Discours sur le colonialisme de l’écrivain martiniquais Aimé Césaire (né en 1913) est un pamphlet anticolonialiste, paru aux éditions Réclame en 1950, puis chez Présence africaine en 1955.
Par Baltazar Atangana Noah
La rigueur est le manteau que revêt Aimé Césaire pour exposer ses griefs contre le colonialisme. Longtemps présentée comme une forme d’humanisme par les Occidentaux, cette doctrine s’est révélée en réalité comme un instrument de chosification à double face, qui déshumanise autant le colonisé que le colonisateur. En effet, « le colonisateur qui, pour se donner bonne conscience, s’habitue à voir dans l’autre la bête, s’entraîne à le traiter en bête, tend objectivement à se transformer lui-même en bête », n’hésite pas à affirmer l’auteur de ce livre essentiel, écrit il y a déjà plus de 60 ans. Le Discours sur le colonialisme d’Aimé Césaire est caractéristique et presque une manière d’introduction au discours postcolonial. Il symbolise le prolongement à l’ère naissante de la mondialisation de la résistance intellectuelle et politique anticoloniale dont les figures marquantes restent Mahatma Gandhi, Frantz Fanon, Kwame N’Krumah et les fondateurs de la Négritude.
Aimé Césaire pousse un tonitruant cri de révolte. C’est un réquisitoire sans complaisance contre le colonialisme. Sans détours l’auteur dénonce la violence raciale que le processus de colonisation a développée.
L’œuvre de Césaire est un acte d’affranchissement, un plaidoyer pour la libération totale des peuples opprimés et colonisés. Ainsi Discours sur le colonialisme, l’une des premières publications majeures à réhabiliter et à valoriser la valeur des cultures dites nègres, se pose-t-il comme une œuvre conceptrice du discours postcolonial.
Le travail de Césaire se veut une manière de déconstruction du colonialisme, qui passe par la démonstration de l’impact essentiellement négatif de cette doctrine sur le colonisé et le colonisateur. Il souligne, par exemple, l’échec de la mission civilisatrice de l’Afrique par des Occidentaux imbus de leur supériorité. L’attitude vile et orgueilleuse des colonisateurs a plutôt contribué à instaurer un climat hostile entre les deux groupes qui étaient censés dialoguer. Elle a été également à l’origine de la philosophie du dédain et de la discrimination qui est viscéralement rattachée à l’Africain. Et partant, à l’Afrique. En effet, dès lors que les Occidentaux se sont approchés des peuples colonisés avec des préjugés de supériorité raciale et intellectuelle, ils ont jeté le mépris sur eux. En les considérant comme des êtres « non-conceptuels », comme osera l’affirmer Prosper Mérimée (Tamango), en d’autres termes des êtres à peine humains, dépourvus d’une réelle structure mentale, ils les ont purement et simplement déshumanisés…
La pertinence du propos de l’essayiste Martiniquais se lit à travers les archives et les illustrations auxquelles il fait référence pour étayer son argumentation. Aussi, ne manque-t-il pas de souligner la mauvaise mise en contact entre l’Afrique et l’Occident et, notamment, l’échec de la communication des cultures. Ce livre d’Aimé Césaire est un vibrant plaidoyer en faveur d’une vraie pratique de la poétique de la Relation : mettre les peuples en communication les uns avec les autres, dans le respect de la culture de l’autre, voilà ce qui aurait permis que les peuples africains et européens, en situation de dialogue interculturel, se retrouvent à n’importe quelle période de leur Histoire.
Réception de l’ouvrage à l’ère d’une «mondialisation brutaliste »
S’il est vrai que l’ère coloniale dans sa forme initiale est aujourd’hui révolue, on ne peut en dire autant du Discours sur le colonialisme. Les réflexions d’Aimé Césaire continuent de véhiculer, aujourd’hui, des vérités toujours d’actualité dans un monde pénétré par le capital, et dans lequel la mise en organisation des sociotopes s’effectue désormais selon un seul et même ordre, celui de la computation numérique et des violences généralisées (horreurs du Boko-haram au Cameroun, violences policières aux Etats-Unis, le génocide rwandais etc.). En effet, la fin de la colonisation dans les années soixante a pris la forme de coopérations multiformes et invisibles puisque ce sont les africains eux-mêmes qui tiennent les ficelles. Elles se sont raffinées et modernisées. Nonobstant, les effets néfastes de ses actes, qui ne sont plus le fait des Etats fascistes mais de multinationales et/ou d’industriels, se sont davantage dégradés à l’heure de la mondialisation. Le discours d’Aimé Césaire demeure donc d’actualité plus que jamais. Pour l’illustrer, cet extrait de Discours sur le colonialisme :
« Le grand drame historique de l’Afrique a moins été sa mise en contact trop tardive avec le reste du monde, que la manière dont ce contact a été opéré ; que c’est au moment où l’Europe est tombée entre les mains des financiers et des capitaines d’industrie les plus dénués de scrupules que l’Europe s’est ‘propagée’ ; que notre malchance a voulu que ce soit cette Europe-là que nous ayons rencontrée sur notre route et que l’Europe est comptable devant la communauté humaine du plus haut tas de cadavres de l’histoire. »
En définitive, Discours sur le colonialisme est l’illustration parfaite et l’explicitation détaillée des dégâts causés par l’ethnocentrisme et cette forme du néovitalisme qui tolère une éventuelle destruction de la vie puisqu’elle se régénère. L’essai d’Aimé Césaire est, aujourd’hui, un appel au respect de l’altérité dans un monde où, désormais, la relation à l’autre peut être une fontaine d’inspiration à l’heure des crises sanitaires et sécuritaires. Où le rapport aux « choses », perçues comme des objets consignataires de force et de vitalité, contribuerait à la création de nouvelles passerelles relationnelles entre les humains et les « choses » qui participent au fonctionnement de l’univers, alors que les transformations et les innovations technologiques sont désormais des extensions de nous-mêmes.
Baltazar Atangana Noah, dit Nkul Beti, est écrivain, critique littéraire et chercheur associé à l’Institut Mémoires de l’Edition Contemporaine. Il a publié Aux Hommes de tout… (2016) et Comme un chapelet (2019).