« Kebetueuse » est son surnom sur Twitter. Elle a à son actif plusieurs « clashs » sur le réseau de l’oiseau bleu où son parlé cru dérange. Une prise de bec notamment avec l’ancien ministre El Hadj Hamidou Kassé qui avait perdu ses nerfs. Sur cette nouvelle scène des clivages politiques et sociaux, Aminata Lo de son vrai nom, est une actrice qui donne à voir la vie virtuelle sénégalaise, ses sens et ses contresens. Rencontre et portrait d’une femme de son temps, vraie et clivante.
Elle a tenu à prévenir d’emblée : « Je n’aime pas les choses carrées et solennelles ». La voix qui lâche cette mise au point est claire, énergique et chaleureuse. A l’autre bout du fil, pendant un bref entretien, on ne devine presque rien de ce qui a fait la renommée de cette jeune femme d’une trentaine d’années sur Twitter. Forte en gueule, râleuse, impertinente, belliqueuse, les crocs affûtés, les idées non moins engageantes, et la plume vive, elle s’est fait en quelques années une réputation de dure-à-cuire qui, avec son pseudo sans équivoque Kebetueuse[i], ses 36.000 followers, ses 250000 tweets, ses coups de becs, anime les débats et autres jacasseries de l’oiseau bleu, couleur Sénégal.
Sur son goût pour la légèreté, l’impertinence, elle reprend presque à son compte le mot de Desproges « on peut rire de tout, absolument tout. Oui trop de sérieux m’indispose, j’aime le style décontracté ». Cet empressement à rire n’est-il pas une manière de cacher une sensibilité ? On ne le saura. Rien pourtant ne destinait cette adolescente dynamique, pépite de l’école Saldia – groupe scolaire coté de la capitale sénégalaise dont elle honora les couleurs en génie en herbes – à incarner un franc-parler aux limites de l’insolence, qui déchire souvent les convenances sénégalaises de la pudeur. Porte-étendard du groupe lors du concours Gëstu, compétition en génie en herbes entre écoles privées, cette responsabilité lui apprend, confie-t-elle, à « défendre ses idées ». La même hargne revit sur twitter. Jadis en 140 caractères, comme aujourd’hui en 280, elle promène sa curiosité sur tous les sujets, sociétaux comme internationaux, avec un sens du contrepied et une radicale quête de la vérité, qu’elle dit tenir de ses jeunes années.
Twitter, scène politique annexe
Pour qui consacre un peu de temps à Twitter, il est facile de noter que le réseau social, plus que les autres, s’invite régulièrement dans la presse où il oriente voire domine l’agenda. Ce qu’il est maintenant convenu d’appeler des clashs ou des buzz, finissent par garnir les colonnes des journaux. Rares sont désormais les articles qui ne mentionnent pas, ou n’intègrent pas, des tweets pour illustrer ou donner à voir la source de leurs billets. Twitter et ses captures d’écran, dans la spontanéité, sont devenus des pièces à convictions dans les rapides procès d’humeur et d’opinions qui font le lit et la lie du réseau social. C’est d’ailleurs cette rapidité à gazouiller « la spontanéité et surtout le melting pot » du réseau, qui ont séduit Amilo, surnom de celle qui se nomme Aminata Lo à l’état civil. Elle correspondait à son tempérament à fleur de peau, elle qui ne s’alourdit pas de protocoles, de bienséances et autres salamalecs. Ce côté direct, sans détour, permet de donner une force aux messages, que ni les lourdeurs voyantes de Facebook, ni les images toilettées d’Instagram n’offrent. Deux réseaux sur lesquels elle ne traine pas beaucoup, aucun compte Facebook et des visites rares sur Instagram, qui obtient un peu de ses faveurs car elle a un faible pour la photographie.
Dans le long entretien qu’elle nous accorde, que vous retrouverez sur cet espace[ii], elle donne l’impression d’un poil à gratter insensible aux remarques « Vous savez les gens ont leur opinion sur moi, qu’ils tachent de la garder pour eux. Si ceux qui pensent du mal de moi savaient exactement ce que je pense d’eux, ils en diraient davantage... ». Grinçante et grincheuse, avec son visage poupon, ses joues potelées, et une grande douceur dans le regard, celle qui assume ses contradictions et « reconnaît ses erreurs » n’est pas souvent « d’accord avec elle-même », concède-t-elle. Quand on l’interroge sur Twitter en tant que repaire préférentiel d’une jeunesse dakaroise favorisée, reléguant par conséquent les classes populaires, elle botte en touche et se rebelle : « En quoi la jeunesse dakaroise est-elle favorisée ? ». On sent qu’on a froissé une de ses convictions. Elle reprend, philosophe : « Twitter est juste une petite représentation, un échantillon de la jeunesse sénégalaise ». Cette tendance à dépolitiser les sujets suit toute la trame de l’entretien, où sa radicalité ne se convertit pas toujours en combat réel, mais s’incarne dans le virtuel. Pour la politique, elle n’ambitionne rien d’autre que sa position de « critiqueur », même si son vœu est de voir plus de jeunes se mobiliser « en se dotant d’une culture énorme, en conscientisant les plus jeunes et en s’engageant politiquement pour assurer la relève ». Sur ses occupations, comment elle gagne sa vie, on ne saura rien, elle oppose un déconcertant droit à la discrétion. Twitter sert ses « coups de gueule », rien d’autre, elle n’aime ni l’affichage, ni dévoiler son coin d’intimité. Par protection, par fuite ? On ne se risquera pas à l’interpréter. Faut-il pour autant ne s’arrêter qu’à la surface de ce qu’elle dit ? Pas vraiment. Quand on creuse, ce qu’elle donne à voir c’est une pensée articulée, avec ses forces et ses faiblesses, qui jette un regard désenchanté sur le Sénégal et son devenir. Dès que l’enjeu de la discussion n’engage plus sa personnalité intime, elle est loquace et combative.
La repolitisation par le numérique
L’essor de Twitter, dont le Sénégal est un des hubs continentaux dynamiques, ne doit rien au hasard. Très vite, l’oiseau bleu a trouvé ses aises, avec ses codes, son langage, ses meetings, ses acteurs. Dans le nouveau langage numérique qui a été le canal de l’afro-optimisme 2.0, le réseau social est apparu comme le médium idéal pour changer la narration sur l’Afrique. Il ne fallait plus, pour les instigateurs de la nouvelle narration prophétique, que s’adjoindre les leaders d’opinions, les activistes, les pionniers du web, pour leur confier les relais du nouveau récit. Coïncidence ou presque, au même moment, l’exaspération face à la politique a conduit nombre de jeunes citadins à préférer les assemblées virtuelles, les forums civils, pour enchâsser la repolitisation dans une nouvelle dépolitisation, autour du moteur numérique. Parmi les acteurs les plus notables de cette bascule, le réseau des africivistes, assemblée de blogueurs fondée par Anna Gueye. Ils sont devenus les interlocuteurs favoris de nombres d’ONG, de financiers, qui promeuvent, à travers leurs relais, le vœu de démocratisation. Si Amilo n’est pas toujours tendre avec les blogueurs de ce réseau, cible récurrente de son acrimonie, elle leur doit pourtant l’éclosion de cette sphère numérique, où la voix d’une minorité détourne des lourds problèmes sociaux au profit du mirage technologique. Elle leur reconnaît toutefois une utilité.
Les politiques ne sont ainsi plus les prescripteurs des influences. Les activistes, à l’aise dans le micro-blogging, soutenus par des forces étrangères, sont devenus les vrais influenceurs. Le terme d’influence, du reste, est presque devenu une injure tant il désigne cette nouvelle vulgate de l’apparence et des gloires faciles. A la question de savoir si elle se considère comme une influenceuse, elle se dérobe. « En ce qui me concerne, certes j’ai beaucoup d’abonnés et je suis très suivie, suivre au vrai sens du terme, mais, tempère-t-elle, une personne peut avoir de nombreux « likes » ou « RT » sans pour autant que ce qu’elle dit importe ». Elle n’a rien fait pour être suivie, et le fait que ses tweets déclenchent les polémiques, éclairent sur les clans qui s’affrontent dans des logiques qu’il nous est difficile de déchiffrer, n’est que purement fortuit. D’ailleurs affirme-t-elle ne rien connaître de ce mot d’influence qu’elle récuse. Sur la saturation dans le virtuel et le mirage du numérique, elle se veut lucide et fustige l’abrutissement qu’accélère le réseau « c’est tellement rageux de voir que ceux qui de manière générale représentent l’avenir ne s’intéressent que particulièrement à de faux débats et futilités ». Sur l’existence de batailles rangées en « clans » sur le réseau, elle prétend l’avoir démasqué et fait des threads dessus. Ce qu’elle donne à voir, c’est un usage du réseau conscient, addictif, mais lucide.
Une jeune femme énergique et radicale
Mais là où son propos est le plus dur, c’est contre Macky Sall et son régime. Elle peint la présidence de l’ancien maire de Fatick en pouvoir abusif, antidémocratique, et en veut pour preuve l’instrumentalisation de la justice pour abattre des opposants. Elle partage ce combat avec Guy Marius Sagna, dont elle aime le panache. Politiquement, Amilo n’est engagée dans aucun parti mais son intérêt pour la question vient de loin. Elle a voté pour la première fois en 2007, pour Cheikh Bamba Dieye qu’elle trouvait « constant, posé, cultivé et bagarreur quand il le faut. Toujours dans des combats de principes d’où sa cohérence à laquelle elle s’identifie beaucoup. »
Cette jeune inconditionnelle de Fatou Diome, qui puise ses références autant chez Lady Diana que Marilyn Monroe ou encore Coumba Gawlo Seck, voyage éclectiquement d’un sujet à l’autre, grande lectrice, amatrice de scrabble, de natation, et de photographies. De ces passions ou occupations, se dessine le portrait en pointillé d’un goût pour l’esthétique et pour la vérité, qu’elle tient de valeurs familiales précocement transmises. Pour expliquer l’origine de cette liberté de ton, elle lève un coin de voile sur l’héritage familial « J’ai grandi dans une famille où il n’y a pas de norme hiérarchique, la plus petite personne a le droit de s’exprimer librement, de faire ses choix de vie…d’aucuns me reprochent ma liberté de ton ce que je leur concède, mais il est nécessaire qu’ils sachent que leur morale n’est pas mienne ». La verdeur de son propos déplaît beaucoup. Elle choque mais ne s’en émeut guère. Un acteur majeur de la twittosphère sénégalaise confie ainsi « son inconfort » à parler d’elle : « du temps où il voyait ses tweets il les trouvait très violents ». Chez d’autres, ce langage ne passe tout simplement pas : elle collectionne les blocages de ceux qui la trouvent effrontée, impolie, radicale, s’empressant pour qualifier ses tweets de recourir à l’expression « d’excessifs donc insignifiants » pour la disqualifier. A l’image d’officiels de la république, comme l’ancien ministre et porte-parole de la présidence El Hadj Hamidou Kassé qui s’était emporté contre elle dans un échange où il l’avait traitée de « guenon ».
L’impolitesse, une tare rédhibitoire ?
Ses tweets clivent. D’autres prennent sa défense : Fary Ndao, géologue et animateur populaire et apprécié de la twittosphère sénégalaise, résume ainsi le personnage : « Je dirais que Amilo, alias Kébétueuse, est la voix irrévérencieuse nécessaire à tout débat public. Sa force est sa cohérence, rarement mise à mal, au fil de ses différentes interventions. Je désapprouve, du fait de mon caractère personnel sans doute, sa véhémence quasi systématique, car cela détourne parfois l’attention de l’auditoire du cœur son propos avec lequel j’ai par ailleurs de larges convergences de vue. Mais je défends cette liberté de ton » Même son de cloche du côté d’un retraité de twitter qui a échangé souvent avec elle et qui décrit une personne « entière, impulsive, qui aime la confrontation, qui la cherche. Parfois, ce n’est même pas sérieux au fond mais ça alimente son besoin d’adversité. Elle a un besoin permanent de subversion. » Plus loin, il confie aussi « elle cache son côté humain, c’est la personne qui prend bien soin de ses proches, les aide, les soutient. » Ces témoignages donnent crédit à cet adage : l’excès est une preuve d’authenticité. On a pu percevoir que ce tempérament forgé cache sans doute une fragilité, et qu’elle s’empresse de rire ou de s’emporter, pour peut-être éviter de pleurer. L’insolence du propos n’a elle rien de nouveau. Dans les communautés sénégalaises de femmes, leboues par exemple, l’insulte n’était pas une vulgarité mais un élément du langage, qui signait d’ailleurs la liberté des femmes. La crudité voire la cruauté du propos faisait partie d’une grammaire du dialogue qui parachevait le pouvoir matriarcal.
Des contradictions et une fibre politique
A force de se consacrer à ses coups de becs sur twitter, on oublierait presque que Amilo écrit régulièrement, sur un espace, medium[iii], auquel elle a pris goût. Elle y communique ses états d’âmes et ses écrits ambitieux, bien suivis. Une chose demeure quand on lit ce blog, espace annexe où elle gratifie ses lecteurs de ses opinions – dont un récent reportage sur le basket [iv]-, on est ému par sa franchise, sa bravoure, la fragilité de ses certitudes. Sur twitter comme dans l’entretien, à coup de mots salés, elle tire le portrait d’une démocratie inexistante qu’elle déplore. Sa parole ne n’arrête pas là, elle s’indigne contre l’homosexualité, « interdit par l’islam point », et identifie Wally Seck comme la source de propagation du mal. Le propos est clair, net, sans détour. Elle n’en démord pas, et se fait le porte-voix du rejet dominant dans la société qu’elle adosse tout bonnement à l’injonction islamique. Même tonalité de la critique quand il s’agit de l’exhibition religieuse, elle fait une distinction entre la religion pure et les croyants impurs dont elle fustige les manifestations tapageuses. Sur l’émigration et le désir d’ailleurs qui touche la majorité des jeunes, elle pointe les responsabilités locales, l’horizon miné. Elle ne se laisse pas bercer par la responsabilité de la France dans le malheur sénégalais. Pour elle « Les discours sur la décolonisation émanent directement d’une certaine élite occidentalisée vivant le plus souvent en occident. Leurs discours sont souvent vains face à des jeunes sans perspective d’avenir dans leur propre pays (chômage, manque d’éducation…) » Son espoir ? « Que la jeunesse se politise, intègre les partis pour gagner en expérience, faire la politique autrement en évitant les mensonges, les promesses, le populisme, être proche et à l’écoute des populations » Sur la décolonisation « Ce n’est pas mon combat et ça ne le sera pas ; très honnêtement je ne les suis même pas. La décolonisation elle s’est faite en 1960 et pour cela je suis parfaitement en phase avec Fatou Diome quand elle demande qu’on arrête la victimisation » Sur le féminisme « Mal compris par les femmes et les hommes sénégalais dans leur globalité. C’est vraiment compliqué. Je suis plutôt pour le women empower women. Que toutes femmes s’unissent et on fera ensemble de belles choses ». Presque d’un programme politique.
Mélange de progressisme et de conservatisme, propos parfois contradictoires, la pensée d’Amilo a cependant l’avantage d’être sans fards, et fraîche. Non aseptisée, critiquable, elle permet toutefois le débat. C’est cette fibre, perçue dans un moment où la virtualité fait partie des enjeux dans la quête politique, qui a motivé ce portrait. C’est une possibilité du débat qu’elle offre, avec toutes les scories inhérentes : la cacophonie, les invectives. C’est le prix à payer dans un pays, où l’injonction au « respect » est l’étouffoir des dissidences, donc de la diversité des opinions. L’impolitesse est bienvenue, c’est un moyen de résistance, à condition qu’elle ne soit pas seule et qu’elle soit une posture.
Mine de rien, on en a fait du chemin avec Amilo. Celle qui récusait les solennités, qui n’aimait pas le sérieux du monde, devient pourtant et à notre grand bonheur, sérieuse, battante. La fibre qui se dessine chez cette jeune femme est politique, affective, dure et sociale. Où tout cela mènera notre petite idole ? On ne le sait. C’est une femme de son temps qui respire le vent de l’époque et en recrache les particules fines, tantôt parfumées, tantôt malodorantes. Une langue de V.I.P, verte, chatoyante, chaleureuse avec ses papilles parsemées de venin.
Elgas
Écrivain & journaliste
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