Depuis l’annonce du premier cas testé positif au Covid-19, le 2 mars, le pays a rapidement pris une batterie de mesures, sans instaurer de confinement. Une réponse graduée qui a permis de limiter la propagation de l’épidémie. La priorité : l’action préventive, pour éviter un débordement du système de santé. Mais alors que le nombre de cas ne cesse d’augmenter, le chef de l’Etat a annoncé un allègement des restrictions. RFI analyse la stratégie de gestion du Covid-19 par le Sénégal.
Chaque matin, c’est le même rituel. À 10 heures, le point presse du ministère de la santé est retransmis en direct sur sa page Facebook. Nouveaux cas positifs. Cas contacts, communautaires. Guérisons. Décès. Rappel des mesures de préventions.
Depuis l’annonce du premier cas, le 2 mars, le Sénégal enregistre au mercredi 13 mai 2 105 cas positifs, dont 1 301 sous traitement, et 22 décès. Des décès en proportion infiniment moindre, comparé à ce qui s‘est produit en Europe ou aux États-Unis. Au Sénégal, le Covid-19 s’attaque à une population plus jeune, mais aussi à une organisation sociale différente.
Il y a deux mois, cette pandémie était encore considérée par une majorité de Sénégalais comme une « maladie lointaine ». Aujourd’hui, « Corona », comme on l’appelle simplement ici, a changé le quotidien. Le port du masque est obligatoire. Dans les rues de Dakar, quasiment tout le monde en porte un, en tissu ou en papier. Des protections cousues en un temps record dans les ateliers de quartiers, ou achetées à prix d’or en pharmacies.
Aux ronds-points, la police et la gendarmerie veillent au respect de l’interdiction des déplacements entre régions. Les forces de sécurité intérieures ont aussi pour mission de faire appliquer le couvre-feu, d’abord instauré de 20 heures à 6 heures du matin, puis de 21 heures à 5 heures. Semaine après semaine, les autorités ont mis en place une réponse par étapes, pour éviter que le système de santé ne soit saturé. Ce 11 mai, le président Macky Sall est pourtant revenu sur certaines mesures. Réouverture des lieux de culte, des écoles pour les élèves qui passent des examens, levée des restrictions sur l’ouverture des marchés et commerces…le chef de l’État appelle désormais les Sénégalais à « apprendre à vivre avec le virus ».
Le choix de l’hydroxychloroquine
Face au Covid-19, le Sénégal dispose de capacités réelles, – même si limitées – en matière de santé, et d’institutions solides. Dès le 25 février, les délégations d’une quinzaine de pays africains se rendent précisément à l’institut Pasteur de Dakar pour tenter de coordonner la riposte africaine. Le Sénégal peut se prévaloir de l’expérience de la lutte contre Ebola, et de spécialistes de renom, comme le Docteur Amadou Sall, qui dirige l’Institut Pasteur de Dakar, ou encore le professeur Souleymane Mboup, co-découvreur du VIH-2 et fondateur de l’Institut de recherche en santé, de surveillance épidémiologique et de formation (Iressef).
Depuis l’hôpital de Fann à Dakar, c’est le professeur Moussa Seydi, chef du Service des maladies infectieuses et tropicales, qui informe « en direct » le chef de l’État sur l’évolution de la situation. Le spécialiste a fait très tôt le choix d’introduire dans le protocole de traitement l’hydroxychloroquine, vantée par le professeur Didier Raoult en France. Les thèses du médecin marseillais, natif de Dakar, trouvent un écho particulier au Sénégal où il dispose de relais. « Il y a urgence », rappelait Moussa Seydidans une interview à RFI, « pour libérer des places et prendre en charge d’autres patients ». C’est cet équilibre entre « patients admis et patient guéris » qui doit – en principe- permettre au système de santé de garder la tête hors de l’eau. Selon une étude sénégalaise dévoilée début mai, ce traitement à l’hydroxychloroquine aurait permis de gagner environ 48 heures sur la durée d’hospitalisation pour les cas les plus graves.
Côté équipements, le chiffre de 50 respirateurs en état de fonctionner circulait au début de la crise, mais les autorités sanitaires ont depuis annoncé avoir passé une nouvelle commande. Le nombre de lits disponibles, 500 au départ, a été augmenté, mais certains patients sont désormais pris en charge hors des hôpitaux. Quant aux « cas contacts », les proches de malades confirmés, ils sont dès le départ isolés dans des hôtels réquisitionnés. À Dakar, une trentaine de sites sont aujourd’hui en capacité de les accueillir.
Couper les liaisons avec l’Europe
Alors que l’Italie, bientôt rattrapée par la France, l’Espagne et la Grande-Bretagne, croulaient déjà sous les cas, le Sénégal a rapidement cherché à prendre le problème à la source. Le « patient zéro » est un Français établi au Sénégal, rentré à Dakar quelques jours plus tôt. Les 4 premiers cas sont tous des cas dits « importés ». Le 12 mars l’alerte vient, cette fois, de Touba, à 200 km de Dakar, ville sainte pour la confrérie des Mourides. Un ressortissant sénégalais travaillant en Italie (« un modou modou », en wolof), vient de contaminer sa famille et une bonne partie du personnel soignant du centre de santé de Darou Marnane où il a été pris en charge. L’armée vole au secours de la ville sainte des Mourides, et annonce le déploiement d’un hôpital militaire de campagne à Touba. Il sortira de terre en 48 heures.
Face à la hausse des « cas importés », les autorités ferment les frontières. Dès le 18 mars pour certains pays dont la France, l’Italie, l’Espagne, l’Algérie et la Tunisie. Le 20 mars, à 23h59, ce sont tous les vols à destinations et en provenance du Sénégal qui sont suspendus. La mesure est prolongée –pour l’instant-, jusqu’au 31 mai.
Avec la fermeture des frontières, plus de « cas importés ». Mais l’épidémie franchit un nouveau stade avec la multiplication de cas dits « communautaires » (qui ne peuvent pas être liés à un cas identifié), et l’apparition de plusieurs foyers en région : En quelques semaines, Dakar, Rufisque, Touba, Louga, Diourbel, Ziguinchor, Popenguine, Saint-Louis et Fatick vont-être touchés à des degrés divers. « Le virus se sénégalise » titre alors la presse.
Composer avec les chefs religieux
Depuis la première allocution du président Macky Sall, le 14 mars, toutes les manifestations publiques sont interdites sur l’ensemble du territoire. Les écoles et universités ont fermé leurs portes. Une rentrée partielle est prévue le 2 juin pour les élèves en classes d’examen. Dès le départ, le pouvoir doit composer avec les chefs religieux. La décision de fermer les lieux de culte est contestée par certains responsables musulmans. Le 20 mars à Touba, le khalife général de la confrérie Mouride participe à la prière collective du vendredi. À Dakar, une manifestation éclate dans le quartier de Yoff, après l’arrestation d’un Imam qui venait de braver l’interdit en dirigeant la prière. Les rassemblements religieux prévus fin mars sont annulés in extremis. Au début du ramadan, le 25 avril, des voix s’élèvent encore pour demander la réouverture des mosquées. Finalement, ce 11 mai, le chef de l’État annonce la réouverture de lieux de culte. L’interdiction de rassemblements se heurte aussi à une réalité sociale, dans de nombreux quartiers à très forte densité. Le slogan « restez chez vous » reste pour beaucoup difficile à appliquer.
État d’urgence et parole présidentielle omniprésente
Le Sénégal vit sous état d’urgence depuis le 23 mars. Dès le début de la crise, le président Macky Sall multiplie les interventions. Dans des messages à la Nation, comme dans la presse internationale, il s’efforce d’expliquer et de détailler les mesures sanitaires et d’accompagnement économique décidées à la tête de l’État. Le message envoyé se veut clair : « Le président tient solidement la barre » assure un proche du dossier. De son côté, l’opposition n’a pas d’autre choix que de faire front commun, ou du moins profil bas. « L’eau qui est destinée à éteindre le feu n’a pas besoin d’être filtrée », disait fin mars Idrissa Seck du parti Rewmi, « on n’a pas le temps de trop débattre, il s’agit d’une mobilisation générale ». Le 1er avril, l’Assemblée nationale votera la loi d’habilitation permettant au chef de l’État de légiférer par ordonnances.
Au premier soir du couvre-feu, à Dakar, la police n’y va pas de main morte avec les retardataires. Dès la première nuit, les vidéos des violences policières circulent sur les réseaux sociaux. Le lendemain, la police reconnait des « interventions excessives », mais l’avertissement a été entendu : le couvre-feu sera strictement appliqué. Avec l’État d’urgence, désormais prolongé jusqu’au 2 juin, on assiste à une prise de conscience. Le 31 mars, la nouvelle secoue la capitale : Pape Diouf, l’ancien président de l’Olympique de Marseille, personnalité connue et reconnue, décède du Covid-19 à Dakar, à l’âge de 68 ans. C’est la première victime dans le pays. Au Sénégal, les morts du Coronavirus ont désormais un visage.
Covid-19 et poches vides
Couvre-feu, mais pas de confinement total. L’option a été écartée au Sénégal. Dans un pays où la grande majorité de l’activité provient du secteur informel, cette mesure apparait comme inadaptée et très difficilement applicable. Chaque jour, un cortège de « goorlu goorlu », (débrouillards en wolof) viennent travailler sur les marchés, vendent leurs marchandises dans la rue, ou trouvent une place sur les nombreux chantiers de la capitale.
Un rapport d’une trentaine d’experts, sous la coordination du pharmacien Serigne Oumar Sarr, émet lui aussi des doutes sur la mise en place d’un « confinement total » au Sénégal. Il pointe particulièrement les effets pervers et les contrecoups économiques, sociaux, et même sanitaires d’une telle mesure. Le rapport préconise plutôt « l’allègement de certaines restrictions collectives, une action ciblée vers la protection des personnes âgés et un dépistage massif des populations ».
Sur le plan économique, le Sénégal devrait perdre quelques précieux points de croissance, passant d’une prévision annuelle de 6.8 % à 3 % en 2021. L’État a tenté d’« amortir » la crise, par le biais d’un « fond de riposte de solidarité contre les effets du Covid-19 » doté de 1 000 milliards francs CFA selon la présidence sénégalaise, soit environ 1,5 milliard d’euros. Dans sa première ordonnance, le chef de l’État interdit les licenciements durant la période de la pandémie, et demande aux entreprises de garantir 70 % du salaire en cas de chômage technique. Mesure saluée par les syndicats. Mais « irréaliste » pour le Conseil national du patronat.
Le président Macky Sall saisit aussi l’occasion pour remettre au cœur des discussions la question de l’annulation de la dette des pays africains. Le risque de tensions sur les denrées alimentaires et les biens de première nécessité comme le gaz ou l’électricité a été anticipé. Début avril, les distributions de vivres à destination des plus vulnérables ont débuté au Sénégal. 5 000 tonnes de riz, 500 tonnes de sucre, ou encore 10 000 litres d’huile doivent être fournis pour assister un million de ménages vulnérables, soit la moitié de la population du pays. Un programme dont le démarrage a été entaché par des soupçons de fraudes, impliquant l’entourage proche du chef de l’État. Des allégations rejetées en bloc par la présidence sénégalaise.
Dans une note intitulée « L’effet pangolin. La tempête qui vient en Afrique ? », le ministère français des Affaires étrangères évoquait la solidité des institutions du Sénégal dans le contexte de la pandémie, mais redoutait des « phénomènes de paniques urbaines », qui n’ont pour l’heure pas gagné le Sénégal.
Avec l’assouplissement des mesures annoncé ce 11 mai, le pays a « adapté sa stratégie », et entre dans « une nouvelle phase », qui reste très incertaine. Le chef de l’État a prévenu : « dans le meilleur des cas, le virus circulera au Sénégal jusqu’au mois d’août, voire septembre ».