L’Afrique occupe la 3e place en termes de montants reçus de sa diaspora, derrière l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine. Plus que jamais, il importe de galvaniser les transferts pour un impact encore plus fort, écrivent Jean-Michel Huet*, Astrid de Bérail** et Melissa Etoke Eyaye** dans une tribune publiée par le Point.
Selon l’African Institute of Remittances (AIR), les transferts de fonds de la diaspora africaine ont atteint 65 milliards de dollars en 2017, soit plus du double de l’aide publique au développement des bailleurs de l’Afrique, qui était de 29 milliards. Il s’agit d’une hausse de 36 % en moins de dix ans, selon le Fonds international de développement agricole (Fida). Le continent occupe la 3e place en termes de montants reçus, derrière l’Asie-Pacifique et l’Amérique latine. Les deux tiers des fonds mobilisés par la diaspora servent d’abord de filet de sécurité social et pallient les besoins de financement de la vie courante. Si ces ressources répondent à de vraies problématiques du quotidien, elles n’irriguent que très peu les circuits formels de création de richesses : PME, projets de développement ou encore infrastructures. Comment capter cette manne financière au profit du financement des économies ? Quelles opportunités en termes de véhicules et outils financiers pouvant capter les ressources de la diaspora ?
Anticiper les nouvelles modalités de transfert d’argent
Western Union et MoneyGram représentent les deux tiers des points de transfert d’argent sur le continent, position dominante qui peut expliquer les commissions pratiquées : entre 10 et 15 % du montant envoyé, contre une moyenne mondiale à 7,8 %. Des taux qui « font perdre » chaque année au continent près de 1,6 milliard d’euros, de quoi financer l’éducation dans 14 millions d’écoles primaires, d’après l’ONG Overseas Development Institute (ODI). La Banque mondiale dans ses objectifs de développement durable (ODD) ainsi que le G8 ont plusieurs fois exprimé leur désir de ramener ces commissions à 5 %, mais, faute de mesures incitatives ou coercitives, ils n’ont pas été écoutés.
À l’instar d’Orange qui a ouvert en juin 2018 sa première boutique Orange Money à Paris, donnant accès à quatorze pays d’Afrique, ce sont donc d’autres acteurs économiques qui ont décidé d’innover pour concurrencer les leaders historiques du transfert d’argent. De même, côté fintech, les propositions de valeurs sont nombreuses. Parmi elles, WorldRemit, créé en Somalie, effectue 300 000 transactions par mois pour un montant moyen de 90 millions d’euros. Ce système se passe de points physiques puisque les transactions sont gérées en ligne, permettant des commissions autour de 5 %. Citons également Beam au Ghana ou Bitpesa au Sénégal qui utilisent les bitcoins pour réduire les frais de commissions à 3 %. Enfin, la néo-banque Revolut propose d’envoyer une MasterCard à un proche, puis de l’alimenter à distance. L’ensemble de ces services est gratuit et les taux de change appliqués sont ceux du marché.
D’autres actions, qui pourraient être répliquées sur le continent, émergent en Asie et aux États-Unis. Comme WeChat, premier réseau social en Chine (600 millions d’utilisateurs) qui a lancé son système de transfert d’argent. Aux États-Unis, Facebook et Snapchat ont tous deux inauguré leur service de transfert d’argent. Sur un continent où le mobile est devenu un outil puissant d’inclusion, l’envoi et la réception de fonds par téléphone est assurément l’avenir : à quand un service de transfert via WhatsApp, par exemple ?
Tirer profit de l’épargne thésaurisée
En plus des fonds envoyés, il existe un second marché, celui de l’épargne non envoyée. Pour la transformer en actif mobilisé pour le continent, les entreprises comme les États cherchent à proposer des produits ou services porteurs de rendement. Cette stratégie gagnant-gagnant dynamiserait, in fine, la création de richesses et d’emplois en Afrique. La capacité des opérateurs privés comme publics à favoriser la rencontre entre outils financiers adaptés et projets structurés constitue l’un des principaux leviers de captation de l’épargne de la diaspora.
Ainsi, de nouveaux services se développent, notamment dans l’assurance (rapatriement de corps, capital funérailles, sécurisation des retraites) ou encore l’immobilier. Des opérateurs variés s’y positionnent, d’Axa aux fintech.
Au Maroc, le secteur de l’immobilier représente plus de 40 % des investissements, contre 14 % pour le secteur productif. Il n’est donc pas étonnant que le crédit immobilier soit considéré par la diaspora marocaine comme le premier produit « sûr » d’épargne retraite.
Sécuriser les investissements grâce aux initiatives fintech
Les bailleurs de fonds tendent à privilégier le financement de jeunes pousses comme accélérateur du développement, de la même manière que des opérateurs privés comme Orange s’appuient sur les incubateurs locaux pour rester à la pointe des évolutions du continent. Capitaliser sur des opérateurs et véhicules formalisés peut être particulièrement pertinent pour les acteurs éprouvant des difficultés à entreprendre en Afrique (complexités logistiques, déficit de confiance dans les partenaires locaux…).
La diaspora peut elle-même proposer des solutions pour sécuriser les investissements sur le continent. Parmi les exemples de réussite dans ce domaine figure FiftyFor, plateforme de notation d’entreprises, qui pallie le manque de confiance dans les partenaires informels grâce à un algorithme permettant de noter sans bilans financiers grâce à l’évaluation par l’historique des actions. La donnée est capturée au niveau des applications de paiement mobile et les transactions sont évaluées. Le track record ainsi reconstitué permet de connaître le client et d’élaborer sa notation. Autres initiatives permettant d’instaurer un climat de la confiance : Afrikwity, plateforme d’equity crowdfunding, qui garantit un investissement sécurisé dans des start-up et PME africaines.
Attirer les fonds grâce aux initiatives étatiques
Les instruments de la dette souveraine, notamment l’émission de bons de la diaspora (diaspora bonds) figurent parmi les initiatives institutionnelles pertinentes pour mobiliser l’épargne de la diaspora. Pour les États, ces bons représentent une source de financement alternative aux emprunts sur le marché international ou auprès des institutions de Bretton Woods. Pour la diaspora, ils constituent un placement sûr, au rendement garanti, ainsi que l’occasion de contribuer au financement de projets structurants pour le développement du pays d’origine. Depuis les années 2000, seuls cinq pays, principalement en Afrique anglophone, ont émis des diaspora bonds : Éthiopie, Ghana, Kenya, Nigeria et Rwanda. En 2017, le Nigeria a émis avec succès ses premiers bons : 300 millions de dollars dédiés aux projets d’infrastructure.
En définitive, les diasporas africaines sont créatrices de valeurs au nord comme au sud. L’enjeu, pour les États africains, réside dans leur capacité à proposer des dispositifs adaptés. Il semble judicieux d’opter pour une approche hybride. Cette démarche reposerait sur deux fondements :
– allier initiatives privées (fintech, opérateurs télécoms…) et publiques (levée de fonds) ;
– capitaliser sur les verticales d’activités en structurant des véhicules financiers spécifiques à des secteurs jugés prioritaires pour le développement (exemple : fonds diaspora dédié à l’éducation ou à l’énergie, produits clés en main pour l’accès à la propriété immobilière).
Mais, au-delà des initiatives étatiques, la diaspora a intérêt à transformer ce challenge en opportunité business en créant elle-même les outils lui permettant d’injecter des capitaux dans les économies africaines.
* Associé BearingPoint.
** Consultante BearingPoint