[Tract] – Dans « Chambre 2806 : l’affaire DSK » réalisé par Jalil Lespert, l’ancienne employée du Sofitel revient en détail et en longueur, par une relation de Franceinfo lue par Tract, sur les accusations de viol qu’elle porte toujours à l’encontre de Dominique Strauss-Kahn.
« Je ressens le besoin de parler. Je dois dire aux gens qui je suis », lance Nafissatou Diallo, dès sa première apparition à l’écran. Dans un documentaire intitulé Chambre 2806 : l’affaire DSK, mis en ligne sur Netflix lundi 7 décembre, l’ancienne femme de ménage du Sofitel revient en longueur sur sa version des événements qui ont précipité en 2011 la chute de Dominique Strauss-Kahn. Pour mémoire, dans cette affaire, la justice américaine avait prononcé un non-lieu dans le volet pénal et un arrangement avait été trouvé entre les deux parties pour éviter un procès dans la procédure civile.
Réalisé par le Français Jalil Lespert, le documentaire ne fait pas de révélations fracassantes mais détaille l’affaire minutieusement, en enquêtant à charge et à décharge sur les faits qui se sont produits dans la chambre 2806 du Sofitel, le 14 mai 2011. Dominique Strauss-Kahn, qui a récemment annoncé avoir accepté de donner sa version des faits dans un autre documentaire en préparation, a refusé de s’exprimer dans la production de Netflix. Mais le documentaire, découpé en quatre épisodes, s’appuie sur de nombreux témoignages, à commencer par celui, très attendu, de Nafissatou Diallo.
Sur sa vie avant les faits : « J’étais heureuse »
Nafissatou Diallo commence par se raconter face à la caméra. Née en 1978 à Conakry en Guinée, cette mère de famille revient sur ce qui l’a poussée à émigrer en 2003 aux Etats-Unis, à la recherche d’une « vie meilleure ». Habitant, à l’époque des faits, dans le quartier populaire du Bronx, elle décrit sa joie de voir sa fille pouvoir aller à l’école, alors même qu’elle n’a pas eu cette chance. « J’étais heureuse au travail et dans la vie », assure-t-elle.
Tous les samedis, elle prend la ligne D du métro pour se rendre dans les beaux quartiers afin de travailler. « J’avais l’impression de vivre mon rêve. C’était bien », sourit-elle face à la caméra. « J’étais bien payée, syndiquée, j’avais beaucoup d’avantages », insiste-t-elle, laissant entendre qu’elle n’avait aucun intérêt à prendre le risque de perdre son travail. « Les conditions de travail étaient bonnes. Tout était bien organisé. J’étais contente de travailler là-bas. »
Sur les faits : « Il m’a agrippée. J’étais si terrifiée »
« Comme chaque samedi, j’ai mis ma tenue, pris mon café et commencé mon service », se souvient Nafissatou Diallo, qui se replonge dans les événements. La caméra prend alors l’ascenseur, direction le 28e étage, et se dirige lentement vers la chambre 2806. « Avant d’arriver à la chambre, j’ai vu un gars du room service sortir avec un plateau. J’ai dit : ‘Le client quitte l’hôtel ?’ Il a dit oui. J’ai dit : ‘Merci mon dieu. Toutes mes chambres ont un panneau ‘ne pas déranger' », raconte encore l’ancienne employée du Sofitel. Nafissatou Diallo arrive devant la suite présidentielle et frappe à la porte. « J’ai répété : ‘service d’étage, service d’étage’, trois fois. Personne n’a répondu. J’ai utilisé ma clé. J’ai ouvert la porte. »
Les larmes aux yeux, Nafissatou Diallo plonge sa tête dans ses mains. « La suite était immense. Je suis entrée, je n’ai vu ni bagage, ni rien. Dans le bureau, pas d’ordinateur. Rien. Je suis revenue sur mes pas… J’allais dire : ‘service d’étage’. Et cet homme est venu vers moi. Nu », assure-t-elle, la voix étranglée par l’émotion. « J’ai dit : ‘Oh mon dieu, je suis désolée monsieur, je suis désolée.’ Et il a mis ses mains sur ma poitrine. Il a dit en me touchant les seins : ‘Ne soyez pas désolée.’ Il m’a poussée au sol. J’ai voulu me relever, il a continué. J’ai dit : ‘Arrêtez, je vais perdre mon emploi.’ Il a dit : ‘Non, vous ne perdrez pas votre emploi.’ Je lui ai dit que ma responsable était juste-là, dehors. J’ai menti, elle n’était pas là, mais je voulais qu’il arrête. »
« Il était comme un singe, un animal. » Nafissatou Diallo
« Il m’a poussée jusqu’au fond de la suite, près de la salle de bains. Il tentait de baisser ma culotte, je l’en empêchais. Je tirais sur ma robe, et il m’a… Il m’a agrippée. Il m’a agrippée. J’étais si terrifiée. Je lui ai dit d’arrêter. J’ai voulu le repousser et fuir, et c’est là qu’il m’a poussée fort au sol. Je suis tombée sur ma main et mon épaule gauche. Et là, il a mis son… truc dans ma bouche, poursuit Nafissatou Diallo en pleurs. Je ne pouvais rien faire. J’ai attendu qu’il fasse ce qu’il voulait faire. »
Sur ce qui s’est passé après : « Je me sentais souillée. Tout était sale »
Après, j’ai craché partout. Je me sentais souillée. Tout était sale. Je me suis enfuie », raconte encore cette mère de famille. Il n’a rien dit. Je suis sortie en courant. J’étais dans le couloir et je l’ai vu sortir. Peut-être cinq… je ne sais pas, cinq minutes après », poursuit Nafissatou Diallo. Les images du Sofitel montrent celui qui est alors président du Fonds monétaire international quitter l’hôtel et prendre un taxi en direction de l’aéroport.
« Ma responsable est arrivée à ce moment-là. Elle ne m’avait jamais vue comme ça. Elle a dit : ‘Qu’est-il arrivé ?’ Je ne savais pas quoi dire. J’ignorais ce qui se passerait si je lui disais. Mais je ne pouvais pas garder ça pour moi. J’étais en colère, détaille encore l’ancienne femme de ménage. Je ne lui ai pas raconté, j’ai juste dit : ‘Si quelqu’un tentait de te violer, que ferais-tu ?’ Elle a répondu : ‘Raconte-moi ce qui t’est arrivé.’ Nafissatou Diallo descend alors dans le bureau de la sécurité. « J’étais bouleversée. On m’a fait m’asseoir. J’ai tout raconté. L’histoire a commencé comme ça. »
« J’ai voulu aller me rincer la bouche. On m’a dit ‘non’, que je devais d’abord aller à l’hôpital, faire un bilan, poursuit l’ancienne employée du Sofitel. J’avais mal à l’épaule, mais je n’avais rien de cassé. Je pensais que ça irait. Je ne voulais pas aller à l’hôpital, je ne voulais pas perdre mon travail. (…) Mes rêves s’envolaient. Je ne pensais pas que ce serait mon dernier jour là-bas. »
Sur le début de l’enquête : « Ma vie a changé. A jamais »
Les premières déclarations de Nafissatou Diallo sont jugées cohérentes et crédibles par les policiers. A l’hôpital, les mêmes questions lui sont posées et elle subit un examen minutieux. « Ils ont fait beaucoup de choses, ils m’ont examinée (…) Ils ont même pris en photo mes parties intimes. J’étais rouge à cet endroit. Il m’avait agrippée fort, quand il a voulu me déshabiller. » La jeune femme est amenée alors dans la chambre 2806 pour une reconstitution. « Ils voulaient que je montre où j’avais craché. Et où il m’avait agressée. » L’ancienne femme de ménage est alors emmenée au commissariat pour une identification.
« Le revoir m’a donné envie de vomir. Je n’aurais jamais pu oublier son visage. »
Nafissatou Diallo
Nafissatou Diallo finit par pouvoir rentrer chez elle, se brosse les dents et allume les informations à la télévision, déjà en boucle sur ce qui vient de se produire. « Ils disaient qu’il devait devenir président de la France. Je ne savais même pas qu’il était français. Je pensais que c’était un Blanc américain. Quand j’ai entendu ça, j’ai hurlé. J’ai pleuré. (…) Les puissants peuvent tout faire. Je pensais qu’il enverrait des gens nous tuer, ma fille et moi. » La jeune femme voit surtout débarquer de très nombreux journalistes, désireux de recueillir son témoignage. « J’ai dû appeler les inspecteurs. Je leur ai dit que des gens m’appelaient et frappaient à ma porte. (…) Ma fille a dû se rendre chez un membre de ma famille. Ils m’ont couverte et m’ont emmenée. Depuis ce jour, le 14 mai, ma vie a changé. A jamais. »
Sur les incohérences du dossier : « Ils se fichent de la vérité »
La suite de l’enquête n’est pas facile pour Nafissatou Diallo. « J’étais convoquée tous les jours au bureau du procureur. Ils voulaient tout savoir sur moi. (…) Je leur ai tout dit. Je pensais que ces gens étaient là pour me protéger. » Mais les interrogatoires en anglais ne sont pas toujours évidents et les autorités font appel à un interprète en peul. « A l’époque, je ne parlais pas un mot d’anglais. Je ne suis pas allée à l’école. Je ne sais ni lire, ni écrire », affirme-t-elle. Mais un enquêteur raconte qu’elle a corrigé l’interprète lors d’un interrogatoire, révélant qu’elle comprenait malgré tout certaines questions posées en anglais. « Pourquoi elle avait besoin d’un interprète, si elle comprenait ce qu’on disait (…) ? En général, on fait ça quand on veut avoir le temps de réfléchir à ce qu’on va dire », note l’enquêteur au bureau du procureur de l’époque, Robert Mooney.
Robert Mooney évoque aussi le dépôt de 60 000 dollars sur le compte en banque de Nafissatou Diallo. Elle explique alors que son fiancé, un homme d’affaires nommé Tarawally, n’a pas de compte en banque et utilise le sien. « Je lui faisais confiance. Je pensais que c’était un type bien. C’était un bon ami. Je lui disais tout », explique la jeune femme. Selon Robert Mooney, Nafissatou Diallo s’est également confiée à Tarawally, qui s’inquiétait pour elle depuis sa prison en raison de l’affaire en cours : « Ne t’inquiète pas. Ce type a beaucoup d’argent, je sais ce que je fais. » Une phrase que l’ancienne employée du Sofitel dément une nouvelle fois avoir prononcée : « J’ai tout de suite nié. »
« J’ai pensé à beaucoup de choses, mais je n’ai jamais pensé à l’argent. Je n’en ai pas parlé. C’est un mensonge. » Nafissatou Diallo
L’avocat de DSK, qui défend la thèse d’un rapport sexuel consenti, pointe alors à l’époque des incohérences dans les déclarations de Nafissatou Diallo. De nombreux éléments sont diffusés pour tenter de discréditer la victime présumée. « Je pense que dans cette affaire, on ne parlait que de moi. Pas de lui. J’avais l’impression d’être une criminelle qui aurait attaqué quelqu’un. Ça me blesse », s’emporte aujourd’hui la jeune femme.
Robert Mooney pointe de son côté les variations dans son récit, notamment sur les viols dont elle dit avoir été victime en Guinée avant d’obtenir l’asile aux Etats-Unis. « Pour nous, ça l’a complètement décrédibilisée (…) Elle a avoué avoir tout inventé », rapporte l’enquêteur. « Ils devaient se concentrer sur ce qui s’était passé. S’occuper de l’affaire, et ne pas me demander tout ce qu’il y avait à savoir sur moi. Je voulais être honnête à 100%. Je leur ai tout raconté, répond la jeune femme. C’est une chose horrible quand on raconte la vérité aux gens, ils s’en fichent ! Ils ne veulent pas la connaître. »
Sur la décision de la justice : « Ils n’ont rien fait parce que je suis pauvre »
Fin août 2011, le procureur Cyrus Vance décide de clore le dossier, en abandonnant les charges contre DSK et en prononçant un non-lieu. Il émet au passage des doutes sur la crédibilité de Nafissatou Diallo. « Ils n’ont rien fait parce que je suis pauvre. Parce que je ne suis personne. Ils ne m’ont pas rendu justice pour ça », déplore en larmes Nafissatou Diallo.
« Si ça n’avait pas été moi, je suis sûre qu’ils auraient mis cet homme en prison pour très longtemps. » Nafissatou Diallo
« J’ai découvert que je n’étais pas seule. Beaucoup de femmes ont parlé après cette affaire. Elles avaient vécu la même chose. Mon histoire aura servi à éviter que des choses horribles arrivent. Et j’en suis fière, je ne regrette rien. je suis contente », conclut Nafissatou Diallo. Mon rêve est de partager cette histoire. Plus pour moi, mais pour tout le monde. J’espère que plus personne ne subira ce que j’ai subi. Je me sens mieux après avoir partagé mon histoire, parce que plus je parle, mieux je me sens. Je m’en défais. Même si ça ne partira jamais. »
Avec Franceinfo
Tract