A travers le feuilleton « Wara », tourné au Sénégal, l’Agence française de développement veut favoriser l’inclusion des femmes et des jeunes dans le débat public.
« Silence s’il vous plaît ! » Un 4×4 aux vitres teintées déboule sur la place ensablée de la mairie de Saint-Louis, au Sénégal transformée pour l’occasion en « police nationale ». En sort Issaka Sawadogo, alias Moutari, l’un des principaux personnages de la nouvelle série télévisée panafricaine Wara (« fauve », en bambara). Devant un parterre de figurants journalistes, celui qui incarne un professeur d’université annonce solennellement sa candidature aux élections locales. Clap de fin pour cette scène de l’épisode7.
Depuis deux mois, Saint-Louis accueille le tournage d’une production décrite comme un thriller politique par ses concepteurs. « C’est un peu un “House of Cards” à l’africaine », résume Charli Beléteau, showrunner de Wara et ancien scénariste de la série française Plus belle la vie. Au côté d’Alexandre Rideau, directeur de Keewu Production, il imagine depuis quelques années déjà cette fiction racontant les dessous de la conquête du pouvoir dans les pays d’Afrique de l’Ouest.
Un projet rendu possible par l’Agence française de développement (Afd) qui organisait le voyage de presse auquel Le Monde Afrique a participé) et la chaîne TV5 Monde, qui ont cofinancé la série à hauteur de 600 000 euros dans le cadre d’une campagne de sensibilisation pour « la participation politique des citoyens » en Afrique de l’Ouest. Wara et son pendant radiophonique, le feuilleton Dianké, sont en effet le fruit d’un appel à projet lancé en 2017 par l’Afd, à la recherche de programmes « innovants ». Avec la méthode de l’« edutainment » (l’éducation par le divertissement), apparue dès les années 1960 dans des telenovelas mexicaines, l’Afd teste une nouvelle façon de promouvoir la gouvernance démocratique au Sahel.
Une dizaine de scénaristes
En huit épisodes de 45 minutes, Wara raconte les aventures de Moutari Warra, exilé politique de retour à Tanasanga, une ville fictive du Sahel. L’enseignant en droit se retrouve bousculé par le caractère impétueux d’une de ses étudiantes, Aïcha Diallo, jouée par l’actrice ivoirienne France Nancy Goulian. Elle le pousse à s’investir dans un combat politique redouté, face aux manigances de son ancien ami et rival Ganka Barry, incarné par l’acteur sénégalais Souleymane Seye Ndiaye, déjà reconnu pour son rôle dans la série à succès Golden.
Corruption, clientélisme, crise des déchets, mouvements étudiants… Les thématiques ont été scénarisées par une dizaine d’auteurs sénégalais, maliens, ivoiriens et nigériens. Car Wara ambitionne de « conscientiser » les populations de ces pays sur des sujets telles que la bonne gouvernance, la participation citoyenne et l’égalité femmes-hommes. Mais elle vise surtout à promouvoir « l’inclusion des femmes et des jeunes » dans le débat public. « Notre préoccupation est de cibler ceux qu’on n’entend pas habituellement », précise Arnaud Garcette, chef du projet à l’Afd, avant de préciser qu’il s’agit, par la mise en scène de personnages engagés, d’« aider des jeunes et des femmes à contribuer et agir sur la coconstruction des politiques publiques qui régissent leur quotidien ». Vaste programme…
A la réalisation, Toumani Sangaré et Oumar Diack, du collectif français Kourtrajmé, parachèvent le casting de cette production ambitieuse. Car Wara fait figure de blockbuster en comparaison des productions locales, souvent sous-financées. D’autant que la série va bénéficier d’une visibilité importante, puisqu’elle sera diffusée en exclusivité auprès des 291 millions de foyers qui constituent l’audience de TV5 Monde. La version radiophonique du projet, Dianké, sera quant à elle traduite en haoussa, mandingue, wolof et peul afin d’être mise à disposition des radios locales, communautaires et associatives de la sous-région. « On souhaite que cette fiction soit accessible à tous et partout », ajoute Arnaud Garcette.
« Encourager la pratique du vote »
En parallèle de leur diffusion, Wara et Dianké constitueront aussi le point de départ d’ateliers de débat, dispensés d’abord dans les quartiers de Saint-Louis par un groupe d’organisations françaises et locales. Sous l’impulsion du Réseau africain d’éducation pour la santé (Raes), une Ong sénégalaise, ces organisations ont fourni des études de terrain qui ont permis de construire les messages véhiculés dans les séries. Les ateliers visent à concrétiser le « changement de comportement » des populations face au constat d’une participation électorale en berne des jeunes et des femmes dans les pays sahéliens.
« Nous voulons encourager la pratique du vote », affirme Sorna Fall, représentante du ministère sénégalais de la famille, du genre et de la protection des enfants. Les formations des animateurs ont déjà débuté. Ils sont chefs de communautés, acteurs associatifs ou représentants de quartiers.
Lors d’une table ronde animée par une membre de l’Ong française Equilibres & Populations, tous ont pointé du doigt les « pesanteurs » de la société sénégalaise – gérontisme, patriarcat, religion – comme principales entraves à la participation citoyenne.
Mais pour les créateurs de la série, « le problème numéro un, c’est l’accès à l’information ». Or « rien qu’avec une série qui passe à la télévision, on peut donner à voir ce que sont la participation citoyenne et une gouvernance démocratique », se réjouit Alexandre Rideau, également producteur de C’est la vie, une série sur les questions de santé reproductive qui a connu un succès fulgurant auprès du public africain. Et si Charli Beléteau reconnaît qu’« il serait prétentieux de croire qu’on peut changer le monde avec une série », l’Afd, elle, ne manque pas de souligner l’importance du contexte de diffusion de Wara et Dianké : en 2020, des élections auront lieu dans de nombreux pays de la zone, à l’instar du Niger, du Mali, du Burkina Faso ou du Sénégal.
Tract (avec Le monde)