Dans leur coup de force commencé dans la matinée du mardi 18 août, les militaires maliens de la garnison de Kati ont tenu à mettre les formes républicaines jusqu’au bout : emmenés l’après-midi au camp militaire de Kati avec son Premier ministre Boubou Cissé, c’est à minuit heure locale que l’alors toujours président du Mali IBK prononcera la déclaration par laquelle les militaires le démissionnent de la charge suprême du pays. Le gouvernement malien et l’Assemblée nationale étant automatiquement dissous dans la foulée, selon même les paroles d’IBK, dont ce sont les derniers décrets présidentiels. Ceci devant les caméras du média audiviosuel gouvernemental, l’ORTM. ORTM qui avait été momentanément déserté par les journalistes quelques heures plus tôt, certains qu’ils étaient que ces militaires viendraient y faire des déclarations intempestives et martiales.
Mais ces militaires maliens ont opté pour un coup d’Etat civilisé, qui aura respecté les formes de la légalité. S’ils ont mis sur pied un Comité national de Salut du Peuple (CNSP) ce mercredi 19 août au matin, c’est vers « le peuple » justement que les regards se tournent désormais, « peuple » incarné par les contestataires du M5-RFP, pour former le gouvernement de transition politique civile qui conduira à des élections politiques générales, comme le souhaitent ces putschistes d’un (bon) genre particulier. IBK perd donc le troisième tour de l’élection présidentielle malienne de 2018. Et les militaires qui lui ont fait mordre la poussière refusent de procéder à la captation du pouvoir d’Etat, se posant plutôt en arbitre qui aura tranché entre un président impuissant car contesté, contesté car impuissant, IBK, et la rue malienne. « Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire », a déclaré sur la télévision publique ORTM le porte-parole des militaires, le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air.
Les militaires appellent donc à une transition politique civile conduisant à des élections « dans un délai raisonnable ». Quel délai ? Il faudra en tout cas que celui – ci inclue le temps de libérer le chef de file de l’opposition Soumaila Cissé des mains des djihadistes qui le détiennent depuis cinq mois. Les militaires au pouvoir affirment que tous les accords internationaux seront respectés. C’est une deuxième perche de légalisme qu’ils tendent à la communauté internationale pour se faire repêcher par celle-ci « à l’oral », après les condamnations unanimes qui avaient fusé de partout dès avant l’arrestation d’IBK et de son PM, la CEDEAO en tête qui avait aussitôt décrété une batterie de sanctions.
Contesté dans la rue depuis plusieurs semaines, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta est donc formellement renversé dans la nuit de mardi à mercredi par un coup d’Etat militaire après une mutinerie acclamée par des manifestants. Une nouvelle crise dans un pays plongé dans la tourmente djihadiste? Rien n’est moins sûr, car les militaires se donné les moyens de faire en sorte que leur intervention décisive dans le jeu politique malien ne soit pas une pantalonnade qui rajoute à la confusion qui règnait dans la rue malienne et au palais présidentiel de Koulouba depuis trois mois. En effet, Une fois formé le gouvernement civil de transition qui est annoncé et une fois connue la date à laquelle de nouvelles élections générales (législatives et présidentielle) seront organisée, la CEDEAO devrait rapidement lâcher du lest. Entraînant du même coup une acceptation de fait ou en tout cas une tolérance diplomatique de ce putsch légaliste, par l’Union Africaine et les puissances étrangères, notamment la France de Macron qui détient 5100 militaires armés stationnés au Mali (la force Barkhane). Ironiquement, c’est peu-être Macron qui aura déclenché ce coup d’Etat très civilisé : en laissant son Quai d’Orsay (ministère français des Affaires étrangères) classer le Mali en zone rouge (« destination formellement déconseillée ») ce lundi 17 août, il a envoyé le dernier signal qui manquait à l’armée malienne comme à la communauté internationale pour acter que le pays n’était plus officiellement gouverné au sommet.
Ousseynou Nar Gueye