Inventaire des idoles, Saison 2, Entrée 30 – L’ancien « Lion de l’Atéranga » Ferdinand Coly se bat aujourd’hui devant la justice sénégalaise et se dit victime d’une arnaque avec une grosse somme en jeu. L’ex-international de football, 48 sélections, pilier de la génération 2002, ne compte pas céder, même après 8 ans de procédure. Une question de principe. S’il s’est aujourd’hui lancé dans la création d’un verger qui l’occupe à plein temps, sur les terrains comme en dehors, il tient à une valeur sacrée : l’honneur. Portrait.
21 ans, c’est ce qu’avait Ferdinand Coly. Et déjà du culot. Employé de la mairie de Poitiers le jour, joueur de football semi-professionnel du Stade Poitevin, alors en National, le soir. Un de ces profils que seule la magie de la coupe de France sait mettre à l’honneur et dans la lumière. Comme ce jour, le 4 février 1994 exactement, où il doit affronter Monaco, locomotive de ligue 1 [première division à l’époque] dans la mythique compétition qui rassemble professionnels et amateurs. Deux divisions séparent les deux équipes. Sans doute plus encore, le défenseur, locks déjà au vent, et son client du jour, un certain Sonny Anderson. Le brésilien est alors redoutable, ce qui se fait de meilleur en ligue 1 ; Ferdinand Coly, à l’époque stoppeur avant de s’exiler plus tard sur la droite de la défense, ne se laisse pas impressionner face à la formation dirigée Jean-Marc Ettori qui reste sur une série d’invincibilité en coupe. Le défenseur de National se souvient de chaque détail. Un fait parmi mille en particulier : un tacle rageur, autoritaire, mais dans les règles, lui donne un ascendant sur son prestigieux adversaire. La suite du match est un cauchemar pour l’attaquant, la prestation du jeune défenseur capte le regard des observateurs. Le Stade Poitevin gagne face à l’ogre monégasque. Tout s’emballe après ce match. Le potentiel de ce jeune garçon saute aux yeux des dirigeants du Rocher. Ils le contactent, lui proposent un contrat. Un bond majeur dans sa carrière se profile. Il signe mais le Stade Poitevin FC bloque la transaction. Après quelques mois d’un conflit sourd, l’agent municipal reste finalement dans la ville. Pour lui, l’honneur est déjà une valeur essentielle. Comme sur les terrains, c’est un dur au mal, qui poursuit ses objectifs avec opiniâtreté et dévotion. L’histoire fera le reste, après ce tacle, qu’il ressuscite des archives avec une certain malice plus de 20 ans après, il connaîtra une carrière exemplaire, plusieurs sélections en équipe nationale, une image de droiture, dont les sénégalais ont été les témoins privilégiés.
Un retour au pays amer
Curieusement, cette endurance, c’est aujourd’hui sur un terrain assez improbable qu’il la mobilise : celui de la justice. Depuis 2012, il se dit victime d’une escroquerie encore en examen par la justice, il se bat, seul au front, pour retrouver son dû. L’affaire est complexe. En 2010, sollicité pour intégrer le staff de l’équipe nationale, il accepte volontiers la mission. Les séjours au Sénégal s’enchainement, plus que de coutume pour le résidant bordelais. Par l’entremise d’un ami, il fait la connaissance de Saliou Samb, industriel de la place, figure de la petite côte et fils de pêcheur, avec qui les relations sont très rapidement cordiales et presque amicales. Le secteur de la transformation des produits halieutiques est en mort clinique. On soupçonne les chalutiers chinois de piller une bonne partie de ces ressources, importantes au Sénégal. Les usines comme la SOCHECHAL ont fermé. Pourquoi ne pas participer à l’aventure de SANGOMAR FISHING, faire coup double et fructifier ses séjours au Sénégal en participant au réveil de ce secteur ? Ferdinand Coly ne tergiverse pas longtemps. Il s’engage comme caution, hypothèque ses biens, sollicite son entourage et stabilise des partenaires, suédois, italiens, pour l’écoulement des produits. L’affaire paraît bien emmanchée. Avec celui qu’il appelle « Zale », bien introduit dans les sphères économiques et politiques, président du stade de Mbour, c’est une relation de confiance, qui voit l’ex-international convier son partenaire à Bordeaux. Les choses se gâtent par étapes, d’abord des trous dans les comptes, des conteneurs qui s’évaporent, des faux et usages de faux auprès des partenaires, une perte de 200 millions CFA. Ensuite l’engrenage, la pollution des relations en chaîne nouées autour du projet. C’est l’embrasement jusqu’au point de non-retour.
Quand il découvre l’étendue et la sophistication de l’arnaque, le garant tombe des nues. C’est lui que les services de recouvrement ont en première ligne. Il perd des sommes colossales. A la stupéfaction, s’ajoutent la colère et le sentiment d’être trahi, abandonné. Le combat judiciaire commence. La presse est timide et n’ébruite que des portions de l’histoire. Il faudra une interview chez Babacar Cissé de Record, où à bout, il menace de rendre sa nationalité sénégalaise, pour que les réactions s’emballent. La fédération, la présidence de la république, les soutiens, se déclarent et se multiplient, le suppliant de préserver cette histoire d’attachement à la nation, que tant d’hymnes, scandés devant des millions de spectateurs, ont forgé. D’autres plus critiques fustigent un chantage affectif propre aux binationaux. Il est doublement meurtri. Depuis, c’est dans les couloirs de l’administration, chez les juges d’instruction, les huissiers, qu’il se défend. Le temps judiciaire est long et labyrinthique. Il y découvre des pratiques inconvenantes, mais n’abdique pas. Saliou Samb a bien sûr sa version, toute autre et la justice devra trancher. Selon sa devise « on ne lâche rien », devenue par ailleurs totem et refrain des résistances, le défenseur attend sereinement que la justice de son pays fasse son travail. Il ne « cédera rien », d’autant plus que dans ses rêves les plus fous, rentrer au Sénégal n’était pas une évidence. Un concours heureux de circonstances, une simplicité en écho au mode de vie sans paillettes, des opportunités, l’ont séduit et relié à un pays, auquel le football l’avait indéfectiblement lié malgré un départ précoce du Sénégal.
Bordeaux et Poitiers : début de l’aventure
Tout s’orchestre dans son premier fief, à Bordeaux, où il débarque à 7 ans, accompagné de son frère cadet. Ils viennent de perdre leur père, militaire, et leur maman est au plus mal. ils sont accueillis par une famille d’accueil, Les Poncet, dans le pays girondin. Il y reçoit une éducation française et « parle encore aujourd’hui à peine le wolof ». Avec la Casamance, le lien n’est pas plus évident avec le Bignona du père Quentin Coly ; il en garde un patronyme, et se souvient d’un voyage simple, en sac à dos, pour renouer avec cette terre des origines lointaines. Chez le père adoptif, Bernard, grand mordu de football, le petit Ferdinand chausse ses premiers crampons vers 9 ans. Sa crinière se dessine l’été de ses 17 ans, dans une maison de campagne, en vacances. Il s’ennuie, et l’esprit rasta sera sa thérapie. Il joue dans un club de la banlieue bordelaise. Les aptitudes sont là, dans ses courses, la hargne, et pointes de vitesse, le charisme déjà présent. Mais le petit Ferdinand ne s’illusionne pas outre mesure. Il est réaliste. « Je ne rêvais pas lâche-t-il, je voulais avoir un métier, subvenir à mes besoins et celui de mes proches. » Tout lâcher pour le foot ? C’est une « folie » pour lui. Il est en conscient très vite, il faut avoir sa bonne étoile, le talent de suffit pas. Il faut zigzaguer entre les « blessures qui peuvent ruiner une carrière ». Pour « percer », quand on est « noir », il faut mettre les bouchées doubles. La maturité est déjà là. Il continue les études, bac en poche, une pige à la faculté de Talence, et en parallèle, connaît les petites divisions. Il finira par toutes les connaître. A 21 ans, il devient fonctionnaire à la Mairie de Poitiers et défenseur du Stade Poitevin. Sans rien attendre de la providence, il est pourtant exaucé. Il a son cachet des matchs avec l’équipe, son salaire de la ville. Il ne se plaint pas. La suite est un roman : il s’engage avec Châteauroux en 96, en division 2 et gagne le championnat. Les radars de l’équipe nationale clignotent et on lui propose d’intégrer la génération-terreau de l’équipe de 2000. Ferdinand Coly ne veut pas brûler les étapes, il décline. Il veut avoir la légitimité. En 1999, il signe à Lens. Les Sang et Or, le stade Félix Bollaert, les supporters de l’ancienne cité minière du Nord de la France, font partie des emblèmes de la ligue 1. Le contingent sénégalais à Lens fait même de la ville une miniature de l’équipe nationale. Ils sont tous là, titulaires et joueurs précieux, de 2002 : Pape Sarr, El Hadj Diouf, Bouba Diop… En 2000, après le traquenard à la Can 2000 au Nigéria, qu’il regarde à la télé, il est appelé par celui qu’il appelle « un grand bonhomme », le sélectionneur des lions de la Téranga, Peter Schnittger. Ferdinand Coly honore sa première sélection à Annaba, contre l’Algérie, et s’en souviendra toujours au cours des 48 sélections qu’il honorera pour toute sa carrière. L’allemand a construit les bases d’une belle équipe, qui a sorti l’équipe nationale de sa petite léthargie des années 90.
Un symbole de 2002
Titulaire dans le couloir droit, Ferdinand Coly incarne alors la rigueur. Elément essentiel de ce « back four » sénégalais, une ligne verte « qui ne perdra aucun match à Dakar » s’amuse-t-il, pas peu fier. Une autre ligne, à droite, sur l’aile, tantôt associé à la fusée Henri Camara, tantôt au multitâche et si serviable Moussa Ndiaye. La génération de 2002 écrit les plus belles pages de l’équipe nationale. Les rastas de Ferdinand sont comme le crâne peroxydé de Diouf, des symboles d’une génération sans complexe, soudée. Le jour du tirage au sort de pour les groupes de la coupe du monde 2002, le kiné de l’équipe de France le chambre : « vous allez prendre une raclée ». Il sourit, des idées dans la tête. Avait-il en tête, le duel baptismal avec Sonny Anderson ? N’empêche, la lecture qu’il fait de ce duel est pleine de clairvoyance. Lens, Sedan, Auxerre, les viviers de l’équipe nationale du Sénégal étaient alors des clubs en forme. Le Sénégal ne partait pas de rien. Au stade de Séoul, dans le couloir qui mène à la pelouse, avant même d’entrer sur le terrain ce 31 mai 2002, face à la France, le match a déjà commencé. Les sénégalais rivalisent d’atouts physiques et les regards écrivent en partie ce duel sans partage qui s’annonce et charrie son lot d’histoire. L’exploit est connu, l’épopée sénégalaise, un motif de fierté nationale. Jusqu’à la percée d’Ümit Davala et le but d’Ilhan Mansiz, bourreaux turcs qui crucifient les lions en quart de finale du Mondial, le Sénégal offre une belle aventure. Un regret pour cette génération ? « Le manque de titre » acquiesce-t-il. Pourtant si près face au Cameroun, en février 2002, le destin leur tendait les bras. Ferdinand Coly se souvient de l’ambiance dans l’hôtel de Bamako, leur quartier général, la fraternité, l’honneur, la rage, la vie du groupe. « Le diable se trouve dans le détail. La veille de la finale, on ne s’était pas entrainés à tirer les pénaltys. Personne des tireurs habituels ne voulait le tirer. Quand j’avance et que je marque, je fais un signe de croix, je n’y crois pas » témoigne-t-il. Ferdinand Coly prend sa retraite en 2008, au bon moment, déclinant la sélection de Kasperczak, dans cette Can du Fiasco.
Champ d’honneur
Aujourd’hui, en pleine bataille judiciaire, Ferdinand Coly a renoué avec un autre champ, celui de huit hectares acquis précocement où il affermit une vie agricole simple, loin des lumières. Il y puise l’énergie pour ce combat qu’il mène, pour l’honneur et pour le symbole, entre autres. « Le travail, la parole donnée, le don de soi », voilà comment il résume sa sainte trinité. Il a sous sa direction, dans ce verger, qui se diversifie et vise l’élevage à court-terme, des jeunes salariés. Sa vie se résume, sur son vélo, sa moto, ou à pied, à cette vie de champ, à une bonhommie dans la rue, pour celui qui a troqué ses rastas pour une crâne à ras, mais qui n’a pas renoncé à l’idéologie de partage rastafari. Sur sa vie au pays, il ne porte aucun jugement moral, mais regrette les opportunités manquées à cause de cette histoire d’arnaque. Quand on lui parle football d’aujourd’hui, il se réjouit de la génération actuelle de l’équipe nationale, qui a poussé un cran plus loin encore le pays. Grâce à eux, selon lui, la participation du Sénégal aux grands compétitions n’est plus aléatoire, mais régulière. Un acquis majeur.
Tout paraît s’enchainer dans ce parcours qui l’a conduit en Angleterre, ensuite en Italie, à la fin de sa carrière, gouverné par la bonne fortune. A mi-chemin entre le hasard et la bonne étoile qui ne sourit qu’au travail et à l’abnégation. S’il a connu la gloire sur le champ vert, le bonheur simple et terrien dans ses champs aux senteurs d’agrumes, c’est dans le champ judiciaire qu’il s’éprouve désormais, et fait l’expérience des relations troubles avec la terre d’origine. La fragilité des liens que défont et retissent, avec toujours un peu d’amertume, la migration, l’éloignement, l’arrachement à la terre natale. Des relations d’amour contrarié avec le pays, qui s’expriment aujourd’hui dans le champ judiciaire, où sa victoire ne serait pas personnelle, car son honneur, c’est un peu le nôtre. Et il nous appartient de le défendre, dans la mesure de la vérité.
Elgas
Ecrivain & journaliste