Les chefs de partis d’opposition, aussi bien celle représentée à l’Assemblée nationale sénégalaise que non, a défilé au Palais de la République ce mardi 24 mars. Une deuxième fournée d’opposants sera reçue au Palais de l’avenue Léopold Sedar Senghor demain jeudi.
Tour à tour, ont été reçus, hier mardi, par Macky Sall : Idrissa Seck du parti Rewmi, le socialiste en rupture de ban Khalifa Sall, le ‘‘maverick’’ de la scène politique Ousmane Sonko, l’homme du « Grand Parti » Malick Gakou, le marabout-politicien Modou Kara, le trio wadiste composé de Cheikh Bara Doli, Tafsir Thioye et Doudou Wade pour le PDS, Mamadou Diop Decroix, Landing Savané, Youssou Ndour, le ‘‘tekkiste’’ Mamadou Lamine Diallo, Issa Sall, le soufi de la politique Mansour Sy Djamil, Aida Mbodj, l’ancien maire de Dakar Pape Diop, et enfin Cheikh Bamba Dieye. Les opposants, parmi lesquels notamment les quatre qui s’étaient opposés à Macky Sall à la présidentielle de février 2019, ont embouché la même trompette lénifiante de soutien total au chef de l’Etat.
Idrissa Seck ? : « Ma présence ici montre notre totale adhésion auprès du président de la République pour combattre le coronavirus ». Ousmane Sonko ? : « Notre présence ici suffit à indiquer que l’heure est grave. Le président a répondu à toutes les questions que l’on avait. Les mesures qui ont été prises sont celles qui devaient l’être. A cette heure, il n’y plus ni Pastef, ni APR (NDLR : le parti au pouvoir), ni PDS, c’est le citoyen sénégalais qui est concerné. Le Covid-19 n’est pas non plus une maladie de Blancs, on l’a vu avec le décès aujourd’hui du musicien noir Manu Dibango. Nous sommes en faveur du consensus voulu par le « Président » (NDLR : c’est nous qui soulignons ) Macky Sall. Nous sommes en guerre ». Issa Sall, candidat du PUR à la présidentielle de 2019 ? : « J’ai dit au président Macky Sall que nous adhérons entièrement aux mesures prises. C’est un honneur pour moi d’avoir discuté avec le président de la République et je l’ai félicité ». Khalifa Sall ? : « Je dis ma compassion aux Sénégalais infectés. Nous félicitons le président pour les mesures prises et l’assurons de notre soutien ». Malick Gakou, du Grand Parti ? : « J’ai dit au président de la République notre détermination à l’accompagner dans le combat contre le coronavirus. Mon parti va voter la loi à l’Assemblée nationale ». Bel unanimisme de l’opposition qui se rallie au blanc panache de Macky Sall.
Pourtant, dans ces consultations avec son opposition, Macky Sall aura mis la charrue avant les boeufs. Car, il aurait dû les recevoir avant d’annoncer toutes ces mesures. En France, le Premier ministre Edouard Philippe a d’abord reçu les membres de l’opposition, pris leur avis et ensuite fait les annonces de mesure. De quoi ont-ils pu valablement discuter vu que les mesures sont déjà prises ? Cela n’a aucun sens.
On pourra nous objecter que le président Macky Sall a pris ses décisions (mesures d’état d’urgence et de couvre-feu), lundi dernier, suite à la consultation et aux avis d’experts de la santé, et que ces messieurs de l’opposition ne sont pas experts dans ce domaine. Il les aura donc juste rencontré pour les engager à prendre part à la sensibilisation et la mobilisation sociale ?
En tout cas, résultat des courses, le déficit de légitimité (au moins auprès de son opposition la plus représentative) que Macky Sall trainait depuis le présidentielle de février 2019, a pris fin ce mardi 24 mars. Ses opposants les plus irréductibles ont reconnu son statut de président, en allant répondre à son appel.
Quelques-uns de ces opposants ont essayé de montrer qu’ils ne rendaient pas totalement les armes face à Macky Sall. Ainsi, sur le fond, le président du parti Pastef, Ousmane Sonko, troisième à la présidentielle de février 2019, a dit avoir fait part au chef de l’Etat de ses inquiétudes sur la provenance des 1000 milliards annoncés comme « fonds de riposte », mais aussi sur son utilisation. Il a aussi indiqué que les mesures prises sur la fiscalité (200 milliards d’impôts pardonnés aux entreprises) ne sont pas rassurantes et ne le satisfont pas. Il est aussi revenu sur les 50 milliards destinés aux Sénégalais comme « fonds d’aide alimentaire », jugeant que c’était peu. Néanmoins, Ousmane Sonko a salué les mesures prises par Macky Sall et a indiqué se rallier au consensus dans la gestion de la crise, voulu par le président. Sur la forme, le marabout-politicien Kara Mbacké a appliqué ce qu’il faut bien qualifier de « licence mouride », en refusant d’observer les gestes-barrières anticoronavirus : il a serré la main de Macky Sall et devant les caméras de la presse, lui a parlé à moins d’un mètre de distance.
Au total, on peut dire que le deuxième (et dernier ?) mandat présidentiel de Macky Sall commence véritablement avec cette crise du Covid-19. Le « dialogue politique et national », format de discussion avec l’opposition qu’il a initié après sa réélection, et qui peinait à prendre forme, n’a plus lieu d’être. L’opposition le reconnait désormais comme président légal et légitime de tous les Sénégalais.
La neutralisation du front politique (qui sera aussi celle du front social) est un passage obligé pour Macky Sall, qui ne peut se permettre des voix discordantes sur ses mesures. Celles-ci, jusqu’ici, ont souvent été contre-productives : le refus de rapatrier les étudiants sénégalais de Wuhan a poussé les modou-modou venant des foyers d’infection en Europe à rentrer clandestinement dans le pays; l’interdiction de prières dans les mosquées le vendredi dernier a occasionné des révoltes populaires ça et là (500 sur 4500 mosquées ont prié); l’interdiction de vente de pain dans les boutiques de quartier a créé des rassemblements – monstres devant les boulangeries, au moment même où les attroupements sont interdits. Et la première soirée de couvre-feu, hier mardi, a vu des policiers donner des coups de matraque à des citoyens en retard sur l’heure-butoir. Plus que jamais, Macky Sall a donc besoin d’unanimisme sur la pertinence des mesures de lutte contre le Covid-19.
Damel Mor Macoumba Seck