Le Point fait un portrait du premier président de la Gambie indépendante, Sir Dawda Kairaba Jawara qui a eu un destin qui s’est confondu avec celui de la lutte pour la souveraineté de son pays et de l’Afrique.
« C’est avec peine que j’ai appris la disparition de Sir Dawda Kairaba Jawara, premier président de la République de Gambie indépendante. Mes condoléances émues et celles de la nation à mon frère président Adama Barrow et au peuple frère de Gambie. » Si le président sénégalais Macky Sall s’adresse en ces termes à son voisin gambien, c’est que le pays vient de perdre l’un des symboles les plus forts du panafricanisme, l’ancien président Dawda Jawara, que l’on écrit plus souvent Daouda Diawara sur le continent. Avec sa mort survenue le 27 août dans la commune gambienne de Bakau alors qu’il avait atteint les 95 ans, c’est tout un pan de l’histoire récente du pays qui disparaît. Une histoire intrinsèquement liée à celle du Sénégal, qui l’entoure entièrement.
Un fort ancrage gambien, un destin lié au Sénégal
Le lien qui unit les deux pays ouest-africains a atteint son apogée institutionnel sous le pouvoir de Dawda Jawara, il y a quarante ans. Le 30 juillet 1981, une tentative de coup d’État est perpétrée à Banjul par, entre autres, des membres d’un Conseil dit de gauche révolutionnaire. Le président Jawara, en visite à Londres, demande de l’aide au voisin sénégalais. Le lendemain, 400 militaires de l’armée sont envoyés à Banjul. Le 6 août, ils sont plus de 2 700 à vaincre les forces rebelles. L’opération, baptisée « Fodé Kaba II », a été rendue possible par un traité de défense qui lie les deux pays depuis 1967. En cas d’attaque, le Sénégal se doit de protéger la Gambie enclavée. Un an après le putsch manqué, Dawda Jawara et Abdou Dioufvont plus loin, et créent la Confédération de Sénégambie.
L’objectif ? Promouvoir la coopération entre les deux pays, et parler d’une même voix à l’étranger. L’accord qui régit la Confédération prévoit alors un président sénégalais, un vice-président gambien, un gouvernement et même une Assemblée. « La vocation du Sénégal et de la Gambie est de former un seul État », déclare même Abdou Diouf en 1984. Mais très vite, l’union voulue par les deux hommes a du plomb dans l’aile. Des tensions autour de la question de la souveraineté des deux États surgissent. Les divergences d’ordre économique, elles, sont grandes et brouillent la fluidité des échanges. La Gambie, en plein essor économique, se heurte aux barrières tarifaires élevées du Sénégal et à son franc CFA. Sept ans après son entrée en vigueur, la Confédération sénégambienne est dissoute. L’aveu d’un échec pour Dawda Jawara.
Dawda Jawara, une voix respectée à l’international
Et pourtant, ce natif de Barajally, dans le centre du pays, a toujours joui d’une bonne image à l’international. Réputé pragmatique et modéré, il a très souvent siégé et usé de son influence à la tête d’institutions internationales. Au sein de l’Organisation de l’unité africaine, ancêtre de l’Union africaine, il dénonce les gouvernements despotiques et fait adopter la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples en juin 1981. À la tête de l’Organisation de la coopération islamique en 1984, il plaide pour un dialogue franc entre les pays de l’organisation. Entre 1989 et 1991, il préside la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Une omniprésence à l’extérieur qui agace en Gambie, où certains acteurs politiques lui reprochent de ne pas assez s’occuper du pays. Et pourtant, Dawda Jawara est, à son départ en exil en 1994, le plus ancien dirigeant d’Afrique. Depuis son accession à la tête du pays en 1965, il a toujours été réélu. Pendant près de 30 ans, la Gambie a même fait figure de modèle démocratique sur le continent. Le président autorise le multipartisme et se plie à des élections tous les cinq ans, qui se feront au suffrage universel après la réforme constitutionnelle de 1982. Son entrée sur la scène politique s’est faite avec la même facilité.
Un parcours militant de Londres à Banjul
En 1958, quatre ans après son retour de Londres, le Gambien, issu d’une famille mandingue musulmane, adhère au People Progressive Party, le Parti progressiste du peuple (PPP). De simple membre il passe rapidement président du parti en 1960, poussé par les anciens qui pressentent l’influence et l’espoir que représente cet officier vétérinaire pour le pays. Son statut de fonctionnaire lui vaut le respect des autorités du protectorat, pensent-ils. Et ils ont vu juste. D’abord chargé de l’Éducation dans le gouvernement, puis Premier ministre, Dawda Jawara fait gagner le PPP – un parti qui s’impose comme le représentant des populations autochtones et de la majorité mandingue – aux élections de 1962. Trois ans plus tard, après des négociations menées avec les autorités britanniques, la Gambie est indépendante. D’abord royaume du Commonwealth avec comme chef d’État la reine Elizabeth II, ce qui vaut à Dawda Jawara d’être anobli et d’être Sir, la Gambie se transforme en république en 1970 tout en restant membre de la grande famille du Commonwealth au sein du Commonwealth.
Le coup d’arrêt de 1994 et la retraite politique
Une longue carrière à la tête de la Gambie, donc, qui prendra fin brutalement le 22 juillet 1994. Ce jour-là, un putsch, mené par de jeunes officiers dirigés par Yahya Jammeh, 29 ans, le force à quitter la présidence. Dawda Jawara embarque à bord d’un navire américain, direction le Sénégal. Là-bas, il tente de convaincre Abdou Diouf d’empêcher le coup d’État en envoyant son armée, pour la seconde fois. Mais le président sénégalais refuse. Dawda Jawara part alors en exil dans le Sussex, au Royaume-Uni. En 1997, il est reconnu coupable de corruption par la Commission chargée de recouvrement des biens publics et a interdiction de siéger à un poste gouvernemental.
Quatre ans plus tard, Yahya Jammeh amnistie l’ancien leader du PPP et lui restitue ses biens. En 2002, Dawda Jawara rentre en Gambie et s’installe dans sa résidence de Fajara, un quartier chic près de Banjul. S’il accepte de ne pas revenir en politique dans son pays, le père de l’indépendance gambienne reste toujours sollicité ailleurs. Sa modération et son expérience sont, par exemple, mises au service des élections présidentielles et législatives au Nigeria, qu’il suit en tant que conseiller de la mission d’observation de la Cedeao. Le 18 février 2017 est une date importante : il assiste, à 93 ans, à l’investiture du nouveau président Adama Barrow qui a défait dans les urnes Yahya Jammeh. Il marquera de sa présence les cérémonies marquant l’anniversaire d’une indépendance dont il avait été l’un des artisans les plus emblématiques.