L’étonnante résilience du continent face au coronavirus surprend tout en motivant des questions sur cette capacité qu’elle a et dont on chercherait les origines dans la jeunesse de sa population, son climat. Tous les macabres pronostics ont été démentis par la réalité du moment. La question finale consistera à se demander quelle sera la forme de la destinée.
Penchés sur l’Afrique, les oiseaux de mauvais augure ont pronostiqué une catastrophe à nulle autre pareille. Pour eux, le Covid-19 serait inévitablement dévastateur pour ce continent africain sans infrastructures suffisantes et avec des systèmes de santé fragilisés par un manque criant de personnel médical.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans son rôle, n’a cessé depuis le début de la pandémie de lancer des cris d’alerte et d’exhorter les pays à prendre des précautions, redoutant une propagation dévastatrice. Pour le moment, les ravages annoncés n’ont pas eu lieu. La pandémie semble progresser plus lentement. Alors que l’Europe annonce plus d’un million de cas de contamination et 137 761 décès*, le continent africain dénombre seulement 2 006 décès pour un total de 47 115 cas et 15 571 rémissions*.
Les États les plus touchés sont l’Afrique du Sud, l’Égypte avec un premier cas en février dernier, suivis par le Maroc, l’Algérie et le Nigeria. Ce sont des données communiquées officiellement par les autorités.
Imperfection statistique pour une maladie mal connue
La réalité de la propagation du virus est sans doute nettement plus importante, surtout dans les pays disposant de capacités de dépistage limitées. Le chef du Centre africain de contrôle et de prévention des maladies, John Nkengasong, concède à l’AFP que, faute de tests, les statistiques ne sont pas parfaites. Pour autant, il écarte l’idée que de nombreux cas passent sous les radars : «Les hôpitaux seraient envahis de malades, ce qui n’est pas le cas», pointe-t-il.
Bien sûr, il n’est pas encore temps de crier victoire. Le virus, depuis le début, a joué de sacrés tours aux chercheurs et aux médecins. Considéré à l’origine comme la cause d’une simple petite grippe, il s’est révélé un sacré tueur à travers sa capacité à déclencher des orages immunitaires chez les patients. Il ne s’est pas contenté d’attaquer les poumons, comme on l’a pensé au début, mais également tous les organes devenus potentiellement exposés à cette réaction inflammatoire, à savoir les reins, le cerveau?
Sur ses possibles mutations et sa capacité à se déclarer deux fois chez un même patient, on a encore peu d’indices.
On vient juste de constater qu’il circulait déjà en France à la fin de l’an dernier, avec un patient qui a été soigné pour une pneumonie dans un hôpital de Bondy le 27 décembre, et testé positif au Covid-19 sur des échantillons conservés. Que dire alors de ses athlètes français qui disent l’avoir probablement contracté à Wuhan lors des championnats du monde militaire.
Ce n’est donc pas parce que le virus donne l’impression de circuler moins en Afrique qu’il ne faut pas prendre de précautions. Pour autant, on peut s’interroger sur les raisons qui pourraient expliquer cet incroyable écart entre la situation observée en Europe et en Amérique et celle dont l’Afrique est l’hôte. Que cache cette étonnante résilience africaine ?
Des mesures préventives précoces
Cette plus lente progression du virus serait pour certains à mettre aux crédits des États africains qui ont rapidement pris des mesures préventives, notamment pour limiter les voyages. « Je crois que l’Afrique du Sud a pris la bonne décision de confinement au début de la pandémie », a déclaré Glenda Davison, chef du département des sciences biomédicales de la Cape Peninsula University of Technology (Afrique du Sud) dans la revue médicale The Lancet.
Cela a permis de ralentir le taux d’infection, donnant au pays le temps et, espérons-le, la capacité de traiter ceux qui ont besoin d’une unité de soins intensifs. Elle ajoute : « Une augmentation des cas se poursuivra, mais à un rythme plus lent si le respect de la distanciation sociale se poursuit.»
La Tunisie, le Maroc et l’Algérie ont imposé un confinement et des couvre-feux avant que l’épidémie n’ait eu le temps de se propager largement. Le Sénégal a également opté assez rapidement pour un couvre-feu et la limitation des rassemblements, y compris religieux, comme en Afrique du Nord.
L’OMS, qui s’inquiétait de la progression de la pandémie en Afrique de l’Ouest le 30 avril, jugeait cependant « très encourageant » le fait qu’un certain nombre de pays aient « rapporté zéro cas en quelques semaines ». « Il s’agit certes de pays relativement petits, la Namibie, la Mauritanie et les Seychelles, mais ils ont mis en place très tôt des mesures qui ont donné des résultats », a fait valoir le Dr Matshidiso Moeti, directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique. Elle a ainsi loué les mesures prises par ces pays, en mettant notamment en place « certaines mesures précoces », comme les tests et la recherche des contacts.
Une population jeune
Avec 60 % de la population africaine âgée de moins de 25 ans, un âge médian de 19,4 ans, le continent dispose d’un atout majeur. Le coronavirus semble épargner les jeunes enfants et les adolescents et avoir une incidence faible sur les jeunes adultes en bonne santé.
C’est peut-être là une première explication de cette résilience car, comme observé ailleurs, les populations âgées ou sujettes à de la comorbidité (maladies chroniques, obésité) sont décrites comme particulièrement à risque par les médecins. En France, 75 % des personnes décédées du Covid-19 ont plus de 75 ans. L’Italie du Nord, région la plus touchée au monde, est aussi caractérisée par une très forte population âgée, plus de 23 %. En Afrique, seulement 5 % de la population a plus de 65 ans. Et si le nombre de personnes souffrant de diabète et d’obésité en Afrique augmente, cela reste bien loin des chiffres atteints en Europe, voire aux États-Unis.
Cette hypothèse de la jeunesse de la population comme facteur atténuant l’impact de la pandémie est largement partagée par les scientifiques. Cependant, certains apportent des réserves. Jeunes, oui, mais pas toujours en bonne santé. Cette jeunesse est malheureusement plus victime que d’autres de maladies comme le VIH, le paludisme ou la tuberculose.
Faible densité et mobilité de la population
Hormis quelques pays densément peuplés comme l’Égypte, la Tunisie, le Maroc ou encore le Rwanda, et quelques grandes mégalopoles comme Lagos, le continent affiche une faible densité de population avec seulement 43 habitants par kilomètre carré.
Des chiffres qui grimpent à 181 habitants au km² en Europe de l’Ouest et 154 en Asie du Sud-Est. Les habitants qui se concentrent dans les capitales et grandes villes économiques ont été très tôt pris dans des mesures de confinement ou de restriction de circulation. Ainsi, en Côte d’Ivoire, le grand Abidjan est isolé du reste du pays depuis le 30 mars. L’OMS confirme que cette faible densité de population joue un rôle positif, tout en soulignant que ces chiffres ne sont qu’une moyenne, et que des villes comme Lagos ou Abuja affichent des densités de population records.
En revanche, dans les zones rurales, cette faible densité limite considérablement les contacts, et donc la transmission du virus.
Contrairement à certains pays européens, ou à des villes comme Paris ou New York, l’Afrique n’est pas non plus soumise à des flux intenses de touristes et de voyageurs. Sur les 50 aéroports les plus fréquentés au monde, un seul est africain, celui de Johannesburg.
Le facteur climatique
Un des premiers arguments avancés pour expliquer que l’Afrique serait moins exposée était que le virus ne supportait pas la chaleur. Heureusement que la plupart des gouvernements africains ne se sont pas servis de cet argument pour jouer la carte de l’attentisme.
« Une étude a conclu que la maladie à coronavirus est possiblement moins stable à des températures plus élevées, la température optimale de transmission se situant probablement autour de 8,72 °C. Les températures dans la plupart des pays africains sont rarement inférieures à 15 °C. Ceci ne veut pas dire que le Covid-19 ne peut se transmettre dans des climats plus chauds, mais uniquement qu’il est peut-être plus aisé de le contenir en milieu tropical », estime Denis Chopera, médecin virologue et directeur administratif de programme pour le réseau d’excellence en recherche sur la tuberculose et le VIH en Afrique subsaharienne (SANTHE), dans une tribune publiée par le journal suisse Le Temps.
Barrières des traitements antérieurs et retour d’expériences des épidémies
Avec cette hypothèse, on saute à pieds joints dans la polémique? De la France à l’OMS, en Afrique aussi, les débats sont vifs. Certains médecins et chercheurs observent une plus faible contamination au coronavirus dans les pays les plus touchés par le paludisme ou la tuberculose.
Les études se multiplient, mais l’OMS reste très réservée sur la question. Une étude du NHS (National Health Service) et de King’s College montre une corrélation négative entre les pays affectés par la malaria et ceux touchés par le Covid-19, qu’elle explique par un possible effet protecteur des traitements prophylactiques pour la malaria comme la chloroquine contre le coronavirus. Une autre étude met en avant l’hypothèse d’une vaccination systématique contre le BCG, déployée en Afrique, qui pourrait expliquer l’immunisation de la population.
Convaincu de l’efficacité de l’hydroxychloroquine accompagnée d’un antibiotique, le professeur français Didier Raoult n’hésite pas à prescrire son protocole à Marseille. Né à Dakar et grand connaisseur de l’infectiologie africaine, il a de nombreux supporteurs sur le continent. Au Sénégal, ses recommandations ont très vite été suivies. Selon une analyse préliminaire présentée le 2 mai par le professeur Moussa Seydi qui coordonne la prise en charge des patients au Sénégal, l’usage du traitement préconisé par le professeur Didier Raoult montre une nette réduction de la durée d’hospitalisation.
En tout cas, l’expérience de l’épidémie Ebola en Afrique de l’Ouest a appris aux soignants et aux populations les gestes qui sauvent. Les bonnes pratiques mises alors en place sont aujourd’hui très utiles : détection, isolement des malades, précautions lors des soins et hygiène de base comme se laver les mains.
Après la résilience sanitaire, la résilience économique et sociale ?
Quoi qu’il en soit, pour le moment, l’Afrique, de manière volontaire ou involontaire, joue de ses avantages, objectifs ou subjectifs, dans un univers où les questions sont encore bien nombreuses. Habituée des épidémies et consciente de ses faiblesses infrastructurelles, l’Afrique résiste encore, sur le plan sanitaire. Au fur et à mesure que le temps va avancer, on y verra un peu plus clair. Les avancées des travaux scientifiques conjuguées avec les effets du « grand déconfinement » auquel l’Afrique ne pourra pas échapper, secteur informel oblige, permettront certainement de mieux lever le voile sur un coin du mystère africain.
Au-delà du front sanitaire où l’Afrique pourra mesurer ses avantages comparatifs, il faudra s’atteler à faire face aux menaces de crise économique, de crise alimentaire, de crise sociale et peut-être de crise financière. Cette pandémie a littéralement arrêté la marche du monde. Il s’agit d’un séisme à degrés élevés sur l’échelle de Richter économique et sociale. Nul ne sait quelle sera l’ampleur de son impact sur les environnements politiques des divers pays.
La seule chose dont on soit sûr, c’est que, quelle que soit la voie par laquelle il arrivera, seul un vaccin anti-coronavirus calmera les esprits et permettra un retour à une vie sociale empreinte de confiance mais aussi de la conscience que les enjeux du changement climatique sont aussi sanitaires.
Dans la grande question de la préservation des espèces, l’homme est passé comme le dit Kamel Daoud du statut d’espèce menaçante à celui d’espèce menacée. De quoi relativiser tous les mystères africains et comprendre que la réplique victorieuse sur le virus ne peut qu’être
Tract.sn (avec média)