Tract – Au fond d’un couloir, des jeunes en blouse jaune, lunettes et charlottes sur la tête, s’affairent dans un laboratoire. Ensemble, ils pèsent avec précision de l’huile de jojoba, du beurre de mangue et d’aloès, qu’ils font chauffer à 70 °C avant de les mélanger à une solution aqueuse. Dans le bécher, la mixture s’épaissit et prend une couleur blanche. Les apprentis cosmétologues viennent de fabriquer leur première crème pour visage sous la houlette de leur formatrice, Mariane Ouattara, fondatrice de la Farifima International Cosmetology School, qui a ouvert ses portes début avril à Dakar, relate un reportage du Monde Afrique, lu par Tract.
Docteure en chimie diplômée au Canada, l’entrepreneuse a ouvert son laboratoire et sa ligne de produits de beauté au Sénégal en 2018. « J’ai remarqué un manque de compétence de la main-d’œuvre. C’est un problème de santé publique, car les gens ont de bonnes idées mais ils ne maîtrisent pas ce qu’ils font », constate-t-elle. Avec Farifima, elle espère former les futurs entrepreneurs et employés du secteur des cosmétiques et leur ouvrir les portes de plusieurs métiers comme le contrôle qualité, le positionnement de marque, le conseil en parapharmacie ou la main-d’œuvre de laboratoire.null
« En plus de la théorie, je mets l’accent sur la pratique pour apprendre aux jeunes à être autonomes », explique Mariane Ouattara, qui veut les pousser à « rester en Afrique » et leur « prouver qu’on peut faire de la qualité grâce à une formation rigoureuse ».
« Nous avons toutes les matières premières nécessaires »
Avant de rejoindre le laboratoire-école, Ndeye Aida Tine, 32 ans, se débrouillait seule. « Sur les marchés et dans les magasins, les produits ne sont pas bons pour les peaux noires et sont souvent dépigmentants. Alors je faisais mes expériences à la maison, pour moi-même, avec des produits locaux naturels », se souvient l’apprentie, qui ambitionne de créer sa propre marque de cosmétiques pour les femmes noires et métissées.
« Nous avons au Sénégal et en Afrique toutes les matières premières nécessaires, il suffit de nous lancer », abonde Mylène Ndoye. Coiffeuse et visagiste depuis vingt-cinq ans, elle a elle aussi constaté que « les femmes et les hommes se tournent de plus en plus vers les ingrédients naturels ». Et il est important, estime-t-elle, d’avoir les compétences pour contrôler la qualité des produits locaux proposés à ses clientes. « Même les matières naturelles peuvent être allergènes ou dangereuses », dit-elle.
Les deux femmes font partie de la première cohorte de 30 personnes ayant entamé en avril la formation de six mois proposée par la Farifima School et qui doit déboucher sur un certificat de spécialité en cosmétologie. Chaque élève paie des frais de 45 000 francs CFA (69 euros), le reste est pris en charge par le Fonds de financement de la formation professionnelle et technique (3FPT), une institution créée en 2014 par le gouvernement pour booster l’employabilité des jeunes. Au total, 120 apprentis seront accompagnés, pour un budget de 50 millions de francs CFA.
« La cosmétique est un domaine porteur, avec un fort potentiel de création d’emplois au regard du nombre de produits importés », considère Sidy Ba, responsable au sein du 3FPT. Dans un pays où 76 % de la population a moins de 35 ans, la lutte contre le chômage des jeunes est une priorité pour les autorités sénégalaises. En réponse aux manifestations violentes de février et mars liées à l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko (accusé de viol), le chef de l’Etat avait annoncé la mobilisation de 450 milliards de francs CFA (686 millions d’euros) sur trois ans, notamment pour la formation professionnelle.
« On ne sent pas une réelle volonté des pouvoirs publics »
Le potentiel est énorme. Selon le dernier rapport de Setalmaa, un média spécialisé en « beauté noire et métissée », les produits capillaires, de soins de la peau et de maquillage représentent au Sénégal un marché de 874 millions d’euros en 2020 et pourraient passer à 1,5 milliard d’euros en 2025.
Il existe déjà un master en cosmétologie et phytothérapie à l’université Cheikh-Anta-Diop de Dakar, ainsi que quelques formations dispensées par des ONG pour la fabrication de savons artisanaux. Mais c’est encore insuffisant pour faire décoller le secteur, selon Aminata Thior, fondatrice de Setalmaa. « Malgré le financement d’une école comme Farifima, on ne sent pas une réelle volonté des pouvoirs publics d’investir dans les cosmétiques, déplore l’experte. Il faudrait que des laboratoires soient créés pour que les marques internationales fabriquent leurs produits de beauté en Afrique. Ils pourraient aussi être utilisés par les sociétés locales afin que se développe une véritable industrie. »
Un développement qui ne se fera pas sans ouvrir davantage d’écoles et de salons spécialisés dans les cheveux afros, ainsi que des formations de chimistes, de cosmétologues et de dermatologues. Sans oublier des activités encore confidentielles comme le conseil en beauté, la parapharmacie, la distribution, le packaging ou le marketing.null
Des métiers auxquels est venu se former Nguissaly Ndiaye, le seul homme de la Farifima School. Depuis deux ans, il commercialise des huiles cosmétiques naturelles. Mais pour aller plus loin, il souhaite formaliser son activité. « J’ai pris conscience que je devais me professionnaliser, élargir la gamme et commercialiser des produits plus sérieux, proposés dans des bouteilles avec des étiquettes précises », explique l’ancien agent commercial de 31 ans.