Le traçage des habitants par géolocalisation de leur téléphone ne pose pas de problème en Corée du Sud et à Taiwan, et plus généralement en Asie. Pourquoi ? Les systèmes numériques de prévention et d’alerte des catastrophes n’ont pas attendu la pandémie de pneumonie virale en Asie orientale. Si les outils de traçage sont communément acceptés par des pays tels que la Corée du Sud et Taiwan, c’est qu’ils ne constituent pas totalement une nouveauté. Ces deux sociétés du risque [risques géopolitiques -la Corée du Nord pour Séoul ou la Chine pour Taipei-, et risques naturels] sont souvent citées en exemple en matière de lutte contre l’épidémie.
Depuis dix jours, la Corée du Sud n’a pas dépassé les 15 nouveaux cas de contaminations quotidiens, pour un total de 10 752 personnes contaminées et 244 décès depuis le 20 janvier. Et pour Taiwan, c’est encore mieux. Taipei n’a pas enregistré de cas domestique depuis 14 jours, et ne compte que 430 contaminations et 6 décès. Et comme la Corée du Sud, Taiwan est très numérisée.
« Quand il y a un tremblement de terre qui dépasse 4 sur l’échelle de Richter, tout de suite, on reçoit un message sur notre téléphone pour nous dire de nous protéger, explique Jean-Yves Heurtebise, maître de conférence à l’Université FuJen de Taipei. Il y a un autre exemple, c’est quand, une fois par an, il y un exercice de protection aérienne, on reçoit un message à ce moment-là en disant que, de telle heure à telle heure, il ne faut pas sortir de chez soi, il faut rester dans les demeures », poursuit le chercheur associé au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC).
Traumatismes…
Ces outils numériques font l’objet d’un encadrement juridique. En Corée du Sud, c’est la loi de 2015 qui donne au Centre coréen de prévention et de contrôle des maladies (KCDC) des pouvoirs de justice et de police. La législation est née au lendemain de deux traumatismes majeurs pour la société coréenne : l’épidémie de MERS en 2015 et, un an plus tôt, le naufrage du ferry Sewol qui avait entraîné la mort de plus de 300 lycéens. A l’époque avait été constaté un dysfonctionnement dans la chaîne de commandement étatique des secours. En cas d’épidémie, c’est le KCDC et donc les scientifiques qui commandent le traçage des porteurs du coronavirus. Les données sont hébergées sur un serveur externe à l’État. Et une fois rendues anonymes, elles sont consultables sur une banque publique.
« Interroger tout ce qui possible d’être interrogé… »
On est donc loin d’Orwell affirme François Amblard, physicien, biologiste, directeur de recherches au CNRS et professeur à l’Institut des Sciences et Technologies d’Ulsan en Corée du Sud. « D’une certaine façon, si on entend par traçage le fait de coller un bracelet à quelqu’un, un GPS sous sa voiture ou une puce sous la peau ou dans le téléphone, ce n’est pas du tout de ça qu’il s’agit ici. Le traçage est strictement rétrospectif. Quelqu’un qui est déclaré positif, le jour où le résultat du test arrive, la personne va être soumise à une effraction de sa vie privée sur les quinze jours passés », décrit l’auteur de deux rapports sur lemodèle de lutte contre la Covid-19 en Corée.
Cette effraction momentanée dans la vie privée est légalement permise, même si la loi demande aussi le consentement de la personne qui fait l’objet de l’enquête épidémiologique. Face à la montée des cas de contaminations, la procédure a même été automatisée le 10 mars dernier. « On entre le numéro de téléphone dans la base de données, les autorisations sont demandées par la base de données à la police, à la justice, d’aller interroger les bandes, d’aller interroger les caméras de surveillance, d’aller interroger tout ce qui est possible d’interroger », indique François Amblard.
Tract ( avec radios)