Carlos Ghosn pris en étau. La justice libanaise a interdit, selon Afp citée par Tv5, ce jeudi 9 janvier au magnat de l’automobile déchu de quitter le pays suite à une demande d’arrestation d’Interpol. Au Japon, la ministre de la Justice réclame son extradition.
Sans être vu des journalistes postés devant le Palais de justice de Beyrouth, l’homme d’affaires de 65 ans s’est rendu discrètement à son interrogatoire au parquet général de jeudi 9 janvier. Il a été interdit de voyage, son passeport français a été confisqué et les procureurs ont demandé à Tokyo l’envoi de son dossier judiciaire, ont indiqué deux sources judiciaires à l’Afp. « En fonction du contenu du dossier, s’il est avéré que les crimes dont il est accusé au Japon imposent des poursuites judiciaires au Liban, il sera jugé », a précisé l’une des sources. « Si aucune poursuite judiciaire ne s’impose en vertu de la législation libanaise, il sera alors libre » a-t-elle ajouté.
Après l’arrivée de M. Ghosn à Beyrouth le 30 décembre, le Liban, qui n’a pas d’accord d’extradition avec le Japon, avait annoncé avoir reçu une notice rouge d’Interpol à son encontre. Détenteur des nationalités française, libanaise et brésilienne, M. Ghosn fait l’objet de quatre inculpations au Japon : deux pour des revenus différés non déclarés aux autorités boursières par Nissan (qui est aussi poursuivi sur ce volet), et deux autres pour abus de confiance aggravé.
Interpellé en novembre 2018 à la descente de son jet privé au Japon, l’homme d’affaires qui fut le chef d’entreprise le mieux payé au monde avait été libéré sous caution en avril 2019, au terme de 130 jours d’incarcération.
Assigné à résidence, il avait interdiction de quitter le Japon dans l’attente de son procès, dont la date n’a pas été fixée.
Accusations « sans fondements »
Ghosn a aussi été entendu jeudi par le parquet au sujet d’un rapport soumis par des avocats libanais et portant sur une visite en Israël. A ce sujet, l’enquête se poursuit. Pays voisins, le Liban et l’Etat hébreu sont techniquement en état de guerre, et Beyrouth interdit à ses ressortissants de se rendre en Israël. Alors qu’il était encore président de Renault-Nissan, M. Ghosn s’y était rendu en 2008, dans le cadre d’un partenariat pour le lancement d’une voiture électrique. Interrogé sur le sujet mercredi 8 janvier lors de sa conférence de presse, il s’était « excusé » auprès des Libanais. « J’y suis allé en tant que directeur général de Renault, sur demande de la direction », a-t-il précisé. « J’y suis allé en tant que Français, en raison d’un contrat entre Renault et une compagnie israélienne ».
M. Ghosn s’exprimait ainsi pour la première fois depuis plus d’un an, devant des journalistes triés sur le volet (beaucoup de Japonais ont été exclus), et a fustigé une justice japonaise où il se sentait « présumé coupable ». Il a dénoncé la « collusion, partout »entre Nissan et le procureur japonais, notamment pour son arrestation, disant qu’il n’avait « d’autre choix »que de fuir face à des accusations « sans fondements ». De son exfiltration mystérieuse, racontée dans les médias comme un film d’espionnage hollywoodien, il n’a rien dévoilé, pour protéger, a-t-il dit, les personnes impliquées.
La réplique du Japon
Après avoir tardé à condamner officiellement la fuite au Liban du patron déchu de Renault-Nissan, les autorités japonaises ont réagi ce jeudi avec les mots les plus durs. « Je veux qu’il vienne affronter réellement la justice japonaise, mais il a fui, alors même qu’il n’était pas enfermé, qu’il pouvait voir librement ses avocats », a fustigé la ministre de la Justice Masako Mori lors d’un point de presse à Tokyo. « Dans tous les cas, son évasion n’est pas justifiable », a-t-elle poursuivi. « Si l’accusé Ghosn a quelque chose à dire sur son affaire pénale, qu’il présente ses arguments ouvertement devant un tribunal japonais et apporte des preuves concrètes. »
Même tonalité du côté des responsables de Nissan nommément mis en cause par M. Ghosn. « Je n’ai pas de temps à perdre avec quelqu’un qui joue un drame écrit par lui-même après avoir fui un pays en violant la loi », a lancé à la chaîne de télévision NTV Masakazu Toyoda, un administrateur extérieur du groupe automobile. « Si le contenu de la conférence de presse se limite à ça, il aurait pu la faire au Japon », a ironisé l’ancien directeur général de Nissan Hiroto Saikawa, dénoncé par le capitaine d’industrie comme étant un de ses fossoyeurs.