[Tribune] LIMITER LES TRANSFERTS D’ARGENT DES PAYS EUROPEENS VERS L’AFRIQUE : ANALYSE D’UNE PROPOSITION INDECENTE ET HYPOCRITE (Par Caroline Meva)

Sentract – C’est avec effarement et indignation qu’on a entendu des propos tenus par une jeune compatriote nommée Julie Stella Kamnga, lors de son intervention le 08 novembre 2021 dans l’émission Les Grandes Gueules sur RMC, à propos de l’immigration et des transferts d’argent en Afrique. Elle dit à cet effet :  » Je ne suis pas contre le fait de soutenir la famille au pays, mais c’est que parfois cette famille se révèle des qualités de, je m’assois, je croise les bras, je ne vais rien foutre de ma vie ». Et d’ajouter :  » Cela favorise, je suis désolée de le dire, de la paresse, des familles qui ne veulent pas bosser ».

Nous entrons de plein pied dans les préjugés et les stéréotypes réducteurs et éculés. Il convient de replacer ces propos dans leur contexte significatif, à savoir la préparation des futures élections présidentielles en avril 2022, dans l’optique, pour la Droite française, de séduire les électeurs. Cette proposition est préconisée comme solution à l’épineux problème de l’immigration, qu’elle soit régulière ou clandestine. L’astuce est bien connue du Landerneau politique : pour redorer son blason auprès des électeurs, la recette gagnante consiste à faire preuve de fermeté face aux dérives et dysfonctionnements qui gangrènent la société, et le bouc-émissaire est vite débusqué ; il s’agit des étrangers, parmi lesquels le nègre de service se retrouve aux premières loges.

Les stéréotypes, les préjugés de la période de l’esclavage et de la colonisation sont remis au goût du jour, pour les besoins de la cause. Du Code Noir de 1685 réglementant l’esclavage, à Nicolas Sarkozy, en passant par les Philosophes des Lumières et des hommes politiques français du 18e et du 19e siècle tels que Jules Ferry, Voltaire, Montesquieu, Victor Hugo, pour ne citer que ceux-là, tous sont unanimes : l’homme noir n’a pas d’histoire, il n’a pas d’âme, il est inférieur aux blancs, c’est un grand enfant niais, paresseux, voleur. Bref, l’homme noir est le fardeau de l’homme blanc, qui a le devoir d’accomplir sa mission civilisatrice et salvatrice vis-à-vis de cette race inférieure. Montesquieu dira même, dans  » L’esprit des Lois » : « On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être sage, ait mis une âme bonne, dans un corps tout noir ».Eh bien, les stéréotypes réducteurs ont la vie dure et remontent à la surface aujourd’hui à travers les déclarations irréfléchies et irresponsables d’une jeune femme naïve, qui est un pur produit de la génération des réseaux sociaux et des médias, surfant sur la vague du clinquant et de la superficialité, ayant perdu tout contact avec la réalité, prêts à tout, à se dévaloriser, y compris à vendre leur âme au diable tout simplement pour faire le buzz et devenir « célèbres ». Vu le tollé qui a suivi ses déclarations, on peut dire qu’elle a atteint son but, mais à quel prix?

De toute évidence, le champ de vision de Stella Kamnga et de ses commanditaires ne va pas au-delà du bout de leur nez, ce qui les amène à faire des extrapolations, des généralisations simplistes des cas marginaux, dans des visions partielles et partiales sujettes à de regrettables erreurs d’appréciation. Pour leur gouverne, il y a lieu de rappeler que l’argent transféré en Afrique n’est pas un cadeau offert par la France aux expéditeurs, mais le fruit du labeur de ces derniers, gagné à la sueur de leur front. Ils peuvent donc en disposer comme bon leur semble. Par leur travail, y compris au noir, ces immigrés consomment des produits français, s’acquittent de leurs impôts et taxes en France, contribuent valablement au bon fonctionnement et au développement de leur pays d’accueil. La proposition de limiter les transferts d’argent des immigrés dans leur pays d’origine est, de ce fait, absurde, inepte, et ne résout aucunement le problème de fond de l’immigration.

L’émi-immigration est la conséquence directe du processus de paupérisation des peuples africains par les puissances occidentales et leurs alliés dans ce continent., par l’instauration des rapports économiques et politiques inégaux qui, telles des pompes aspirantes, les vident de leurs ressources minières, financières et humaines. Pour résoudre le problème de l’immigration, il faudrait s’attaquer à ses véritables causes, au lieu de s’acharner sur ses effets et conséquences. Il faudrait abandonner les solutions hypocrites et contre-productives telles que le mécanisme Frontex, le refoulement des migrants hors des frontières de l’Europe ; renoncer aux actions destructrices telles le financement des conflits en Afrique, le soutien aux dictatures liberticides et aux propositions   farfelues telles que la limitation des transferts d’argent vers les pays d’Afrique. La meilleure solution serait d’instaurer des rapports égalitaires, équitables, soucieux du bien-être des populations, en leur garantissant le minimum pour vivre décemment, en matière de santé, d’emplois, d’éducation, de sécurité, d’infrastructures diverses, tout ceci dans le respect mutuel, sans condescendance ni mépris.

L’entreprise de disqualification du noir n’a jamais cessé depuis le temps de l’esclavage, elle a seulement changé de forme. Les maîtres d’aujourd’hui utilisent désormais les noirs eux-mêmes, des « cheval de Troie » qu’ils formatent, éduquent, en font leurs porte-paroles à qui ils tendent complaisamment le micro pour imposer leurs idées, leurs valeurs leurs comportements auprès de leurs frères noirs. Stella Kamnga et les personnes de même acabit font l’objet d’un lavage de cerveau, et dans leur rôle de perroquet de service, ils récitent fidèlement la leçon apprise auprès de leur maître. Ils jouent au nègre de service pour obtenir l’approbation ou la reconnaissance du maître, tout comme un chien qui rapporte la balle ou le bâton jeté par son maître, un singe qui fait sa plus belle grimace ou sa meilleure cabriole pour faire plaisir au maître et quêter une caresse.

Malheureusement les maîtres d’aujourd’hui, tout comme leurs porte-paroles et leurs complices ne se rendent pas compte que les choses sont en train d’évoluer, qu’un changement de mentalités est en train de s’installer peu à peu chez les africains ; que la jeunesse africaine informée, éduquée, compétente et décomplexée est en train de prendre conscience de sa triste condition. Cette dernière condamne et rejette de plus en plus les rapports inégalitaires dans lesquels leurs pays sont les grands perdants aux niveaux social, économique et politique. L’attitude méprisante, paternaliste et condescendante de leurs partenaires occidentaux est la raison de leur hostilité croissante vis-à-vis de ces derniers. Cette jeunesse africaine ne demande qu’à être traitée avec plus d’égards, d’égal à égal, sans préjugés réducteurs, dans des partenariats véritablement gagnant/gagnants pour tous.

 

Caroline Meva

Écrivaine camerounaise