chez lui, à Dakar. Qu’il semble loin ce jour de 2012 où le chanteur annonçait sa candidature à la présidence sur sa chaîne de télévision TFM ! À l’époque, il se rallie finalement à la candidature de Macky Sall, qui détrône Abdoulaye Wade et qui fait du chanteur son ministre de la Culture et du Tourisme (2012-2013).
Aujourd’hui, Youssou N’Dour est un simple ministre-conseiller du président Macky Sal, réélu en février 2019. Cela lui laisse plus de temps pour se consacrer à sa passion : la musique. Touché il y a un an par la mort de son ami bassiste, claviériste et multi-instrumentiste Habib Faye, il sort ce vendredi 26 avril un nouvel album éclectique, History (Naïve Records). Il y dédie notamment une chanson à celui qui fut le directeur musical de son Super Étoile (voir clip ci-dessous) et qu’il décrit, la gorge nouée, comme « l’architecte de sa musique ». À 59 ans, la star du mbalax (musique populaire sénégalaise) et interprète en 1994 du duo « Seven Seconds » avec Neneh Cherry a mûri. Dans ce disque, il parle beaucoup d’amour, de valeurs, et puise son inspiration dans tous les styles africains d’hier et d’aujourd’hui. Entretien.
Comment est née l’envie de faire cet album ?Youssou N’Dour :L’année dernière, j’ai perdu Habib Faye, un compagnon, un très grand musicien, et j’ai voulu saluer sa mémoire en écrivant une chanson. Cela m’a ensuite plongé dans l’histoire de la musique sénégalaise et africaine. Je suis ainsi arrivé à Babatunde Olatunji (1927-2003), ce grand percussionniste. Il fut un précurseur. Même Serge Gainsbourg l’a copié en France (il lui a volé trois musiques de Drum of Passions pour son album Percussions, dont le fameux « Akiwowo » devenu « New York USA », NDRL). Babatunde avait laissé ses derniers enregistrements à son neveu, qui me les a confiés. Puis, l’année dernière, je vais à Lagos pour célébrer Fela dans son club du Shrineet j’en sors avec l’envie de terminer ces chansons avec un jeune Nigérian, Spotless, qui a travaillé sur mon album Africa Rekk (2016). Ce disque s’est fait au fil des rencontres. Mon petit frère m’a ainsi présenté une jeune femme exceptionnelle, Seinabo Sey, une métisse suédoise, sénégalaise et gambienne, qui m’a dit que ma chanson « Birima » l’a bouleversée. Alors, nous l’avons récréée ! Au lieu d’« History », c’est un album qui aurait pu s’appeler « Partage ».
Finalement, vous revisitez plusieurs de vos chansons avec un son de 2019…
Il y a un grand philosophe marabout Cheikh Ahmed Tidiane Sy qui disait : « C’est bien de ressembler à son père, mais c’est mieux de ressembler à son époque. » Ces mélodies et ces chansons sont là depuis longtemps et arrangées aujourd’hui différemment grâce à la nouvelle génération africaine.
Les jeunes Africains regardent trop l’Occident comme l’eldorado.
La foi et notamment l’islam sont très présents dans votre vie et musique…
La foi est très importante pour moi. C’est sacré. On ne se pose pas de questions. Je ne crois pas les gens qui n’ont pas de valeurs. Nous avons aussi un devoir de transmission aux enfants. L’islam est une religion de paix et de tolérance. Le premier mot qu’on prononce, c’est « assalamu alaykum » qui signifie « paix pour tout le monde », et pas seulement pour les musulmans ! Arrêtons d’associer l’islam au terrorisme. Dans toutes les religions, il y a des extrémistes.
Votre chanson « Confession » évoque la vie d’un immigré qui va soutenir sa famille et le titre « Makoumba » parle d’un jeune prié d’aller bosser…
Oui, car à travers mes chansons, outre le fait de faire plaisir, j’essaie de faire passer des messages aux jeunes qui ont perdu certaines valeurs ou aux parents qui ont démissionné de l’éducation de leurs enfants. C’est important, la valeur du travail.
Comment l’Afrique peut-elle aujourd’hui éviter de voir ses jeunes quitter le continent ?
Ce n’est pas un problème simple à résoudre. Je crois qu’on ne propose pas assez d’options aux jeunes. L’éducation, c’est d’abord les parents. Ensuite, il y a l’école. Si les jeunes ne réussissent pas à l’école, il faut leur proposer une formation pour s’en sortir. À l’instar des pays de l’Occident, il faut développer plus la formation professionnelle, qui devrait être obligatoire. En Afrique, nous avons des besoins dans des domaines où nous n’avons pas assez de main-d’œuvre qualifiée. Au Sénégal, il y a des réformes en cours, mais ce n’est pas encore assez, il faut accélérer.
Si les jeunes ne trouvent pas de boulot et voient les familles de ceux qui sont partis en Occident avec une meilleure vie matérielle grâce à l’argent envoyé, ils vont regarder l’Occident comme l’eldorado et vouloir y aller à tout prix. Aujourd’hui, plus de 60 % des Africains ont moins de 25 ans. Il faut des réponses, sinon, cela va toujours être ces images terribles de migrations, ces va-et-vient.
Une Afrique faible, c’est une Europe faible.
Trouvez-vous les Européens intolérants ou condescendants vis-à-vis des Africains, notamment quand on parle de migrations ?
En Europe, quand les politiques n’ont pas de réponses pour les citoyens, notamment sur le plan économique, la première chose qu’ils font est de parler d’immigration en disant : « Il y a trop d’immigrés. » C’est comme un réflexe. Et ils arrivent à séduire des gens qui votent pour eux, car ils ont peur de perdre leur travail. Cette attitude est déplorable. La montée du racisme est inquiétante.
C’est surréaliste de voir un sommet européen juste parce qu’il y a un bateau de migrants qui veut accoster en Espagne ou en Italie. Les Européens ne doivent pas sombrer dans des accusations faciles envers les migrants africains. Ils ont une responsabilité vis-à-vis des jeunes Africains. Il faut des politiques en amont et la coopération entre l’Europe et l’Afrique doit être du « win-win » (gagnant-gagnant). L’Europe doit comprendre qu’une Afrique forte est forcément une Europe forte. Une Afrique faible, c’est une Europe faible, et donc une France faible vu nos liens historiques. Sur le plan économique, l’Europe doit aussi ouvrir ses marchés pour l’Afrique. En France, on compte, hélas, sur les doigts de la main les entreprises sénégalaises.
Pourquoi êtes-vous resté domicilié au Sénégal ?
Je suis très attaché à mon pays et je pense que ma musique a besoin de mon pays. La musique, ce n’est pas que de « l’entertainment ». C’est une force qu’on peut utiliser pour faire avancer les choses. Très jeune, je me suis engagé dans les droits de l’homme. À Washington, j’ai lutté avec d’autres pour avoir plus de moyens contre le paludisme et effacer la dette du pays. Au Sénégal, j’ai toujours mon Groupe Futurs Médias, qui détient le quotidien L’Observateur, la radio RFM et la chaîne TFM et où cinq cents personnes travaillent. Mais je ne m’en occupe pas, je ne suis pas journaliste. Ces investissements ne sont pas pour gagner de l’argent, mais d’abord pour partager, donner du travail aux Sénégalais. Comme j’ai eu la chance d’être célèbre, je reçois et je donne. Et ce groupe permet de tendre le micro à tout le monde, d’aider au pluralisme des idées et à la démocratisation du pays.
Le Sénégal est bien parti pour être une vitrine de l’Afrique pour la démocratie et le développement.
Vous avez été ministre de la Culture et du Tourisme. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
Avant d’accepter le poste de ministre de Culture et du Tourisme en 2013, j’ai demandé des conseils au musicien brésilien Gilberto Gil qui a été ministre pendant cinq ans. Ce que j’en retiens, c’est qu’en dehors de la politique on pense qu’il suffit d’être aux manettes et d’appuyer sur des boutons pour que tous les problèmes se résolvent. En réalité, en travaillant à l’intérieur d’un gouvernement, on se rend compte que ce n’est pas aussi évident. J’ai proposé des réformes. Certaines ont été poursuivies, d’autres pas. Cela reste pour moi une très belle expérience. Le principal problème est qu’en étant ministre je n’ai pas pu exercer ma passion pour la musique. Aujourd’hui, je suis ministre-conseiller. Concrètement, j’évoque avec le président Sall des directions qui peuvent être suivies pour le bien du Sénégal. Cela me laisse ma liberté pour faire ma musique.
N’ambitionnez-vous pas d’être président comme ce fut le cas en 2012 ?
Aujourd’hui, ce n’est pas le débat ni l’intérêt du Sénégal. Je n’ai aucune carrière politique. Je me suis engagé en 2011 quand il y a eu cette tentative de changer la Constitution. Je suis un homme libre, un « happy man », j’ai réussi ma vie, je touche du bois. Ce qui m’importe, c’est que mon pays puisse profiter de mon expérience, de mon réseau, et qu’il soit stable.
Comment va aujourd’hui le Sénégal sur le plan politique et économique ?
On vient de sortir des élections avec la réélection Macky Sall qui a une vision du pays avec le Plan Sénégal émergent. Au bout de sept ans, le président a accompli énormément de choses. C’est impressionnant toutes les nouvelles infrastructures, notamment pour l’agriculture.
Mais cela n’est pas suffisant. Macky Sall a un deuxième mandat pour des réalisations plus concrètes et rapides. Le Sénégal est un petit pays de 15 millions d’habitants, mais un grand pays par ses ressources, sa culture et ses grands hommes, à l’image de Senghor. Nous avons récemment découvert des richesses naturelles, comme le pétrole et le gaz. Il faut qu’on arrive à les transformer, pas juste à les vendre. Cela pour nous permettre d’être un pays plus stable et donner du travail aux jeunes. Nous avons encore des réponses à donner. Mais si nous restons sur nos valeurs, le Sénégal est bien parti pour être une vitrine de l’Afrique pour la démocratie et le développement. Mais il ne faut rien lâcher. Chacun doit être responsable et jouer sa partition.
Quel regard portez-vous sur les événements en Algérie avec le début de l’ère post-Bouteflika et le Soudan avec le renversement par l’armée du président Omar el-Béchir le 11 avril sous la pression de la rue ?
Je salue la force du peuple et des jeunes qui savent ce qu’ils veulent et n’acceptent plus l’usure du pouvoir, les prolongements, les dictatures et s’expriment de manière non violente. C’est d’autant plus remarquable qu’à Paris on voit beaucoup de violence aujourd’hui. Mais l’Afrique ne doit pas tomber dans l’autosatisfaction. Il y a encore énormément de choses à mettre en place. L’Afrique est un continent où tout est encore à faire.
* « History » (éd. Naïve Records), sorti le vendredi 26 avril.