Algérie, 130 ans de colonisation : Macron « refuse que la France s’excuse »

Tract – La publication du rapport de l’historien français Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie n’a encore suscité aucune réaction officielle à Alger.

Critiques algériennes après le refus de Paris de s’excuser

L’historien français Benjamin Stora et le président français Emmanuel Macron lors de la remise d’un rapport sur la colonisation et la guerre d’Algérie à l’Élysée, à Paris, le 20 janvier 2021. Christian Hartmann/Pool/ AFP

La publication du rapport de l’historien français Benjamin Stora sur la colonisation et la guerre d’Algérie n’a encore suscité aucune réaction officielle hier à Alger, mais des médias locaux et des Algérois ont déploré que le principe d’ « excuses », exigées par les anciens combattants algériens, ait été écarté. « La France ne veut ni s’excuser… ni se repentir », résume en une le quotidien arabophone el-Khabar qui consacre deux pages au travail de l’historien français. « Le président (Macron) ferme le dossier des “excuses” de la France », renchérit un autre journal arabophone, Echourouk, qui accuse le chef de l’État français de renier ses engagements. « Le président Macron ne tient pas, encore une fois, ses promesses de candidat, lui qui avait déclaré ici en Algérie que la colonisation était un crime contre l’humanité. (…) Il préfère jouer sur tous les tableaux pour ne pas tout perdre », regrette le quotidien conservateur. Le rapport Stora permettra-t-il une « paix des mémoires », s’interroge le quotidien francophone Liberté, à l’approche du 60e anniversaire de la fin de la guerre en 2022, en soulignant que l’historien, spécialiste reconnu de l’Algérie, a tenté de « trouver un équilibre entre les exigences historiques et les susceptibilités politiques ».

La rue en tout cas n’est pas convaincue, si l’on en croit les Algérois interrogés mercredi et hier, certains toujours très remontés contre la France. « La France doit reconnaître ses crimes, les meurtres, la torture et les déplacements forcés du peuple algérien », affirme Hichem Lahouidj, un étudiant de 26 ans. « C’est à la diplomatie algérienne d’avancer et de dénoncer cette position, car le colonialisme de la France est considéré comme un des pires », estime le jeune homme. « La France ne s’excusera pas, on le sait, et la raison pour laquelle elle ne s’excusera pas est qu’elle a peur de devoir payer d’importantes compensations financières », opine Abdi Noureddine, un journalier de 56 ans.

Relations maladives

La puissante Organisation des moudjahidines (ONM), les anciens combattants de la guerre d’indépendance, exhorte régulièrement la France à « s’excuser » pour les crimes commis durant ses 132 ans de colonisation (1830-1962). Parmi les dossiers les plus sensibles côté algérien, figure celui des harkis, ces supplétifs qui ont combattu jusqu’à la fin pour la France. M. Stora préconise de faciliter les déplacements des harkis – considérés par certains Algériens comme des traîtres collaborateurs – et de leurs enfants entre la France et l’Algérie. « C’est vrai que les harkis ont trahi la guerre de libération, mais (…) il faut reconsidérer la question de leur retour en Algérie, au moins d’un point de vue humanitaire », considère le quotidien arabophone el-Fadjr, tout en dénonçant « les manœuvres » de la France.

En recevant les propositions détaillées de Benjamin Stora sur la réconciliation entre les deux rives de la Méditerranée, Emmanuel Macron a promis de prendre des « actes symboliques » pour apaiser des mémoires antagonistes, mais il a exclu « excuses » et repentance. Dans son rapport, l’historien français devance lui-même les critiques : « On sait que depuis plusieurs années les autorités algériennes réclament des “excuses” à propos de la période de la colonisation. Dans la lignée des discours présidentiels français précédents, ce geste symbolique peut être accompli par un nouveau discours. » Mais de s’interroger : « Est-ce que cela sera suffisant ? N’est-il pas nécessaire d’emprunter d’autres chemins, de mettre en œuvre une autre méthode pour parvenir à la “réconciliation des mémoires” » ?

La publication du rapport n’a pas immédiatement suscité de commentaire officiel en Algérie, en l’absence du président Abdelmadjid Tebboune, opéré du pied en Allemagne pour des « complications » post-Covid. Sollicité, le directeur des Archives nationales, Abdelmadjid Chikhi, chargé d’un travail en parallèle sur la question mémorielle, n’a pas souhaité réagir « pour le moment ». Cependant, le quotidien francophone L’Expression, proche du pouvoir, voit dans le rapport Stora le début d’ « une nouvelle phase, un nouvel élan et un rythme nouveau », saluant le « courage du jeune président » Macron qui « a su faire montre de pédagogie (…) pour dépoussiérer un dossier rendu explosif par une extrême droite française revancharde ». Sur les réseaux sociaux, les avis sont tranchés. Mais « plus important que des excuses pour l’histoire, le travail pour se débarrasser de la relation maladive qui existe avec la France », plaide sur Twitter le sociologue Nacer Djabi.

Avec L’Orient-Le Jour et AFP

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