Ce recueil de poèmes, publié en avril 2021, aux éditions adinkra, est le résultat d’une initiative littéraire du collectif adinkra femmes qui lance chaque année un appel à textes sur des thématiques spécifiques à des fins d’édition. La thématique qui a guidé l’élaboration de cette anthologie du plaisir est « Mon corps et moi ».
Par Baltazar Atangana Noah
Quinze plumes. Quinze sensibilités. Quinze manières d’aimer et de vivre. Quinze corps. Le comble pour une belle fête des quinze ans. Non plus cette fête des quinze ans qui marque le passage de l’enfance au statut de femme, mais celle qui fait dire à haute et intelligible plumes que le plaisir, l’orgasme, passe par les mots. Celle qui invite tout-monde à tisser, avant toute chose, une « complémentarité totale » avec soi-même avant toute démarche extérieure vers la quête d’autres rives ou d’autres corps-horizons. Oui, plaisir textuel. Juste des mots. Pas des vicieux. Des scabreux ou des machistes. Des mots résilients, conciliants…Plein d’amour, sans haine ni peine. Des « râles de plaisir rauque/hymne au clitoris »(p.40) qui célèbrent sans aucune radicalité, ratiocinant d’ailleurs, « la révolution du vagin »:
« Je jouis à la vie
Je jouis à ma liberté de jouir.
Je jouis sous mes doigts, par toutes les langues et par tous les phallus »(p.66).
Dans son ensemble, ce recueil déchire, puissance poétique aidant, le voile des préconceptions sur les approches, les frontières et les univers littéraires différents. C’est un projet érotique qui émoustille le lecteur. Et qui aborde la question de l’intimité sexuelle à travers une poétisation des intimités et des sexualités, encore stigmatisées dans plusieurs sociétés africaines contemporaines. Les textes, érotiquement bien chargés, dévoilent des parcours et des trajectoires de femmes. Pas directement les auteures, peut-être. Mais des femmes tout de même. On fait la connaissance des sensibilités, des manières de penser, de vivre et d’aimer le corps-sexe; des réflexions, des interrogations, parfois des divagations et des vagabondages individuels.
Un discours du corps…
Si certains poèmes, tous écrits par des femmes, ont collé à l’idée de lutte contre un certain phallus hégémonique, plaidoyer d’une sexualité en villégiature et non assouvie, d’autres en revanche mettent en branle la dimension trouble de la relation entre nous et notre corps par la métaphore d’un corps qui essaie de se comprendre dans un monde instable, un peu plus ces derniers temps oú la covid-19 est saigneur:
« Ce corps(…)
Qui hurle/
Descendre dans les enfers
De son corps perdu
Effiloché « (p.56)
Mon corps et moi est une fresque du plaisir et de l’érotisme féminin. Subversif. Il aborde un sujet, certes frappé d’interdits, qui est pourtant au cœur de nos sociétés: la sexualité. Les textes, en filigrane, posent la question de l’épanouissement de notre corps à la rencontre du corps de l’Autre- s’y mêlent sensibilités, manières de vivre et d’aimer.
Tout compte fait, nous sommes donc en présence d’une poétique du corps qui agit sur la base de la considération du corps comme première instance de plaisir et de jouissance de soi que l’on peut comprendre comme l’ancrage initial dans un contexte, camerounais notamment, oú la question de la prise en charge de son corps et de sa sexualité est encore discutée. Un discours du corps, comme celui-ci, dans un tel sociotope devrait y être sensible, sans s’y restreindre. Et ce, parce qu’il s’en dégage un lien qui se crée dans l’univers d’une nouvelle poétisation du corps et s’articule, autour d’un va-et-vient, du corps au texte, et du texte au corps:
« J’ai vu mon corps
Être détruit
Je continue d’avoir des traces
Je me lave et je vois
Ce corps qui m’a été offert…
Je le regarde se détériorer… »(p.23)
Baltazar Atangana Noah
Ecrivain et critique littéraire