J’ai commis une tribune dans l’édition de Jeune Afrique datée du 19 au 25 janvier 2020, titrée ‘‘Les papes du Nopi’’. Parmi ce quatuor de silencieux opposants sénégalais – puisque le ‘‘Nopi’’, urbi et orbi, dont il est question, est le leur- figure en bonne place Idrissa Seck.
Le ‘‘cas Seck’’ turlupine tous les analystes (et acteurs politiques ?), si ce n’est l’opinion publique sénégalaise toute entière, bien qu’elle joue les blasés sur le mode « Idy, on le connait ». Plus habitués que nous sommes aux saillies du Thiéssois qu’à ses silences, nous nous posons tous la question, même si nous ne sommes pas unanimes à nous l’avouer.
Idy est aphone depuis février 2019 : personne ne l’a entendu s’exprimer en public depuis la présidentielle où il a récolté un peu plus de 20% des voix. Toutes les affaires (y compris d’État) qui ont secoué la pirogue Sénégal depuis la réélection de Macky Sall ont laissé Idrissa Seck de marbre et aussi énigmatique que la Pythie de Delphes. Toute la presse sénégalaise y va donc de ses conjectures : ‘‘Le Témoin’’ du 21 janvier titre à sa Une : « Mutisme d’Idrissa Seck : stratégie de com ou lâcheté politique ». ‘‘Sud Quotidien’’, le 18 janvier, dans un article, pointe ‘‘le leader (de Rewmi) Idrissa Seck confiné dans un silence assourdissant depuis la défaite électorale de la présidentielle de février dernier ». Seneplus.com, le même jour, parlant de la ‘‘(re)naissance d’une opposition radicale », relève « le silence d’Idrissa Seck ».
Bref, un silence qui fait beaucoup de bruit. Tract se doit d’y aller aussi de son analyse. Pour paraphraser l’inénarrable Cheikh Yérim Seck : ‘‘Entrons donc dans la tête du leader de Rewmi’’. Notre analyse est de juger qu’Idrissa Seck a choisi cette cure de mutisme désormais sempiternel pour trois raisons principales :
Premièrement, mettre ses lieutenants devant leurs responsabilités : il n’y a pas de raison qu’à Rewmi, le leader soit le seul à payer de sa personne et à tenir le crachoir. Quand on se veut un (futur) parti de gouvernement, on se doit de jouer une partition collective digne d’un orchestre symphonique et pas seulement applaudir aux solos du ténor en chef.
Deuxio : En poussant ses lieutenants à se signaler aux avant-postes et à avoir des sorties médiatiques de leur propre initiative, Idy veut envoyer aux Sénégalais(es) le message subliminal selon lequel Rewmi dispose de cadres en nombre suffisant pour gérer le pays au pied levé et dès le premier jour de leur accession au pouvoir, dans le cas où le parti orange serait appelé aux affaires par les électeurs.
Ter : Idrissa Seck entent émuler celui qui reste son baromètre (« barreau-maître » ?) en politique, Abdoulaye Wade, qui avant sa dernière tentative d’opposant qui fut la première victorieuse, s’était emmuré dans un silence prolongé pendant plus d’un an derrière les murs de sa résidence de Versailles, suscitant ainsi la demande expresse de l’opposition sénégalaise, dont les faiseurs de rois étaient venues le quérir presque à son corps défendant, pour (enfin) bouter Abdou Diouf hors du pouvoir en 2000.
Pour ce qui est de la première raison, le leader de Rewmi a raison : il ne peut se payer le luxe de se coltiner des adjoints qui soient autant de fardeaux, seulement attentifs à attendre qu’Idrissa Seck secoue le cocotier pour lui faire chorus. Ceux- ci doivent pouvoir le suppléer, démontrer au passage qu’il y a une démocratie interne dans Rewmi (denrée trop rare dans le paysage politique sénégalais) et prouver que l’aventure Rewmi ne s’arrêtera pas avec la retraite politique (momentanée ou définitive) d’Idrissa Seck : Déthié Fall, Yankhoba Diattara, Abdou Fouta Diakhoumpa, et tutti quanti, on doit vous entendre plus et plus souvent, vous voir vous battre et battre le macadam plus et plus souvent, si le rêve présidentiel de l’ancien maire emblématique de Thiès doit un jour devenir réalité. ‘‘Pour accéder au pouvoir suprême, il faut qu’il y ait plus de gens, notamment dans votre proximité immédiate, qui le veuillent plus que vous –même, le candidat’’.
Pour ce qui est de la deuxième motivation que nous lui prêtons et qui découle de la précédente, nous pensons que c’est aussi une bonne tactique pour Idrissa seck : lui qui a une fois dit que ‘‘la forêt qui pousse ne fait pas de bruit’’, a raison de vouloir montrer aux Sénégalais qu’il n’est pas l’arbre qui cache le désert. Et qu’il y a bel et bien pléthore de cadres valables dans les rangs de Rewmi. A eux de s’affirmer et de le faire savoir. Comme dit Wolof Ndiaye, « wakh, ci guémigniou borom la dakkhé ».
Toutefois pour la dernière raison qui motive Idrissa Seck, c’est un pari risqué : il a un contentieux non réglé avec la psyché collective sénégalaise, qui le tient pour trop ductile pour être parfaitement honnête, depuis ses allers-retours chez Abdoulaye Wade avant le premier tour de la présidentielle de 2007, jeu de voltige qui l’a certainement empêché de mettre Gorgui en ballotage, pour cette élection dont beaucoup s’accordent à dire que c’est celle où Idy devait être élu président de la République. En 2019, 20% des électeurs ont voté pour Idy. C’est un score honorable de challenger crédible, dans toute démocratie qui se respecte. Mais cela peut aussi s’interpréter ainsi : 4 Sénégalais sur 5 ne font pas confiance à Idrissa Seck.
S’il l’a fait un peu et à demi-mots, il ne l’a pas fait franchement : Idy n’a pas donné acte au peuple sénégalais de cette erreur stratégique de sa part en 2007 (presqu’une faute morale !) et ne s’en est pas suffisamment battu la coulpe devant les populations avides de votre contrition publique pour vous considérer à nouveau digne de confiance.
Mais l’espoir reste permis, car Gorgui, avant l’alternance de 2000, avait lui aussi un contentieux avec les Sénégalais, pour être entré deux fois dans les gouvernements d’Abdou Diouf, au sujet duquel il alla jusqu’à dire : « « je suis son prolongement ». La victoire finale et l’accession éventuelle à la magistrature suprême, pour Idrissa Seck comme pour tout autre homme d’Etat (ce qu’il est sans aucun doute !) est et sera avant tout affaire de circonstances : « être l’homme qu’il faut à la place qu’il faut au bon moment ».
D’ici la prochaine échéance présidentielle, encore lointaine de 2024, Idrissa Seck a le loisir d’alterner le froid (silence polaire prolongé) avant de revenir au chaud (retour au naturel avec ses shows oratoires). ‘‘On ne dirige que comme on est’’, dit un axiome du management. ‘‘Et on ne fait campagne que comme on est’’, sommes-nous tentés d’ajouter. Comme le volcan en éruption qu’a été Abdoulaye Wade lors de la campagne présidentielle de 2000, il faudra bien qu’un jour Idrissa Seck accepte à nouveau de jouer sur son véritable registre et de mettre en avant sa véritable nature, en abandonnant les rôles de sexagénaire assagi : les bons mots, les piques assassines et le verbe haut. Mais avant cela, il lui faudra bien – oui, peut-être bien – passer par la case (demande de) « Grand Pardon » au peuple sénégalais. Afin de remettre les compteurs à zéro et de repartir comme en l’an quarante. « Silence »? Puis, « s’y lance ! ».
Comme le disait Miles Davis, « le silence qui suit la musique est aussi de la musique ».
Ousseynou Nar GUEYE
Fondateur de Tract