Il est entré en politique par effraction. Au moment où personne ne s’y attendait. Il en est sorti discrètement. Sans coup férir. Alors que le Sénégal s’achemine vers la présidentielle de 2012, Ibrahima Fall, ancien président du mouvement Taxaw Temm, se lance dans l’aventure politique comme sorti du chapeau d’un magicien. Sans trop convaincre. Calme et pondéré, Ibrahima Fall propose un projet de société, jugé encore trop idéaliste sous nos tropiques. Une société d’équité, de justice, de travail, de vertu, d’égalité, de vérité, de droiture, de franchise, de fraternité et de solidarité… «Malheureusement pour lui, son projet n’a pas séduit grand monde», regrette un ancien souteneur, interrogé par l’Obs.
Sa maison à la Cité Djily Mbaye à Dakar et son verger
Le débit monotone, le charisme lui a fait cruellement défaut. L’homme ne dégage ni l’énergie ni la hargne de quelqu’un qui a la rage de vaincre. Il est juste un brillant technocrate au parcours quasi-exceptionnel. Ancien ministre connu sans frasques, Ibrahima Fall n’a jamais été cité dans des affaires scabreuses. Le natif de Tivaouane est un homme vertueux et travailleur. Il a fait ses preuves partout où il est passé. Par contre, la politique ne lui a pas souri. Classé 7e avec 1,81% des voix, il a subi un cuisant revers à la Présidentielle de 2012. Disparu des radars, il est l’un des rares hommes politiques à ne pas se prononcer sur les contrats pétroliers, gaziers, le statut du chef de l’opposition, l’émigration clandestine. Il a fait profil bas sur tout. «Pour le moment, je ne peux pas me prononcer sur la situation du pays. Je suis en observation. Et le moment venu, on m’entendra. Mais présentement, je me garderais de dire quoi que ce soit», souffle-t-il.
Adossé sur des valeurs, Ibrahima Fall, malgré ses références académiques et professionnelles enviables, n’est pas parmi ces ministres de la République devenus milliardaires en faveur de leurs stations dans l’appareil d’Etat. Originaire du quartier Fogny à Tivaouane, il mène une vie sobre partagée entre sa maison à la Cité Djily Mbaye à Dakar et son verger au quartier Al Amine sur la route de Ndindy (Tivaouane). L’ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal sous Abdou Diouf qui a arrêté ses consultances à l’Union africaine, vit des rentes de sa pension de retraite. Il se défend de ne disposer que de biens licites. «Je suis un professeur à la retraite et ancien fonctionnaire des Nations Unies. En 1983, lorsque j’entrais dans le gouvernement sous le régime socialiste, j’ai fait ma déclaration de patrimoine. En 1990, quand je le quittais, j’ai refait le même exercice. Je ne dévoilerais pas mes biens, même si je reconnais que j’en ai eu d’autres entre-temps. Pour moi, le plus important, c’est de se suffire de ce que l’on a. Je rends grâce à Dieu. Mais je ne vais pas étaler ce que j’ai», confie-t-il. Aujourd’hui, en retrait de la scène politique, il écrit ses mémoires pour la postérité.
«Il s’est donc retiré pour des raisons d’éthique»
Djiby Fall, ancien coordonnateur de «Taxaw Temm» dans le département de Tivaouane, justifie la retraite politique de son frère pour des raisons éthiques. Son frère aurait renoncé à ses ambitions politiques après que la Constitution du Sénégal ait limité l’âge de la candidature à une élection présidentielle à 75 ans. Né en 1942, Ibrahima Fall est atteint par la limite d’âge pour être candidat. «Il s’est donc retiré pour des raisons d’éthique. C’est quelqu’un qui ne ment pas et pour qui la liberté est précieuse», confie-t-il. D’ailleurs, Djiby Fall ne comprend pas que le mouvement Taxaw Temm qui avait déposé un dossier au ministère de l’Intérieur n’ait toujours pas eu son récépissé de parti politique, alors que d’autres formations nées bien après ont reçu leurs actes. Le professeur Boubacar Diop qui a pris les rênes du mouvement, continue l’œuvre du Pr Ibrahima Fall. «Ibou est un homme droit dans ses bottes. On voit sur la scène politique des opposants du ventre et des opposants radicaux. Mais Ibou est un gars très sérieux, très poli. Il ne se mêle pas de ce qui ne le regarde pas. Il a été éduqué dans le sens de la parole donnée. Aussi mirobolantes que soient les choses qu’on peut lui proposer, il ne sortira jamais de sa ligne de conduite. D’ailleurs, quand Macky Sall a été élu Président de la République en 2012, Ibrahima avait dit aux alliés de rejoindre leurs partis et qu’on laisse Macky travailler. Il n’a pas fait partie des chefs de parti qui ont exigé des portefeuilles dans l’attelage gouvernemental. Aucun membre de Taxaw Temm n’a jamais bénéficié d’une promotion ou d’une nomination dans le gouvernement de Macky Sall. Ibrahima Fall n’a jamais été demandeur», souligne-t-il. Mouride d’obédience religieuse, Ibrahima Fall a appris le Coran chez les Tidianes au domicile de Rokhaya, sœur d’El Hadji Malick Sy à Tivaouane. Aujourd’hui, il vit à la Cité Djily Mbaye à Yoff Layenne. Mansour Diouf, Imam de la mosquée, pense qu’Ibrahima Fall n’était pas destiné à faire de la politique. «Ibrahima Fall est un technocrate qui a eu un parcours exceptionnel en tant que ministre de l’Enseignement supérieur, fonctionnaire des Nations Unies. Quand il est revenu au Sénégal, des leaders de partis politiques sont allés le dénicher pour en faire leur candidat à la Présidentielle de 2012. Face à la forte pression, il a accepté. Mais ce n’est ni son terrain de prédilection, ni sa vocation. D’ailleurs depuis lors, on ne l’a plus entendu», avise-t-il. Toutefois, le guide religieux, par ailleurs porte-parole du Khalife de Pire, indique que l’ancien candidat malheureux à la Présidentielle de 2012 vient régulièrement à Tivaouane lors de certains événements. Il œuvre beaucoup dans le social et fait aussi beaucoup d’actions en faveurs des mosquées et des écoles coraniques.
«J’ai fait 15 ans aux Nations Unies»
Docteur d’État en Droit public (Université de Paris I Panthéon) en 1972 et agrégé en 1974, Ibrahima Fall a été le Doyen de la Faculté des Sciences juridiques et économiques de l’Université Cheikh Anta Diop entre 1975 et 1981. Il a été nommé, tour à tour, ministre de l’Enseignement supérieur sous le régime socialiste de 1983 à 1984, puis ministre des Affaires Etrangères de 1984 à 1990. Fonctionnaire international, il a aussi occupé le poste de sous-Secrétaire général aux Droits de l’Homme à l’Onu et Directeur général adjoint de l’Office des Nations Unies à Genève (Suisse) (1992-1997), puis sous-Secrétaire général aux Affaires politiques de l’Onu (New York – USA), chargé des Affaires politiques africaines (1997-2002). Sous-Secrétaire général et Représentant spécial du Secrétaire général de l’Onu pour la Région des Grands Lacs (Nairobi) (2002-2007), il a apporté son expertise dans la résolution de plusieurs conflits. Il a été aussi Envoyé spécial du Président de la Commission de l’Union Africaine pour la Guinée de 2008 à 2010. «J’ai fait 15 ans aux Nations Unies», résume-t-il. Clap de fin.