Quelle force d’attraction l’Afrique exerce-t-elle en termes professionnels sur sa diaspora ? Les auteurs d’une étude récente répondent.
Présentée comme la nouvelle frontière, l’Afrique intéresse-t-elle vraiment sa diaspora qui lui envoie tous les ans plus d’argent que toute autre entité ? La question mérite d’être posée au moment où le continent se sait aussi attractif et pas seulement pour ses matières premières. Au milieu du gué d’une transformation structurelle qui peut changer son destin, l’Afrique intéresse à nouveau toutes les grandes puissances. Parallèlement, les institutions bi et multilatérales se retrouvent dans les cordes sous le feu des critiques quant aux recettes qu’elles ont proposées à l’Afrique pour sortir la tête de l’eau et réduire la pauvreté. C’est dans un tel contexte que Landry Djimpé, patron du cabinet Innogence et Saad Berrada, directeur des ressources humaines du groupe Intelcia, acteur majeur del’externalisation des métiers de la relation client, ont diligenté une étude concernant la problématique de l’attractivité de l’Afrique pour la diaspora africaine. Ils ont répondu aux questions du Point Afrique à ce propos.
Le Point Afrique : Qui sont les Africains de la diaspora qui regardent du côté du continent ?
Landry Djimpé (LD) : Relativement tout le monde, on a 71 % des répondants de l’étude qui nous disent vouloir rentrer à horizon des dix ans. D’ailleurs 40 % des personnes interrogées se disent prêtes à rentrer immédiatement si l’opportunité se présentait. Quand on regarde dans le détail, cette volonté de retour est manifestée aussi bien chez le Maghrébin que le Subsaharien, les hommes et les femmes, les jeunes diplômés que les cadres expérimentés.
Qu’est-ce qui les attire ?
LD : Ils ont tendance à privilégier les métiers du service, notamment la finance, le conseil, le marketing, la communication ou les télécommunications. Ceci s’explique probablement par le fait que les entreprises les plus populaires dans bon nombre de pays africains sont les banques, les opérateurs de télécommunications ou les acteurs de la distribution.
Pourquoi sont-ils tentés par une expérience africaine ?
LD : Beaucoup disent souhaiter participer au développement économique de l’Afrique. Ceci s’explique en partie par le fait que, tous les jours, on trouve un article sur la croissance économique du continent dans un grand journal. Ce narratif tend à susciter des vocations auprès de la diaspora qui souhaite apporter sa pierre à la construction de cet édifice. Beaucoup sont aussi à la recherche d’un meilleur cadre de vie et pensent qu’un retour sur le continent comblerait cette quête.
Par quelle voie passent-ils pour tenter de franchir le pas ?
LD : Pour les membres de la diaspora qui franchissent le pas, ils le font généralement par initiative personnelle. En effet, la recherche d’emploi est très compliquée, car la majeure partie d’entre eux n’a pas connaissance des opportunités professionnelles présentes et à cela s’ajoute le nombre faible, voire inexistant, des dispositifs d’accompagnement au retour sur le continent. Ils sont donc amenés à se débrouiller par leurs propres moyens et bien souvent à s’appuyer sur des membres de la famille ou leurs réseaux personnels et professionnels.
Quels sont les pays qui sont plébiscités ?
LD : L’un des enseignements les plus marquants de l’étude est que seuls 56 % des répondants veulent rentrer uniquement dans leurs pays d’origine. On a 27 % qui se disent ouverts à des opportunités sur tout le continent. L’Afrique de l’Ouest reste néanmoins la région du continent la plus plébiscitée (32 %).
Comment ressentent-ils le regard qui est posé sur eux par les Africains sur place ?
LD : Avec une croissance économique de plus en plus importante, des entreprises internationales et africaines sur le continent, les entreprises cherchent à trouver des talents capables d’augmenter leur productivité et leur compétitivité et font de plus en plus appel aux talents de la diaspora, notamment pour des postes à haute responsabilité. Les motivations : leur expérience à l’international et un bagage de compétences, surtout dans les domaines techniques. Ils sont également perçus comme faisant preuve d’une capacité d’adaptation importante, d’une compréhension et d’une proximité certaine avec la culture locale.
Ont-ils des craintes par rapport à la culture d’entreprise sur le continent ?
Saad Berrada (SB) : La principale crainte soulevée par la diaspora en matière de culture d’entreprise est le favoritisme (plus de 70 %), soit le besoin d’avoir un sponsor en interne pour avoir un poste ou une promotion. Certains craignent aussi des relations trop hiérarchiques ou le manque de travail collaboratif au sein des entreprises sur le continent. C’est d’ailleurs l’un des points centraux de l’étude, les entreprises africaines doivent s’approprier ces résultats et communiquer sur les mesures qu’elles mettent en place pour limiter ces pratiques et ainsi améliorer la perception qu’on peut avoir d’elles.
À côté de leur motivation professionnelle, y a-t-il d’autres motivations plus personnelles ?
SB : Les principales motivations pour un retour professionnel sur le continent sont d’ailleurs d’ordre personnel, caractérisées par une certaine quête de sens. Interrogés sur les principaux critères définissant le choix du retour, le premier élément serait les valeurs de l’entreprise à 63 %, et ce bien devant les perspectives de carrières (48 %), le contenu de la mission (42 %) ou encore la rémunération (32 %). On a donc des personnes pour qui s’identifier aux valeurs de l’entreprise est bien plus important que le poste, la mission ou rémunération proposée.
Quelle importance a pour eux la rémunération et les conditions de travail sur place ?
SB : Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, les conditions de travail (48 % pour les perspectives de carrières et 42 % pour le contenu de la mission) sont bien plus considérées que la rémunération (32 %). D’ailleurs lors d’échanges avec certains des répondants, bon nombre se disent prêts à rogner sur leurs rémunérations lors d’un retour si la mission proposée leur permet de trouver un cadre favorable à leur épanouissement personnel.
Avec Intercia qui est installée en Afrique et en Europe, vous avez l’expérience de la mobilité professionnelle à l’intérieur de l’entreprise. Qu’est-ce qui la motive ?
SB : Nos défis RH concernent principalement le recrutement de l’encadrement et la montée en compétence des collaborateurs sur nos métiers. Lorsque nous avons de nouveaux marchés à développer ou de nouvelles acquisitions à intégrer, nous nous attachons à recruter et à faire évoluer nos collaborateurs dans les pays où nous sommes implantés. Notre choix d’ancrage local s’inscrit dans une démarche de long terme, parce que nous savons que la pérennité de notre réussite repose sur un développement durable des compétences locales. Cependant, la maturité de notre secteur de la relation client est différente d’un pays à l’autre et ces métiers sont relativement nouveaux, notamment en Afrique subsaharienne. Pour le lancement de nouveaux sites, nous proposons donc aux managers du groupe des opportunités à l’international, afin de permettre un transfert de compétences et un partage d’expertises, une cohérence et un alignement avec les pratiques et les valeurs du groupe, avant de passer le relais à un management local.
Avec plus de vingt nationalités différentes représentées dans nos effectifs, dont une majorité de collaborateurs issus de pays africains, il nous arrive également de proposer un retour au pays, pour certains collaborateurs, afin de leur permettre d’évoluer vers des postes à responsabilités. À titre d’exemple, lors du lancement de notre site à Dakar, nous avons ouvert la mobilité à quelques collaborateurs sénégalais basés au Maroc.
Est-ce que cette volonté d’aller en Afrique joue dans le choix premier de travailler dans une entreprise internationale implantée en Afrique ?
SB : La diaspora se dit attirée en premier par les multinationales africaines (51 %), puis les multinationales étrangères et les organisations internationales (autour de 40 %). Les start-up africaines s’en sortent aussi pas mal, avec 36 % des répondants qui se déclarent intéressés d’y travailler. On se rend bien compte que cette diaspora souhaite travailler dans de grandes entreprises, ayant une ouverture sur l’international, avec une préférence pour celles aux capitaux locaux.
Dans la construction d’un espace Afrique-Méditerranée-Europe, quel pourrait être leur apport ?
SB : Les membres de la diaspora sont caractérisés généralement par une double culture. Ce brassage des cultures favorise la cohésion sociale et est un atout pour relier l’Afrique et l’Europe. Par ailleurs, au-delà du soutien économique à leurs pays d’origine, elles représentent un potentiel en offrant des horizons nouveaux en termes de consommation et d’échange, et de par leurs connaissances et expériences acquises dans leurs pays d’accueil.