[Tribune] Les locales : élections de tous les « en-jeux » (par Momar-Sokhna DIOP)

SENtract – Le 23 janvier 2022, se dérouleront, au Sénégal, les élections des maires et de leurs équipes : les conseillers municipaux. Il s’agit d’une échéance très attendue. Selon les experts en politique, elles permettront aux populations de renouveler  leur confiance aux élus sortants ou de donner à d’autres candidats leur chance. Pour le régime actuel, les élections locales constituent l’occasion de mesurer sa cote de popularité et de mieux préparer les élections présidentielles de 2024, échéance de tous les dangers. L’enjeu pour le régime actuel est de savoir si les Sénégalais apprécient ou non sa gouvernance vigoureusement décriée par l’opposition qui ne cesse de clamer qu’elle n’est ni sobre ni vertueuse.

 

En tous les cas, nous constatons que les postes de maire sont de plus en plus sollicités par des candidats de tous les âges, de tous les sexes et catégories socioprofessionnelles. La compétition que génèrent les élections locales provoque  des violences politiques qui inquiètent et qui mettent en dangers non seulement la sécurité physique des candidats mais également celle des populations. Mais pourquoi un tel engouement à briguer un poste d’élu local ?

Normalement, les candidats ne devraient être motivés que par le service public. « Servir au lieu de se servir » devrait être la seule motivation des actuels ou potentiels candidats. Mais nous constatons que le poste intéresse de plus en plus les professionnels de la politique dont le  principal objectif est de s’enrichir des deniers locaux. Il s’agit  également de se servir des locales pour espérer bénéficier de promotion vers des postes politiques plus importants et plus juteux gérés par le pouvoir central. Ce calcul pollue l’offre politique, favorise la transhumance, l’inflation des candidatures et des investitures douteuses.

C’est pour dire que l’élection municipale reste encore, en majorité une élection politique et non une élection pour impulser le développement des localités. L’éthique de la responsabilité continue de laisser la place à l’intérêt stricto-personnel.

En effet, le mal du système politique sénégalais est l’électoralisme qui vectorise l’action publique vers des échéances électives toujours redondantes. Ces échéances ne mènent pas à des alternatives bénéfiques, mais plutôt à des changements du pire qui font regretter les élus  antérieurs. C’est ce qui se passe actuellement lorsque les Sénégalais regrettent le régime d’Abdoulaye Wade qui a comptabilisé les plus gros scandales financiers que le Sénégal n’ait jamais connus. C’est le régime de l’alternance de mars 2000 qui inoculé, au Sénégal, le virus du pillage des deniers publics.

Aujourd’hui, le Sénégal est en crise d’exemplarité et ce sont les politiciens qui ont instauré cette inversion négative des espérances collectives.

Dans ces conditions, l’émergence nationale et en particulier celle des localités devient problématique. Elle est incarnée par des personnes qui privilégient les slogans au lieu de rendre l’homme politique meilleur pour porter la vraie émergence axée sur l’organisation, la justice, le sens de l’intérêt général, la souveraineté locale, l’éthique de la responsabilité, le primat du développement et la fin du politicien.

Est-ce raisonnable de parler d’émergence locale avec des élus locaux qui n’ont pas été formés en amont aux métiers de gestion des collectivités locales ? La compétence est quand même indispensable pour réaliser de manière efficiente les missions municipales.

Comment gérer des collectivités avec des élus qui ne sont jamais sur le terrain local et qui une fois élus rangent aux oubliettes leurs promesses électorales ?

Comment développer des collectivités avec une économie locale qui offre peu d’emplois et alors que les nouvelles générations ne sont pas correctement formées pour occuper certains de ceux existants ?

Comment atteindre l’émergence lorsque la gouvernance locale n’est ni sobre ni vertueuse et que la corruption, le bradage du foncier continuent d’être organisés et entretenus par certains élus et leurs complices ?

Comment mobiliser de la fiscalité locales au moment où toutes les ressources , qui doivent servir à assurer le bien-être des populations, sont mal utilisées, gaspillées ou pillées par une minorité d’élus privilégiés qui n’ont qu’un objectif : consolider leurs pouvoirs, leurs avoirs et leurs conforts personnels ?

Comment développer les localités alors que le pouvoir central ne respecte pas les règles de transfert réel de compétences et de ressources prévues par l’acte 3 de la décentralisation ?

Comment parler de développement local avec des maires qui ne sont élus que pour exécuter les ordres d’autorités qui, souvent  ont organisé leur accès au pouvoir grâce à l’argent public utilisé pour acheter de la clientèle électorale ?

En effet, nous sommes loin des pratiques exemplaires du passé où, lorsqu’on demandait à quelqu’un d’être le porteur de l’intérêt général, il se tournait toujours vers l’assemblée pour en désigner un autre. C’était souvent par supplication collective qu’il finissait par céder. Et lorsqu’en cours d’exercice de sa charge, l’élu se rendait compte que les moyens alloués au départ n’étaient pas suffisants pour atteindre l’objectif assigné, il vendait alors son bétail ou tout autre bien personnel pour honorer la confiance que le groupe avait placée en lui.

Transposés aux temps présents, ces principes délégataires de la responsabilité collective ne trouvent plus de répondant ni dans le mode de désignation du chef, ni dans l’exercice de la fonction élective ni même dans le comportement de l’élu pour reprendre l’analyse de Babacar Sall.

En tous les cas, nous citoyens de la société civile, devons rester vigilants et veiller à ce que les personnes qui auront notre confiance respectent leur engagements et promesses électorales. Afin d’y parvenir, nous devons continuer à contrôler les actions des élus, à exiger plus de transparence mais aussi à leur tendre la main en tant que partenaire capable de mobiliser des ressources nécessaires à la mise en place d’infrastructures collectives. Il s’agit de se donner la main pour construire, ensembles, les collectivités locales qui restent encore les seules espaces où l’espoir de vivre ensemble et mieux reste permis.

C’est un constat que j’ai établi dans mon ouvrage intitulé « Sénégal, diagnostic d’un pays candidat à l’émergence ». En effet, malgré la situation difficile dans laquelle il se trouve actuellement, le Sénégal garde donc toutes les chances d’aller mieux. Ses handicaps sont identifiés. Le Sénégal n’est pas un pays pauvre. Il est stable et dispose de ressources sur lesquelles ses populations pourraient s’appuyer pour construire un projet de société viable. En revanche, pour atteindre ces objectifs, la marche sera  difficile car le pays en profondément affecté par de mauvaises pratiques qui seront difficiles à éradiquer.

En ce qui concerne les élections locales, l’«en-jeux » est de mobiliser les meilleurs candidats  pour piloter les localités ?

 

Momar-Sokhna DIOP

Professeur d’économie-gestion et écrivain

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