Musique sénégalaise : de l’esthétique à rebours…

Sentract – Ce n’est pas peu de le dire : les productions actuelles de la musique sénégalaise sont très loin de rimer avec les exigences de l’esthétique. C’est le temps d’une tendance kleenex ou fast-foodienne, rimant tristement avec du non-sens. Un fourre-tout inquiétant dénudé lors d’une conférence animée le 30 août dernier au Grand Théâtre Doudou Ndiaye Rose, par le parolier et spécialiste des questions culturelles, Birame Ndeck Ndiaye à l’occasion du Salon Ndadjé initié, en collaboration avec le Goethe Institut Dakar, par le journaliste-animateur Alioune Diop, et par ailleurs fondateur de la structure PACAF (Productions Artistiques et Culturelles d’Afrique). 

 

Analyser avec un regard de distance les comportements musicaux de nos chercheurs et de producteurs de mélodies ; tout en réveillant la conscience de la réalité selon laquelle pour tendre à la perfection, il faudra se mettre dans une posture de recherches, pour ne pas dire d’apprentissage. Pourrait-on ainsi condenser la pensée de Birame Ndeck Ndiaye qui dissertait sur le sujet « L’esthétique de la parole dans la musique sénégalaise ».

 

Cette esthétique souffrirait de beaucoup de maux, touchés du doigt par Birame Ndeck Ndiaye qui débute son propos par cette interrogation ontologique sur ce que nous sommes en tant qu’être doté de pouvoirs dont celui de la parole. Et qui dit parole, choisira forcément d’évoquer son penchant quasi-indélébile : l’écriture. Ou pour parler clair, l’écriture musicale. Des lors l’évidence morale de la responsabilité de l’auteur de la chanson s’impose dans une tension dialectique entre « le beau et le bon », entre la création et la diffusion, entre le destinateur et le destinataire, non sans oublier l’étape de l’interprétation. De là, se découvrent naturellement « la sensibilité, le talent, la singularité et la générosité » de l’artiste qui ne doit pas oublier qu’il occupe, vu son statut, une posture « d’autorité » et non de « supériorité ». Ce qui doit réveiller en lui le sens de la communication.

Le conférencier à aussi agité cette manie chez les chanteurs à être « Docteur je peux tout », faisant d’eux, outre leur qualité première, arrangeur, compositeur, etc. Balayant chez eux l’idée de la définition des rôles et des tâches. « Le chanteur, c’est d’abord la voix », martèle Birame Ndeck Ndiaye qui estime que ce dernier ne doit pas dépasser ses prérogatives d’interprète. Lequel est le produit d’un déterminisme du milieu à travers sa culture, son éducation, son vécu, ses voyages, sa famille, etc. Et par-delà ces considérations, l’artiste doit savoir qu’il est à la fois personne, personnalité et personnage et « se mettre à la place du public ». À ce dernier d’aller de la mélodie à la joie, et le chanteur d’aller de la joie à la mélodie.

 

Par ailleurs, à la suite de  ces considérations et allusions à la diversité des styles, qu’ils soient directs ou indirects, ou du langage recherché ou familier, ou encore du ton grave ou léger, selon les aptitudes naturelles du chanteur, il a été soulevé l’éternel débat sur la déconfiture qualitative des œuvres musicales de nos jours au Sénégal. Comme pour établir un diagnostic sans complaisance, à l’entame des échanges avec les participants, l’absence structurelle de formation sera désignée comme l’une des principales causes ; sans oublier l’inculture, surtout chez les chanteurs de mbalax – au contraire des rappeurs aux textes plus profonds quand bien même ils sont enclins à verser dans l’autoportrait – qui ne daignent pas apprendre pour s’améliorer. Et comme pour maintenir à flot cette culture de l’inculture, les animateurs des stations radios, d’une part, et les journalistes (culturels), d’autre part, versent dans une sorte de complaisance, sans esprit critique. « Dans ce pays, on fait de la musique pour danser », dira le conférencier qui ajoute : « s’adresser seulement aux danseurs, ça pose problème ». Ce qui fait dire à Ousmane Seydi, musicien sénégalais rentré au bercail, après de longues années passées en France, qu’au Sénégal, « la musique est escamotée ». « Il nous faut être conquérant, revoir notre musique, refuser la dictature du sabar, faire des recherches, nous ouvrir aux autres, ajoutera plus tard dans les discussions Birame Ndeck Ndiaye. Quant à l’animateur Cheikh Amala Doucouré, il insistera sur la notion de personnalité (artistique). « On sait que Denis Brown était la meilleure voix de la Jamaïque, mais si Bob Marley à su s’imposer, c’est parce qu’il avait une forte personnalité », dira-t-il.

Au cours de cette conférence, ont été soulevés d’autres points relatifs aux rapports entre la liberté de création et le genre musical choisi, à la différence entre chanteur et musicien, ou encore à la complexité des relations entre compositeur et arrangeur, à cette complicité entre la musique et la langue,  qu’elle quelle soit, à l’importance de la puissance vocale qui retient depuis des années l’attention de l’initiateur de cette rencontre, en l’occurrence Alioune Diop.

Signalons que dans le cadre de ce salon Ndadjé qui réunit des journalistes culturels de différents organes, choisis après sélection, d’autres rendez-vous prévus d’ici décembre – une fois par mois – sont attendus. On peut citer : « Etat de la diffusion musicale : le cas des festivals en Afrique de l’Ouest »  (le 30 septembre 2021 à la Maison de la Culture Douta Seck), « Influences traditionnelles dans la musique moderne : oralités croisées » (le 27 décembre 2021 à Keur Leyti.

L’objectif de ce Salon Ndadjé étant, à travers ces échanges avec de grands noms du monde de la culture », de pousser à la compréhension de « ce qui se passe hors de nos frontières », de « renforcer la culture musicale » et de contribuer « à la dynamisation du journalisme culturel par la rédaction d’articles inédits ».

Par Bassirou NIANG