Après un retour sur la scène politique soldé par un double revers lors de la Présidentielle 2019, Hadjibou Soumaré, 69 ans, a disparu des radars. Enquête sur un retrait de la scène politique.
Cela fait plus d’une décennie que Hadjibou Soumaré est dans la lumière, mais navigue dans la pénombre, avance dans le brouillard d’une carrière à succès, comme si l’homme faisait partie de la caste des stakhanovistes, de ceux-là qui s’épanouissent à l’arrière scène. Sans tambour ni trompette. Lui semblait s’y plaire, le peuple contraint de s’accommoder à cette posture pleine d’humilité, de concessions et de contritions, du natif de Thiès. Ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances chargé du Budget et de l’Habitat, puis Premier ministre du Sénégal, ensuite Président de la commission de l’Uemoa. Hadjibou Soumaré a monté un à un les escaliers de sa réussite politique, non sans grande aide, avec une ambition modérée voire modelée, sans jamais presque montrer des désirs de gourmandise. Sans jamais (réellement ?) s’occuper de ce qui se passe au palier supérieur. A la faîtière de l’Exécutif sénégalais. «C’est parce qu’il était le dernier à qui on pouvait prêter des ambitions présidentielles que Wade avait fait de lui son Premier ministre.»
Cette nuit-là, le Sénégal s’est endormi, couché sur une conviction : Wade est un génie politique, un grand joueur d’échec pour avoir mis en selle Hadjibou comme «cheval de Troie» de son plan de bataille contre la guerre d’ego et d’ambitions qui risque de miner son parti, de parasiter son second mandat. Hadjibou en tiendra une réputation d’humble serviteur. Mais douze longues années après, à la surprise quasi-générale, Hadjibou le technocrate, l’homme discret, s’est révélé prétendant au trône. Longtemps relégué au rang des politiciens du dimanche, des grands commis de l’Etat, il opère son come-back sur la scène nationale, pour dit-il, «régler les problèmes au niveau social, économique, mais également au plan politique». Dans sa nouvelle stature de présidentiable, Hadjibou Soumaré n’entend pas jouer les seconds rôles. Il met sur pied le mouvement «Démocratie et République» et à la tête de la coalition «Hadjibou 2019», il déclare sa candidature à la Présidentielle du 24 février 2019, pour remplacer Macky Sall à la tête du pays. Comme ce fut le cas le 19 juin 2007, à la Primature.
Défaut de fibre politicienne
Dans sa bataille pour le contrôle du Palais de l’Avenue Léopold Sédar Senghor de Dakar (ex-Roume), l’ancien PM l’ancien a bâti un état-major politique autour de quelques lieutenants sans grande envergure, sans grand ancrage politique : Ngoné Ndoye de Rufisque, le maire de Sagatta Gueth, El Hadj Amar Lô Gaydel, l’ancien sénateur Charles Mendy, l’ancien préfet Mapenda Mbaye, entre autres, constituent la plateforme, le socle de lancement des nouvelles ambitions de Hadjibou Soumaré. Mais le projet a fait flop. La volonté de l’ancien chef du gouvernement sous Wade de se tailler un destin de président de la République échoue lamentablement au stade du parrainage. Mais loin d’abdiquer dans sa détermination à défaire Macky Sall, Hadjibou Soumaré rejoint la coalition «Idy 2019». Là-bas aussi, il loupe l’occasion de gagner face à Macky Sall, réélu au premier tour avec 58%.
Depuis, Hadjibou Soumaré semble s’être déjà lassé de la chose politique. Qu’on le prenne d’un côté ou d’un autre, sa carrière politique semble être bâtie de boue. Hadjibou Soumaré serait-il un politique mort-né ? Pourquoi, ce recul du monde politique, après la Présidentielle ? Qu’est-ce qui explique ce silence si bruyant sur les questions d’actualité ? Le fondateur du site www.Tract.sn, Ousseynou Nar Gueye, croit savoir les raisons. L’éditorialiste qui a assisté au lancement officiel de la candidature de Hadjibou Soumaré, au Grand Théâtre (Dakar), en tant que de Maître de cérémonie (Mc), soutient : «Hadjibou Soumaré n’a pas la fibre politicienne et l’ambition politique dévorante de ces monstres sacrés de la politique politicienne. Je ne suis pas sûr qu’il soit vraiment piqué par le virus de la politique.» Hadjibou Soumaré serait donc comme un cheveu dans la soupe politique. Un intrus qui n’a pas pu se faire une place de choix dans le jeu politique.
Omerta des alliés
Mapenda Mbaye, chargé des élections de la coalition «Hadjibou 2019», ne doute pour le moins du monde de l’engagement politique de son leader. Il y croit dur comme fer. «Hadjibou Soumaré nous a dit qu’il est encore dans le mouvement et que nous allons travailler dans la grande Alliance, assure-t-il. Son engagement politique est resté intact.» Mapenda Mbaye fait partie des rares compagnons de Hadjibou Soumaré à accepter d’aborder la question. Au sein de son mouvement «Démocratie et République», l’on se refuse de commenter la nouvelle posture du patron. Choisie pour être la directrice de campagne du candidat Hadjibou Soumaré, l’ancienne ministre Ngoné Ndoye préfère garder le silence sur la question. Au bout du fil, elle sourit et renvoie au coordonnateur du parti, Modiene Ndiaye qui, à son tour, fera pareil. Comme pour dire que Hadjibou Soumaré devra, à lui seul, décider de son avenir politique.
Mapenda Mbaye lui dessine un destin radieux. D’après lui, le mouvement «Démocratie et République» est en train de s’implanter un peu partout dans le pays. Et comme tous les chefs de parti d’opposition, réduits au silence après la victoire de Macky Sall, dans les rangs du mouvement de Hadjibou Soumaré, l’on estime aussi, qu’après la Présidentielle, une pause s’imposait à chaque leader pour une introspection. «Après une Présidentielle, comme dans tous les partis, les gens sont en train de réfléchir sur la manière de faire. Comment redémarrer, comment remobiliser ses représentants, comment assurer un meilleur maillage du territoire national. Nous prévoyons de relancer le mouvement. Les esquisses sont déjà prêtes, nous avons fait des propositions au Président Soumaré et maintenant, nous attendons sa réaction», explique Mapenda Mbaye.
Un argumentaire appuyé par Ousseynou Nar Gueye, selon qui, Hadjibou Soumaré s’est inscrit dans la ligne de conduite de ses alliés de l’opposition. «C’est un silence qui est un peu à l’unisson du celui de beaucoup de ténors de l’opposition sénégalaise. On ne peut pas lui jeter la pierre, quand on voit le chef de l’opposition sénégalaise naturel qui est le secrétaire général national du Parti démocratique sénégalais (Pds), Abdoulaye Wade, en tant que patron du premier parti parlementaire d’opposition, qui reçoit beaucoup, mais on n’entend pas sa voix. Idrissa Seck on ne l’entend pas non plus, Khalifa Sall, c’est des visites, mais on ne l’entend pas. Il a fait un point de presse non suivi de questions de journalistes. Hadjibou Soumaré n’est pas seul à se taire. Ils attendent de voir ce qui va sortir du dialogue national initié par Macky Sall, ce qui va en sortir comme propositions et comment ces propositions seront mises en œuvre, si on se dirige vers un gouvernement d’union nationale qui sera élargi à d’autres coalitions. Les échéances électorales prochaines sont assez lointaines parce que les Locales se tiendront au plus tard en mars 2021 et les Législatives ne sont que pour juin 2022. Leur silence peut se comprendre.» Mais précise-t-il : «Ce qui est valable pour Idy et Wade ne peut pas l’être pour Hadjibou Soumaré. Il n’a pas leur aura. Hadjibou Soumaré n’est pas une bête politique. Il a un beau pedigree en tant que haut fonctionnaire de l’Etat, mais ce n’est pas un politicien.»
Stratégie de la parole rare
Les moments qui ont suivi sa déclaration de candidature, Hadjibou Soumaré semblait pourtant avoir pris goût à la chose politique. Il se permettait même d’attaquer (ou) vertement Macky Sall, promettant même de le sortir du palais. «S’il (Macky Sall) pense nous faire peur, il a tout faux. Nous ne sommes pas des hors-la-loi. Nous avons le droit d’exiger la tenue d’une élection libre ainsi qu’un fichier fiable. Mais qu’il se prépare. Je vais le chasser du Palais, de gré ou de force. C’est moi qui vous le dis.» Une déclaration aux allures de menace pour un homme qui n’a jamais voulu être au-devant de la scène. Selon ses proches, Hadjibou Soumaré n’est pas du genre à se mêler de tout, même si cela ne diminue en rien son engagement. «Il a une stratégie de la parole rare. Hadjibou Soumaré n’est pas un homme bavard. Ce n’est pas quelqu’un qui parle de tout et de rien. Il a toujours eu cette ligne de conduite, ce n’est que quand il a des choses importantes à dire qu’il parle ou écrit», confie un de ses proches, l’un des premiers à rallier la cause de l’ancien Premier ministre. Il poursuit : «Nous sommes dans la grande Alliance et nous participons à toutes les activités. Sur le plan de la massification, nous continuons à faire notre bonhomme de chemin, mais après une élection, il faut que les gens s’organisent pour continuer à être plus visibles sur le terrain. Le travail qui doit se faire sur le terrain est en train d’être déroulé. Hadjibou Soumaré garde toujours son ambition politique, il garde sa motivation, son engagement. Il est juste en train d’attendre le moment opportun pour se lancer. C’est à lui de déterminer son calendrier.» De dire la suite qu’il compte donner à son action politique. Un engagement qui semblait plus s’arrimer à une date qu’à une réelle ambition.
2019, année électorale. Un rendez-vous important dans la vie d’une Nation. La rencontre d’un homme et son peuple. Hadjibou Soumaré ne voulait pas rater cela, selon des proches. Il fallait après la présidence de l’Uemoa, trouver une planque et lui a visé haut. Très haut. Avait-il senti que Macky Sall allait tomber en 2019 et qu’il a voulu en profiter pour se positionner ? Ousseynou Nar Gueye : «Hadjibou Soumaré a pensé qu’il avait une carte à jouer en 2019, mais je ne pense pas qu’en se rasant tous les matins, il pense à devenir président de la République. Il a sa vie de famille tranquille. Il pensait qu’il avait des hauts faits d’arme en termes de service au plus haut niveau à l’Etat sénégalais, en tant que Premier ministre, à l’étranger, en tant que Président de la commission Uemoa. Il a voulu jouer une carte, il a en été empêché, ça va peut-être s’arrêter là.»
Mais au sein de son mouvement, l’on pense fortement qu’il y aura une suite. «En politique, chacun a son calendrier. Il y a des débats qui se mènent au sein de la grande Alliance, mais il y a un calendrier interne. La politique n’est pas un métier. Il faut toujours avoir un bon calendrier d’activités. Il n’y a qu’au Sénégal qu’on voit les gens faire la politique 24h/24. Il y a un temps pour s’occuper de la politique, mais aussi un temps pour s’occuper de ses propres affaires et de sa famille. Étant un consultant international, Hadjibou Soumaré est hors du pays très souvent, mais il va communiquer bientôt», assure un de ses proches. Mademba Mbaye, chargé des élections, ajoute, sûr de son propos : «Nous sommes en train de travailler à une Assemblée générale. Nous avons des représentants dans tous les départements et dans la plupart des communes du Sénégal.» La seule chose qui manquerait au mouvement «Démocratie et République», c’est un leader plus politique, plus agressif. «Malheureusement, confie-t-on, Hadjibou Soumaré n’en est pas un.»
CODOU BADIANE (L’Obs)