SENtract – Jeune Afrique, Mehdi Bâ – S’il était une figure de la mythologie grecque, peut-être serait-il Eunomie, l’une des trois filles de Zeus et Thémis, qui personnifie la loi, la législation et l’ordre. Hier magistrat du Parquet, ministre de l’Intérieur depuis novembre 2020, Antoine Félix Abdoulaye Diome n’a-t-il pas accepté, dans ses fonctions successives, de prendre la relève, au Sénégal, de cette « déesse mineure » en assumant ses principales tâches : « assurer la stabilité intérieure de l’État et le maintien de l’ordre public » ?
À 47 ans, l’homme a conservé un visage juvénile et avenant. Mais ne vous y trompez pas : « Il prend des airs souriants et n’attaque jamais frontalement. Il poignarde dans le dos ! » commente, amère, une avocate qui s’est confrontée à lui lors du procès de Karim Wade et de ses coaccusés, entre 2014 et 2015. « Ce n’est pas un mauvais juriste mais il avait tendance à tordre les débats : il était manifestement en service commandé », ajoute la même source.
Antoine Diome – « Tony », pour les intimes – fuit les médias comme la peste. « Il est plus à l’aise au prétoire que dans un meeting, résume un célèbre intervieweur sénégalais qui a vu défiler le gratin politique du pays. Nous sommes nombreux à avoir sollicité un entretien, mais il a toujours décliné courtoisement. » Jeune Afrique aussi s’y est cassé les dents, faute de pouvoir se rendre dans les délais à Dakar pour un face-à-face qu’il laissait entrevoir. Pas de discussion possible à distance avec Antoine Diome, même par visioconférence.
« Forces occultes »
Le 6 mars 2021, c’est face à une caméra de télévision, mais sans journaliste pour l’interroger, qu’il a connu son baptême du feu médiatique, lisant en prime time une déclaration où il s’indignait des émeutes qui venaient d’ébranler la capitale sénégalaise et plusieurs grandes villes du pays. Devenu ministre de l’Intérieur quatre mois plus tôt, Antoine Diome n’y est pas allé de main morte dans sa riposte aux sympathisants du député de l’opposition Ousmane Sonko, convoqué par la justice pour une accusation de viol vue par nombre de Sénégalais comme un traquenard politico-judiciaire.
« Ces actes de provocation sans précédent et sans commune mesure ont provoqué, avec le soutien de forces occultes identifiées, des manifestations violentes dans plusieurs quartiers de la capitale et dans d’autres localités du pays », déclarait-il, avant d’énumérer ces « actes de nature terroriste » : « Voies de fait, saccages, pillages et dégradations de bâtiments publics et de biens privés, mais aussi de commerces appartenant à des personnes physiques et morales… »
Antoine Diome, ce soir-là, ne rechigne devant aucun superlatif, allant jusqu’à qualifier la grogne populaire qui embrase le pays de « conspiration contre l’État » relevant d’une « insurrection organisée ». Pour une personnalité politique qui connaît bien le magistrat, cette intervention « maladroite » revenait à employer un jerricane d’essence pour tenter d’éteindre un départ de feu : « À l’audience, la parole d’un procureur est naturellement à charge. Mais là, il s’exprimait en tant que ministre de l’Intérieur face à une jeunesse qui se révolte. »
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