Reportage à Casablanca, au Maroc, du Point, qui conclue que si une « start-up mania » s’est emparée du continent, force est de constater qu’il lui manque un écosystème local adéquat et inclusif à même de permettre aux jeunes pousses de mieux grandir.
En Afrique, les événements dédiés à l’entrepreneuriat se multiplient… Mais ne se ressemblent pas. Le 12 juin, au Most Events, nouvel espace dédié à l’événementiel adossé au centre commercial Anfa Place, à Casablanca, s’installent sur les étals des drones, thés, équipements solaires, sacs à main et foulards prêts à poser, sans oublier d’autres créations made in Africa, du Burkina au Sénégal, de la RD Congo au Gabon, jusqu’à l’Éthiopie et Maurice. Le cadre choisi : celui de la 7e édition d’Hub Africa commençant tranquillement… mais sûrement !
« Êtes-vous prêts à nous livrer une tonne ? » « Nous prévoyons 2 à 3 millions d’euros de chiffre d’affaires dans les prochaines années. » « Nous n’avons pas besoin de fonds, mais d’un partenaire pour nous lancer à l’international. » Malgré leur jeune âge, les entrepreneurs et entrepreneuses montrent des signes de maturité inattendus. Tant à titre personnel que concernant leur start-up prête à décoller. En effet, avant d’accéder à la finale qui se tient pendant la grand-messe annuelle d’Hub Africa, ces start-uppers sont passés par une pré-sélection organisée dans le cadre d’un pitch road show mené à Dakar, Tunis, Casablanca, Kigali et dans d’autres capitales du continent, ainsi qu’à Paris et Bruxelles pour aller à la rencontre de l’innovation sur le continent et au sein de la diaspora.
« L’écosystème financier n’est pas prêt »
Le thème d’ailleurs de cette 7e Hub Africa, « Open innovation », est une invitation à libérer la créativité portée par cette nouvelle génération d’entrepreneurs. Lesquels font aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. De celle des politiques à celle des acteurs du secteur privé en passant par les partenaires au développement. Mais au-delà des discours, quelle est la tendance ?
« Honnêtement, les PME africaines vont mal ! » assure Didier Acouetey, président d’AfricSearch et fondateur du SME forum. Fort de son expérience, aux côtés de ces PME depuis des années, il poursuit : « L’effet de discours nous fatigue un peu. Même si tout le monde en convient que les PME sont le moteur de l’économie, qu’il est désormais admis que ce sont elles qui créent l’emploi, quand on voit au niveau de la Banque mondiale et de ses dépendances le gap de financement des PME qu’on estime à plus de 80 milliards d’euros, il y a une vraie discontinuité dans le discours et un manque de logique dans l’approche des PME que nous avons. Les start-up ont un peu plus de chances parce qu’il y a une espèce de narrative Africa rising, mais on oublie effectivement que si l’on veut créer ces 15 millions de jobs pour ces jeunes qui arrivent et avoir ces champions, il est indispensable de renforcer l’écosystème d’accompagnement des PME. »
Il faut s’attaquer, selon lui, à la question centrale : celle du financement. « L’écosystème financier n’est pas prêt. Certes, on voit des agences, des fonds de garantie, de soutien aux PME… Mais ça ne fonctionne pas ! La question de l’accompagnement de l’écosystème qui va permettre à ces PME de passer du point 1 au point 2 puis au point 5, et d’accélérer son développement, est fondamentale et malheureusement fait encore défaut. »
« Pour avoir des entreprises solides, il faut avoir des institutions solides »
Pour preuve, si les concours de start-up se multiplient sur le continent, avec des lauréats de plus en plus innovants, passionnés et passionnants, peu d’entre eux arrivent à maturité sur leur marché local… encore moins à devenir les licornes qui vont aller conquérir les marchés internationaux. « La raison est simple, explique Aphrodice Mutangana, fondateur de kLab, un pré-incubateur installé à Kigali. Nous n’avons pas cet écosystème intégré. Pour avoir des entreprises solides, il faut avoir des institutions solides. Si la Silicon Valley et d’autres lieux de haute technologie ont réussi à obtenir ces résultats, c’est parce qu’ils ont réussi à réunir tous les acteurs impliqués. Les talents, les acteurs publics, pour le cadre législatif, les universités et écoles de formation, et enfin, les investisseurs. C’est ce qui fait qu’ils ont des licornes. Pourquoi en Afrique nous n’avons pas de licornes ? Parce que nous n’avons pas encore cet écosystème. »
Des exemples à suivre comme kLab
Du moins pas encore. Car kLab, parmi d’autres, affiche précisément la particularité d’avoir créé cet espace inclusif. « À kLab, nous aidons les jeunes entrepreneurs à créer leur projet entrepreneurial. Pour cela, on a aujourd’hui le gouvernement qui a mis en place les politiques adaptées, et notamment les mesures de facilitation pour les jeunes entrepreneurs ; il y a le volet académique, nous avons des professeurs qui sont des mentors chez nous et nous accompagnent dans la production de ces talents. Ce qui manque aujourd’hui, ce sont les investisseurs. Est-ce que les Américains vont investir dans les entreprises africaines alors qu’ils doivent pour les rencontrer passer par des voyages de 20 à 30 heures ? Non, je ne crois pas. C’est à nous, Africains, de créer nos propres fonds d’investissement qui vont aller chercher aux États-Unis ou en Europe les fonds et vont investir dans nos entreprises. L’avantage, puisqu’ils connaissent la réalité du terrain, ils vont en plus apporter du conseil à ces entreprises. »
Sur le terrain, des signes encourageants
Une dynamique amorcée par Hub Africa il y a déjà 9 ans. Cette « plateforme des investisseurs et des entrepreneurs en Afrique », selon son slogan, créée par Alioune Guèye et Zachary Fahim, fédère différents acteurs, des start-up, TPE, PME ainsi que de grandes entreprises, et, c’est là le point focal, des fonds d’investissement. « Il y a effectivement une sorte de start-up mania qui s’est emparée du continent et qui a vu une prolifération de start-up, dont certaines ne le sont que de nom. Il est déjà extrêmement important qu’il y ait cet enthousiasme, cette envie de créer, admet Alioune Guèye, avant de nuancer : En revanche, quand on regarde les standards, la question de la masse critique de ces pépites qui vont devenir demain des licornes, il y en a très peu. C’est la tendance un peu partout. Mais sur le continent, faute d’accompagnement, d’encadrement, de financement… elles en pâtissent davantage. Même si nous avons de très bons exemples d’entreprises nigérianes, sénégalaises, marocaines qui sortent du lot. Sur ce plan-là, c’est aussi de la responsabilité des structures d’accompagnement de ne pas être simplement dans le nombre, mais dans la qualité des projets qu’ils accompagnent. De manière justement à faire émerger des pépites qui attireront le capital et en feront les success-story que le continent attend. »
Un défi colossal à relever
D’autant que le défi est là. Pour aujourd’hui, avec plus de 20 millions de nouveaux emplois sur le continent tous les ans. Pour demain encore plus avec plus de 300 millions de nouveaux jobs à créer à l’horizon 2035. « Une poudrière » que l’État marocain s’évertue à désamorcer. À travers une synergie entre les différents acteurs concernés, responsables publics, patronat, agence publique, etc. « L’entrepreneuriat favorise l’innovation et porte l’image d’un pays. Notre plus grand challenge aujourd’hui est de bâtir les écosystèmes propices à la libération de cette innovation », analyse Zouhair Triki de l’Agence de promotion des investissements et des exportations (Amdie), qui compte un volet PME en son sein. « Le rôle du patronat est de faire en sorte que des initiatives soient prises par les acteurs publics, poursuit Salaheddine Mezouar, président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM). Nous travaillons sur le Small Business Act pour créer cet écosystème intégré. »
En attendant, d’autres pays l’ont précédé avec des projets, plus au moins ambitieux, comme Kigali Innovation City, Konza Technology City, ou « Silicon Savannah » au Kenya, Vitib en Côte d’Ivoire, Smart Tunisia, tous destinés à réunir sur un même site les acteurs locaux et les leaders mondiaux, afin de stimuler et d’accompagner le décollage des start-up locales et, avec elles, l’économie de tout un continent…