« Le mensonge peut courir depuis dix ans, il suffit d’une matinée à la vérité pour l’atteindre. » Proverbe Africain.
Pendant longtemps la classe politique sénégalaise a passé sous silence la crise de 1962 entre deux figures emblématiques de l’histoire politique du pays : Mamadou Dia et Senghor. Si cette omerta parait normale chez nos gouvernants pour des raisons politiques, nous déplorons la passivité de certains historiens, politologues et journalistes…
Ma génération n’a pas connu Mamadou Dia ni Senghor d’ailleurs… Mais l’histoire nous parle et continue de nous parler que de l’enfant de Joal. Nos édifices publics portent son nom, nos stades, nos monuments, ses poèmes nous marquent à jamais. Une sommité littéraire, virtuose de la langue Française. Il continue de façonner au Sénégal, en Afrique. Mais Senghor disposait d’une ruse extraordinaire, mieux encore d’un cynisme, dans la gestion de l’Etat. Une mascarade machiavélique. Cela va sans dire. Il était un fin stratège, une bête politique. Contrairement à son ami et compagnon politique Mamadou Dia qui était un homme intègre, sans calculs, loyal et digne, le tout enrobé d’une naïveté sincère et choisie, qui lui portera préjudice.
Nous sommes au mois de décembre de l’année 1962 lorsque que le président Dia, acteur principal et signataire de l’acte de l’indépendance du Sénégal, est accusé de tentative de coup d’État par son ami de longue date avec qui, il a lutté avec dignité pour notre accession à la souveraineté internationale.
Il est arrêté avec quatre autres de ses compagnons : Waldiodio Ndiaye, Joseph M’baye, Ibrahima Sarr et Alioune Tall.
Cette situation a installé un brouillard politique au Sénégal, a permis à l’affabulation de triompher transitoirement sur la vérité. L’ancien Président du Conseil fut interné pendant douze ans à la prison de Kédougou dans des conditions indignes.
Le prétexte légal fut ainsi trouvé par Senghor pour accuser Mamadou Dia de tentatives de « Coup d’État » et le faire arrêter et emprisonner de 1963 à 1974.
On ne nous a présenté la crise de 62 que sous l’angle politique, et juridique alors que l’aspect économique semble être l’élément catalyseur du casus belli entre ces deux hommes. Le jeune État indépendant du Sénégal avait du mal à couper le cordon ombilical avec la métropole. Aussi, le capital colonial français était encore présent pour ce qui concerne l’économie de traite. Le président Dia a changé la donne en voulant créer un type nouveau de paysan pour relancer la production arachidière. Ce qui remettait en cause l’intérêt des colons français et des notabilités confrériques. C’est le début des divergences d’orientations entre un président de la République qui opte pour un Etat comprador et un Président du Conseil qui veut une rupture avec l’économie de traite. Un système exécutif complexe : le bicéphalisme venait de se confronter. Il fallait du courage politique dans ce contexte post indépendance pour repartir avec des dynamiques nouvelles pour une meilleure aspiration de nos populations surtout en zone rurale. Comment faire ? Mamadou Dia met sa solution en exercice…
La chute de Mamadou Dia, Président du Conseil de la République du Sénégal en Décembre 1962, revêt des enjeux économiques des Indépendances africaines de 1960. Pour Dia, l’indépendance devrait permettre de libérer le monde rural de l’assujettissement à l’Administration coloniale et au commerce colonial, pour promouvoir un mouvement coopératif, comme stratégie de sa libération économique et sociale et de modernisation de ‘l’agriculture. Dia entreprit l’étude d’un Programme économique et social du Sénégal pour l’élaboration du Premier Plan de Développement Economique et Social du pays, afin de matérialiser sa vision de l’évolution du monde rural Sénégalais et de l’édification d’une économie nationale.
Dans ce plan, la « dialectique du développement du système coopératif a été établie de façon à ce que la structure coopérative exerce l’ensemble des fonctions économiques et sociales du monde rural. Ses domaines d’activités devraient être successivement étendus à la production, l’équipement, la commercialisation des produits agricoles, à la fourniture des denrées de consommation courante, au crédit, au secteur industriel, aux opérations de prévoyance et d’assistance sociale, et enfin à la gestion publique dans le cadre de ‘’ Communautés de Développement » ».
Un tel programme mettait déjà Dia en conflit, non seulement avec les commerçants de détail et de demis gros dans l’approvisionnement du monde rural en marchandises de première nécessité, mais aussi avec les « traitants » que constituent les intermédiaires entre les paysans et les industriels et autres exportateurs de la production d’arachides. Il le mettait également en conflit avec les autorités coutumières et religieuses qui avaient fait main basse sur les SIP, avec le soutien du pouvoir colonial.
« Une telle option entrait en contradiction avec les efforts entrepris par les Maisons de Commerce Européennes traditionnelles (Françaises dans les faits), pour promouvoir le Commerce Africain jusqu’aux activités import-export ». II s’est, dès lors, révélé nécessaire de sacrifier Mamadou Dia sur l’autel des exigences du pouvoir colonial Français qui percevait dans ses options, une menace réelle sur ses intérêts au Sénégal et dans la sous-région.
Mamadou Dia pouvait- il ignorer les enjeux économiques et politiques de son option stratégique de développement économique et social du Sénégal ?
Comment pouvait-il croire, un seul instant, que le pouvoir colonial français, qui protège les intérêts de ses entreprises installées au Sénégal, allait le laisser faire sans coup férir ?
L’analyse du contexte politique de l’époque peut aider à mieux comprendre la facilité avec laquelle Léopold Sédar Senghor a pu se débarrasser de celui qui exerçait la réalité du pouvoir d’Etat.
En effet, ce fut l’époque où la négation de l’existence de classes sociales antagoniques et de luttes de classe dans le mouvement de libération nationale en Afrique noire, avait pris le dessus dans l’opinion des principaux dirigeants politiques.
Senghor profita du voyage de Dia hors du pays, pour convaincre les Députés de refuser cette politique qu’il considère austère et, en même temps, les encourageait à prendre la décision d’augmenter leurs salaires en tant que Pouvoir Législatif, d’où émanent le Président du Conseil et le Gouvernement. Il savait que Dia allait ainsi être victime de la théorie du « Parti dominant » qui était en vogue. Senghor venait de confectionner un piège à Dia, dans lequel il est tombé, tête baissée. Les Députés ont rejeté sa requête et ont décidé de voter une motion de Censure contre laquelle Dia a tenté de s’opposer en faisant évacuer l’Assemblée nationale par la « Garde Républicaine ».
Le projet économique de Dia était salutaire car il avait posé les premiers jalons de développement économique, politique, social et culturel.
Mais pourquoi on ne parle pas du projet de cet homme de vertu ?
Pourquoi Mamadou Dia est resté et reste toujours dans l’anonymat ? Au Sénégal, on entend très rarement parler de Mamadou Dia, ni en famille par les adultes, ni à l’école par nos professeurs. Pour ma part, il fallut être en Europe pour connaitre l’histoire du président Dia. Paradoxal. Je travaillais en 2010 à la bibliothèque nationale de France (BNF) à Paris, je suis tombé par hasard sur un journal du Sénégal des années soixante intitulé « Dakar soir » titré à la Une ; L’affaire Dia –Senghor : les dessous de la crise. Ce titre m’a interpellé et attiré toute mon attention. A partir de là je suis intéressé à cette crise.
L’incarcération du président Mamadou Dia est l’une des plus grandes hontes de notre histoire. Car la raison de « tentative d’un coup d’Etat » est une mise en scène orchestrée par Senghor et sa bande. Le Général Alfred Diallo qui a été nommé par le président Senghor a dit sans équivoque qu’il n’y avait pas de tentative de coup d’Etat.
Le président Dia est toujours resté le même homme digne pendant ces douze années de ténèbres dans les geôles de Kédougou, il n’a jamais accepté la révision de son procès, ni demandé une quelconque grâce présidentielle. Le cas Mamadou Dia interroge notre conscience collective, le président Senghor en premier. Il a dit avoir regretté cet acte qu’on peut qualifier d’ignoble. Il était obligé de libérer Mamadou Dia grâce à l’exigence de l’international socialiste dont il a voulu faire partie. Par conséquent laisser un prisonnier politique de la stature de Dia n’était pas cohérent.
II s’était, dès lors, révélé nécessaire de sacrifier Mamadou Dia sur l’autel des exigences du pouvoir colonial Français qui percevait dans ses options, une menace réelle sur ses intérêts au Sénégal et dans la sous-région. Dia et son entourage étaient convaincus qu’ils pouvaient réaliser leur Programme, en mettant au pas les organisations politiques, syndicales, de jeunes et de femmes, qui étaient sur nos positions d’indépendance totale vis-à -vis de la France. Ainsi, politiquement, en sacrifiant Dia, le pouvoir législatif enterrait son propre pouvoir hérité des circonstances de l’accès à l’Indépendance du pays en 1960, qui lui octroyait un contrôle politique sur le pouvoir exécutif dont il désignait le Chef, pour se contenter du pouvoir de contrôle de sa gestion. Un véritable « coup d’Etat » de Senghor qui avait la bénédiction de la France.
Senghor se rend compte qu’il a commit l’irréparable et que ce fardeau l’a accompagné jusqu’à sa dernière demeure, Comme il n’est jamais trop tard pour faire du bien. Le Président Macky pour réhabiliter l’ancien chef du gouvernement, a choisi que le building administratif porte le Nom de Mamadou Dia, comme Abdou Diouf l’a fait avec Cheikh Anta Diop concernant l’université de Dakar. Les Africains rendent hommage à leurs grands homme qu’après leur mort .C’est vraiment dommage !
La situation ainsi sommairement décrite, montre bien que la lutte de libération nationale, pour restituer à notre peuple la maîtrise de son destin, est toujours d’actualité. Dans ce cadre, les causes de la liquidation politique de Mamadou Dia ne doivent-elles pas être méditées pour mieux éclairer les stratégies et tactiques d’alliance nécessaires, pour recouvrer la souveraineté économique et alimentaire de notre peuple ?
Bassirou Sakho, Citoyen Sénégalais résidant à Paris