Oumar Ndir, Directeur Général du Groupe SEEE, a lancé son entreprise dans la RSE (Responsabilité sociétale d’entreprise) en fin 2019. Dans la première partie de son interview, il en indiquait les raisons, les atouts et les contraintes. Dans cette deuxième et dernière partie, il indique des pistes par lesquelles le Sénégal peut et doit créer des champions nationaux, tout en les accompagnant dans la conquête du marché sous-régional. Il était interviewé par Amath Bâ, sur une radio nationale. Question à 1 milliard.
M. Ndir, un tout dernier point : la concurrence intra-africaine. Nos chefs d’Etat ont signé des accords de libre-échange. Les frontières sont en train d’être dissoutes. On peut s’attendre aujourd’hui à des fusions, à des absorptions et, à une concurrence exacerbée entre des entreprises sénégalaises, nigérianes, sud-africaines, ivoiriennes, marocaines. Alors, comment l’entreprise sénégalaise doit-elle s’organiser, en termes de compétitivité, de performance et de veille ? En d’autres termes, comment l’entreprise sénégalaise doit-elle s’organiser pour accompagner ce mouvement qui est devenu irréversible ?
Oumar NDIR : Il n’y a pas à réinventer la roue. Aujourd’hui, nous avons quelques exemples dont il faut s’inspirer, comme celui du Maroc : Mohamed 6, le roi du Maroc, est le premier VRP de son pays. Le président Paul KAGAME a aussi un leadership qui est incontesté en Afrique. C’est quelqu’un qui œuvre à la fois pour l’éducation de son peuple et qui a un impact réel sur la vie économique de son pays. Un de ses hauts faits de guerre, c’est d’avoir attiré le constructeur automobile Volkswagen au Rwanda pour lui faire ouvrir une usine. C’est une performance, même si l’on sait que le Rwanda est un tout petit marché aujourd’hui. Mais c’est quand même à saluer.
Ma préoccupation est de pouvoir voir se réaliser dans notre pays l’émergence de champions sénégalais capables de faire face aux menaces (oui, le mot est fort !), qu’elles soient hors Afrique ou intra africaines. Face à cette menace qu’il peut y avoir, par exemple avec l’arrivée de certains grands groupes notamment nigérians, français ou autres, c’est à l’État du Sénégal de porter réellement les entreprises du pays afin de leur permettre de pouvoir trouver des opportunités. Il arrive parfois que de grandes missions, avec des délégations composées de capitaines d’industrie sénégalais, accompagnent le chef de l’Etat lors de voyages en Europe. Je m’interroge sur la pertinence de ce genre d’initiatives.
De mon point de vue, ma préférence serait que nos capitaines d’industries accompagnent le chef de l’Etat plutot lors de ses déplacements dans certains pays africains.
Le chef de l’’Etat pourrait aller, par exemple à Bissau, se faisant accompagner par plusieurs entrepreneurs de petite ou de grande taille, leur permettant ainsi d’avoir accès à des débouchés dans des pays dont l’économie est moins forte que celle du Sénégal.
Des pays moins structurés, avec un tissu industriel et commercial moins développé, ce qui nous permettrait, à nous Sénégalais, de pouvoir aussi prendre des parts de marché dans des pays de la sous-région. On peut même imaginer que le Sénégal accompagne et subventionne certaines entreprises lorsqu’elles s’installent dans ces pays-là. Aujourd’hui, la Turquie subventionne toutes ses entreprises qui opèrent sur le Sénégal. Quand un entrepreneur turc veut ouvrir un magasin ici au Sénégal, il y a une agence dédiée ou un fonds, qui lui permet avec l’aide de l’Etat turc, de pouvoir financer son installation au Sénégal. Ce sont des choses sur lesquelles l’Etat du Sénégal peut jouer pour permettre à ses entreprises de se développer à l’international en grandissant, créant ainsi ces champions-là de manière naturelle. Cela nous permet de répondre à toutes les agressions externes. On ne peut pas également manquer de protéger certains de nos champions locaux, permettez-moi de ne pas les citer nommément. Je vais faire l’évocation d’un grand groupe industriel agro-alimentaire qui opère dans le sucre au nord du Sénégal. C’est quand même le premier employeur du Sénégal. Un groupe tel que celui-là doit être protégé absolument, contre des importations sauvages. Idéalement, on doit le protéger de toute tentative d’un grand groupe nigérian ou d’un autre pays de prendre ses parts de marché parce qu’on en a besoin.
Nous avons besoin d’avoir un tissu économique stabilisé, avec de grandes entreprises qui emploient du monde, créent de la valeur, paient des impôts etc. Ce qui est valable dans le secteur du sucre est valable dans secteur du ciment. Heureusement, la capacité d’absorption du secteur du ciment est extrêmement importante au Sénégal ; ce qui fait que les trois opérateurs majeurs qui opèrent aujourd’hui au Sénégal demeurent rentables. Mais il faudrait que l’Etat veille jalousement à protéger ses entreprises comme le font les Américains : le concept « America First ».
Il faudrait que notre gouvernement ait toujours comme premier réflexe de s’interroger sur l’opportunité d’admettre un opérateur d’une certaine taille lorsqu’ils ont sur le territoire du Sénégal quelqu’un qu’il faut protéger. La dernière recommandation que je pourrais adresser à nos autorités, ce serait de créer des champions locaux, mais de manière volontaire. C’est-à-dire, parfois, en agrégeant des entreprises de taille moyenne et en leur demandant de fusionner sous la bienveillante protection et avec l’aide de l’Etat, pour constituer des pôles forts, des entreprises fortes. Avec un potentiel de plusieurs centaines de milliards de chiffre d’affaires.
Ces entreprises seraient des conglomérats quasiment installés par l’Etat, qui pourrait dès lors devenir des concurrents à prendre au sérieux et pourraient prendre des parts de marché significatives hors du territoire du Sénégal.
Propos retranscrits par Binta Séye
Tract@2020
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