Récit iconoclaste des efforts apostoliques de l’Église catholique en Afrique, sur fond de suprématie coloniale, Le Pauvre Christ de Bomba du Camerounais Mongo Beti fit scandale lors de sa parution en 1956. L’Église empêcha sa distribution au Cameroun et son éditeur Robert Laffont arrêta sa commercialisation. Roman anticlérical, anticolonial, mais avant tout une œuvre puissante et inventive.
Un titre incontournable
Paru en 1956, Le Pauvre Christ de Bomba compte parmi les dix romans africains incontournables. Son auteur, le Camerounais Mongo Beti, s’était fait connaître au début des années 1950 en publiant dans les pages de la revue Présence africaine, une critique cinglante de L’Enfant noir, roman du Guinéen Camara Laye. Intitulé « L’Afrique noire, littérature rose », l’article était une dénonciation en règle de l’« image stéréotypée de l’Afrique et des Africains » proposée par Laye. L’auteur reprochait à son confrère de présenter une Afrique paisible, belle et maternelle, alors que les populations du continent étaient victimes des pires exactions coloniales.
C’est d’ailleurs en réponse à L’Enfant noir que Mongo Beti qui avait alors 24 ans, a écrit Le Pauvre Christ de Bomba. Son narrateur est aussi un jeune garçon, mais l’histoire qu’il raconte est autrement plus traumatisante que celle de Camara Laye.
Récit des traumatismes de la période coloniale
Dans ce roman, Mongo Beti aborde la colonisation par son versant religieux. Son thème : les turpitudes au sein de l’Église catholique dans les territoires colonisés d’Afrique. On est plus précisément au Cameroun, dans les années 1930, dans la mission catholique de Bomba, sur laquelle règne en maître le révérend père supérieur Drumont. Ce dernier se fait appeler « Jésus-Christ » par ses ouailles et prend très au sérieux sa mission d’évangélisation, qu’il accomplit avec un autoritarisme certain. Il n’hésite pas, par exemple, à faire fouetter sur la place publique les auteurs des moindres inconduites antichrétiennes. On le voit aussi faire irruption pendant les fêtes païennes, allant jusqu’à briser en mille morceaux des instruments de musique des villageois.
Or, les certitudes du révérend père supérieur Drumont s’effondrent lorsqu’au bout de vingt ans de prêtrise en Afrique, à la faveur d’une tournée en brousse, il prend brutalement conscience des limites de son action apostolique.
Le triple échec du missionnaire en Afrique
L’échec du missionnaire en Afrique est triple : trop préoccupé par son souci d’imposer la moralité chrétienne et son obsession de la vie éternelle, il n’a pas su répondre aux attentes réelles des populations qui réclamaient plus de savoirs scolaires et techniques pour sortir de leur sous-développement. Par ailleurs, – c’est l’autre grand échec du père Drumont -, en ne s’opposant pas fermement aux travaux forcés et autres injustices perpétrées par l’administration coloniale, il a laissé son Eglise se transformer en un simple « auxiliaire de l’asservissement des Africains ».
Plus dure encore sera la découverte que, profitant de sa négligence, ses plus proches collaborateurs locaux, ont transformé la maison des jeunes femmes de la mission en un lieu de débauche. Drumont est obligé de s’avouer vaincu et le roman bascule alors dans une tragédie quasi-racinienne, alors que les premières pages du livre pouvaient se lire comme une version de « Tartuffe » des temps modernes.
Une écriture inventive
Si les circonstances historiques que ce roman dénonce ont évolué, l’écriture inventive de Mongo Beti n’a pas vieilli. Agrégé de lettres, l’écrivain était un grand lecteur de Montesquieu, de Diderot et de Voltaire auxquels il avait emprunté leur sens de la parodie et de la dérision pour attirer l’attention sur les hypocrisies et les iniquités de son temps.
Le Pauvre Christ de Bomba se présente sous la forme d’un journal personnel, celui de Denis, boy dans la mission de Bomba. Cet adolescent qui va accompagner le Père Drumont pendant sa tournée dans la brousse, note dans son cahier les événements importants survenus au cours de ce périple, sans nécessairement en comprendre toute la portée. C’est à travers le prisme décalé de ces notations fidèles mais naïves des drames au quotidien de la confrontation coloniale entre Africains et Européens, que le lecteur saisit la grandeur et la décadence du personnage central, ainsi que les paradoxes de l’entreprise colonisatrice.
On est à un moment charnière de l’histoire africaine, et aussi de l’histoire de la fiction littéraire. Avec Mongo Beti, le récit ethnologisant des traditions africaines cède le pas à une approche réaliste et politique de la vie africaine, dévoilant les tensions et les conflits dont le continent est le théâtre. Voilà ce qui fait du Pauvre Christ de Bomba un grand roman, à lire ou à relire.
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