SENtract / Par 20 Minutes avec AFP – On s’attendait à une déflagration, à des conclusions sans appel et accablantes. Le chiffre est vertigineux. Selon le rapport Sauvé, fruit de deux ans et demi d’enquête sur l’ampleur de la pédocriminalité entre les années 1950 et aujourd’hui, 216.000 victimes d’actes pédocriminels au sein de l’ Eglise catholique française ont été recensées.
Voici les principaux points à retenir du rapport Sauvé produit par la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (Ciase) :
Une enquête globale
La Ciase a commandé à l’Inserm une enquête en population générale, à partir d’un échantillon représentatif de 28.000 personnes, qui révèle que 5,5 millions de personnes de plus de 18 ans ont été sexuellement agressées pendant leur minorité dans l’ensemble de la population française. Soit 14,5% des femmes et 6,4% des hommes en France.
216.000 victimes de prêtres ou de religieux
À partir de l’enquête Inserm, la Ciase estime que depuis 1950, 216.000 personnes ont fait l’objet de violences ou d’agressions sexuelles dans leur enfance de la part de clercs ou de religieux et religieuses. Les victimes décédées ne sont pas comptabilisées dans cette estimation.
Le rapport précise que c’est une évaluation statistique avec «un intervalle de confiance» de plus ou moins 50.000. Cela signifie que le chiffre se situe entre «165.000 et 270.000». Ces victimes dans l’Eglise catholique représentent 4% du total des victimes dans la société française.
330.000 victimes au total
Si l’on ajoute les personnes agressées par des laïcs travaillant dans des institutions de l’Eglise catholique (enseignants, surveillants, cadres de mouvements de jeunesse…), le nombre estimé de victimes grimpe à 330.000 (avec intervalle de 265.000 à 396.000). Et le pourcentage des victimes passe à 6%.
Ainsi, un peu moins des deux tiers des violences sexuelles ont été commises par des prêtres, des religieux ou religieuses et un peu plus d’un tiers par des laïcs.
2.900 agresseurs
La Commission dénombre de 2.900 à 3.200 agresseurs hommes au sein de l’Eglise catholique en France depuis 1950, soit 2,5% à 2,8% de la population des prêtres et religieux hommes dans la période.
Il s’agit d’une «estimation minimale», fondée cette fois sur les traces trouvées dans les archives et sur les témoignages à la Ciase. Ce taux est inférieur aux taux allemand (4,4%), américain (4,8%), australien (7%) et irlandais (7,5% dans certains diocèses).
L’Eglise catholique davantage concernée
La Ciase compare la prévalence des violences sexuelles dans l’Église à celle identifiée dans d’autres institutions (associations sportives, école…) et dans le cercle familial.
Ainsi, 1,16% des personnes en lien avec l’Eglise catholique ont subi des agressions sexuelles de diverses natures, dont 0,82% par des clercs, religieux et religieuses.
Ce taux est deux à trois fois supérieur à celui d’autres milieux: 0,36% dans les centres et colonies de vacances, 0,34% dans l’école publique (hors internats) et 0,28% dans le sport.
Ce taux est néanmoins extrêmement élevé dans les cercles familiaux et amicaux: 3,7% des majeurs vivant en France aujourd’hui ont fait l’objet de violences sexuelles au sein de leur famille. Ce taux est de 2% dans le cercle des amis de la famille.
55,9% des violences entre 1950 et 1970
La Ciase distingue trois périodes :
-55,9% de l’ensemble des violences ont été commises entre 1950 et 1970. A cette époque, les effectifs du clergé étaient extrêmement importants, supérieurs à 50.000 personnes. «Le silence a été dominant dans les 70 ans de l’étude (1950-2020), mais ces deux premières décennies (1950-1970) sont marquées par le silence le plus profond», affirme à l’AFP Jean-Marc Sauvé.
«Et quand l’Eglise a su, sa réaction a été caractéristique», souligne-t-il: «l’Eglise veut éviter le scandale et maintenir le prêtre défaillant dans le sacerdoce, le « soigner », notamment à travers des structures d’accompagnement comme le Secours sacerdotal (ou Entraide sacerdotale)». Mais elle fait preuve d’une «indifférence complète» à l’égard des victimes.
-22,1% des violences et agressions sexuelles ont été recensées entre 1970 et le tournant des années 1990. «Cette période est marquée par la crise sacerdotale. Les séminaires se vident et l’Église cesse d’avoir un traitement systématique et interne de ces problèmes (…) Elle est toujours aussi peu informée de ce qui se passe. Le rapport aux victimes demeure le même», selon Jean-Marc Sauvé.
-22% ont été commises depuis les années 1990. Cette période est marquée par «une prise de conscience progressive du caractère totalement inacceptable des violences sexuelles et de leur radicale illégitimité, spécialement dans le contexte de l’Église catholique, compte tenu de la mission qui est la sienne», selon Jean-Marc Sauvé. Toutefois, elle «s’opère avec une certaine lenteur et de manière incomplète», ajoute-t-il.
Signalements
La Commission «a effectué 22 signalements aux parquets» dans des dossiers dont elle a eu connaissance, a déclaré Jean-Marc Sauvé. Des affaires «manifestement prescrites et où, en plus, la victime ne souhaitait pas qu’il y ait un signalement parquet, certaine que l’affaire serait classée sans suite», a-t-il dit.