Ce jeudi 2 juillet est une journée décisive pour l’un des édifices les plus connus au monde : le statut de Sainte-Sophie d’Istanbul, en Turquie, doit être débattu au Conseil d’État. Sa décision pourrait permettre la réouverture de Sainte-Sophie – qui fut d’abord église byzantine pendant neuf siècles, puis mosquée ottomane, puis musée sous la République – au culte musulman, comme le souhaite le président Erdogan.
Le Conseil d’État se réunit ce jeudi pour examiner la plainte d’une association musulmane. Celle-ci soutient que le décret de 1934 qui a permis de transformer Sainte-Sophie – qui était alors une mosquée – en musée est un faux. Que Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République qui a pourtant signé ce décret et visité le musée dès son ouverture en février 1935, n’a en réalité jamais pris une telle décision.
D’un point de vue légal, jusqu’à récemment, cette plainte n’avait quasiment aucune chance d’aboutir, car la même chambre du Conseil d’État a débouté la même association pour la même requête plusieurs fois ces 15 dernières années… Mais il y a deux éléments nouveaux qui font penser qu’aujourd’hui la plus haute juridiction administrative pourrait changer d’avis.
Erdogan veut reconquérir Sainte-Sophie
Premièrement, elle a révoqué l’an dernier le statut de musée accordé en 1945 à Saint-Sauveur-in-Chora, une ancienne église byzantine de premier plan convertie en mosquée après la conquête ottomane en 1453 – exactement comme Sainte-Sophie. Ensuite, et surtout, le président Erdogan a lui-même promis de rouvrir la « mosquée Sainte-Sophie », et sa mainmise sur l’appareil judiciaire ne fait guère de doute.
Mais Recep Tayyip Erdogan est au pouvoir depuis 18 ans. Pourquoi agir si tard ? Dans la famille politique du président, rendre à l’islam la coupole de Sainte-Sophie est un rêve aussi vieux que sa transformation en musée. Mais à partir du moment où il a accédé au pouvoir, par pragmatisme Tayyip Erdogan n’a cessé de repousser les appels à reconvertir Sainte-Sophie en mosquée. Il avait l’habitude de répondre que les fidèles devaient d’abord remplir la grande mosquée de Sultanahmet, située juste en face.
C’est seulement l’an dernier, à la veille d’élections locales où son parti a essuyé de très lourdes défaites – en perdant notamment la mairie d’Istanbul – que le chef de l’État a commencé à réclamer sa reconversion en mosquée. Dans les coulisses du pouvoir, il se dit que le président souhaiterait y organiser une grande prière collective le 15 juillet, le jour des commémorations du coup d’État manqué de l’été 2016.
Sainte-Sophie, une question de principe
Sur la scène intérieure, Erdogan n’a pas grand-chose à gagner à ce changement de statut de Sainte-Sophie. À l’exception des musulmans les plus conservateurs et des minorités chrétiennes, les Turcs sont globalement indifférents au sort de Sainte-Sophie, même s’ils ne s’opposent pas, bien sûr, à ce qu’elle redevienne mosquée. Mais c’est loin d’être une demande pressante de la majorité des Turcs – électeurs du président compris – qui se préoccupent surtout de leur situation économique. Un geste aussi symbolique que la réislamisation de Sainte-Sophie serait certes un moyen de faire diversion, mais ses effets n’auraient qu’un temps, analyse RFI.
Il faut peut-être chercher les motivations du président turc dans ses relations de plus en plus compliquées avec l’Europe, et l’Occident en général. À l’époque où la candidature de la Turquie à l’Union européenne avait encore un sens – ou du moins, un avenir –, jamais Recep Tayyip Erdogan ne se serait risqué à toucher au statut de Sainte-Sophie. Mais à l’heure où ses actions en Syrie, en Libye et en Méditerranée orientale ne cessent de susciter les critiques des Occidentaux, le président turc fait désormais de Sainte-Sophie une question de souveraineté nationale.
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