Sentract – Mariette Tchamda, traductrice et éditrice camerounaise, férue de littérature depuis l’enfance, nous parle de son expérience dans un contexte éditorial africain atroce et dont la politique du livre est encore naissante.
Qu’est-ce qui vous a motivé à mettre sur pied NUANCES éditions ?
Premièrement, l’absence totale de romans à l’eau de rose sur le marché local. Et pourtant, c’est un genre que je prise particulièrement. Ensuite, le désir de voir des livres légers, divertissants avec des couvertures assez captivantes pour déclencher l’envie d’acheter. Enfin, susciter l’intérêt de publier chez les femmes, qui sont nombreuses à écrire, mais peu à publier.
Trois ans environ que NUANCES éditions bourlingue dans l’univers atroce africain francophone de l’édition. Quel bilan faites-vous ?
Bilan assez positif. J’ai eu la chance de constater que l’assertion selon laquelle les Camerounais ne lisent pas n’est qu’un gros mensonge. Le plus difficile n’est pas la réticence des lecteurs, mais l’accès au livre et le coût de production élevé qui a, bien entendu, un impact sur le coût du livre.
Enrichir la littérature africaine de romans divertissants et populaires. Ce n’est pas déjà ce que font les autres éditeurs ? Que voulez-vous dire explicitement ?
C’est pour dire qu’au moment où je créais NUANCES, les romans locaux que je lisais ne me divertissaient pas, car ils s’apparentaient davantage à des traités de morale. Je n’appréciais pas la manière d’aborder les thèmes, souvent sans nuance, sans humour, très premier degré, avec un langage qui ne reflétait pas celui utilisé par le citoyen ordinaire. Tous ces auteurs qui semblaient, tous, vouloir revendiquer ou enseigner quelque chose, sans aucune subtilité… L’engagement en soi n’est pas un problème, il est même vital, mais tout ne peut pas être lutte. Il est important de montrer toutes les facettes de notre quotidien, pas seulement ce qui est à décrier. Sans compter que, personnellement, quand je prends un livre c’est pour m’évader avant tout. La littérature engagée est nécessaire, comme l’est la littérature de gare. NUANCES s’identifie à ce deuxième type.
Vous ne publiez que des femmes. N’est-ce pas sexiste de votre part?
Tout à fait sexiste et pleinement assumé. Mais il s’agit simplement de discrimination positive pour rééquilibrer les choses. Sur le marché camerounais, les hommes sont bien plus présents que les femmes. Or, il est toujours important d’avoir les deux versions d’une histoire.
Quel type de contrat proposez-vous aux auteurs?
Nous proposons des contrats à compte d’éditeur, le manque de moyens étant souvent l’une des raisons pour lesquelles les femmes ne parviennent pas à être publiées.
Que recherchez-vous chez un auteur?
Le naturel et la subtilité. Des plumes qui peuvent décrire le Cameroun avec les mots des Camerounais. Qui peuvent aborder n’importe quel sujet, aussi grave et sérieux soit-il, sans jouer les donneuses de leçons. Qui peuvent proposer des héroïnes certes admirables, mais aussi nuancées et faillibles.
Vous publiez en moyenne une œuvre par an. Vous avez déjà le tapuscrit de l’année prochaine ?
En effet. Nous travaillons actuellement au Volume 2 de Elles parlent d’amour qui paraîtra la semaine de la St Valentin, pour célébrer l’amour en lecture.
Vous êtes également traductrice. Que pensez-vous de la traduction littéraire ? A-t-elle une bonne place dans notre contexte?
La traduction n’aurait pas meilleure place que dans un pays bilingue comme le Cameroun. C’est un pont qui permet à chaque culture d’accéder à l’autre. Comme beaucoup de francophones, j’ai découvert la littérature anglophone à l’université, en version originale, ce qui est déplorable. J’aurais dû y avoir accès plus tôt. Ces livres auraient dû être traduits et mis au programme pour que nous sachions au moins ce qui se passait de l’autre côté. Les anglophones ont plus de chances, car certains grands auteurs francophones comme Mongo Beti ont été traduits en anglais et leurs œuvres mises au programme.
Malheureusement, la traduction littéraire au Cameroun est un secteur ou tout doit encore être fait, principalement par manque de fonds (par exemple, nous estimons que la traduction de la première parution de NUANCES coûtera environ deux fois plus que la production de celle-ci). Mais surtout en raison de l’absence de politique publique en la matière. L’Etat devrait être le premier à encourager de telles initiatives, comme cela se fait dans tant d’autres pays. Il est déplorable qu’en 2021 deux littératures cohabitent dans une même nation sans jamais se côtoyer. NUANCES compte bien participer à une évolution dans ce sens.
Avez-vous déjà traduit des œuvres littéraires ? Si oui, lesquelles?
J’ai traduit une nouvelle, « Things the World didn’t Tell You » de Howard Meh-Buh Maximus, parue dans l’anthologie bilingue Le crépuscule des âmes-sœurs chez Bakwa en 2020.
Vous côtoyez à la fois l’univers littéraire francophone et anglo-saxon. Quel est votre avis comparé des deux univers?
C’est carrément le jour et la nuit. Ça bouge beaucoup chez nos amis anglo-saxons. Magazines littéraires, festivals, de cafés, de rencontres en tous genres, de prix divers et variés. Les auteurs y sont beaucoup encouragés et ont l’occasion de se rencontrer et d’apprendre les uns des autres. Tout ce dont je rêve pour la littérature francophone.
Quel message adressez-vous aux acteurs de la chaîne du livre africain en général ?
Tenir bon d’abord, parce que tout est compliqué, surtout quand on n’a pas les moyens financiers. Ensuite se mettre ensemble pour faire évoluer notre secteur. Seul, on va plus vite, mais ensemble on va plus loin, comme le disaient nos ancêtres. C’est à nous de valoriser notre culture littéraire à l’international, et nous ne pouvons le faire qu’en présentant des œuvres de qualité.
Merci Mariette.
Baltazar Atangana Noah
Critique littéraire
(noahatango@yahoo.ca)
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