[Tribune] CRISE AU MALI : L’HEGEMONIE OCCIDENTALE FACE A L’AFRIQUE DES PEUPLES (par Caroline Meva)

SENtract – Les sanctions de la CEDEAO contre le Mali sont tombées comme un coup de massue, à l’issue du sommet extraordinaire des chefs d’Etat qui s’est tenu le dimanche 09 janvier 2022 à Accra au Ghana. Le Mali est mis sous embargo par les mesures suivantes, jugées illégales et illégitimes par les autorités de Bamako : fermeture des frontières avec les pays membres de la CEDEAO ; gel des avoirs et suspension des aides financières par la BCEAO et l’UMOA ; retrait des ambassadeurs des pays de la CEDEAO ; suspension des échanges commerciaux, hormis les produits pharmaceutiques. Le Mali est un pays en proie à des difficultés économiques, politiques et sécuritaires énormes ; une telle sanction n’est ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre et une condamnation à mort. 

 

    A la suite des Assises Nationales de la Refondation, qui ont donné comme préalable aux élections, la sécurisation du territoire, encore en grande partie occupé par les rebelles djihadistes, les autorités de la transition malienne, ont préconisé le renvoi des élections dans cinq ans à peu près, et non pas et non pas en février 2022 comme exigé par la CEDEAO. Mais cette dernière a balayé d’un revers de main cette proposition et choisi la manière forte pour faire plier le Mali. La gravité des mesures adoptées contre ce pays s’apparente à un rouleau compresseur brandi comme un chantage odieux : obéir sans conditions aux injonctions de la CEDEAO, ou périr. le but est d’isoler le Mali, d’affamer son peuple, de destabiliser la junte en retournant le mécontentement populaire contre elle. mais la manoeuvre semble être un coup d’épée dans l’eau pour deux raisons : d’une part les appuis extérieurs d’envergure dont bénéficie le Mali, d’autre part la volonté et la détermination de la jeunesse Malienne, les fameux Yéréwolos, à soutenir la junte au pouvoir.  

    Cette situation laisse apparaître au grand jour les lignes de fracture entre deux  groupes d’intérêt qui s’affrontent sur le sol malien : le bloc ccidental et le bloc de l’est. Le bloc occidental est dirigé par les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie, etc. soutenus par l’Union Européenne, la Banque Mondiale, l’OTAN, Le Fonds Monétaire International, ainsi que les Etats et institutions connexes acquis à leur cause, telles que la CEDEAO, les banques centrales africaines, l’Union Africaine, etc. Le bloc de l’est comprend les pays vomis et combattus par le bloc occidental, dont la plupart sont réunis au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), à savoir la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie, l’Inde, la Corée du Nord, le Qatar, l’Algérie, la Mauritanie, la Guinée etc. Ce n’est donc pas un fait du hasard si la CEDEAO sollicite l’appui de ses alliés du bloc occidental pour l’application des sanctions contre le Mali. Le bloc occidental non seulement approuve les décisions de la CEDEAO, mais a  porté l’affaire immédiatement devant le Conseil de Sécurité. Vue la promptitude de leur réaction et leurs récriminations incessantes contre le Mali depuis l’intervention pourtant fructueuse de l’armée russe sur le terrains dans la lutte contre les terroristes, d’aucuns estiment que les dirigeants du bloc occidental, principalement la France, sont les véritables initiateurs de ces sanctions, la CEDEAO n’étant que leur fidèle exécutant.

    La crise au Mali remet sur le tapis l’éternel problème de la domination des peuples africains, qui a commencé pendant l’esclavage, s’est poursuivi lors de la colonisation et continue jusqu’à nos jours sous la forme d’une néo-colonisation qui se cache sous les oripaux de la Françafrique, entre autres. La crise malienne démontre une fois de plus que les indépendances concédées aux pays africains sont factices, puisque ceux-ci restent dominés, ne sont pas autorisés à opérer librement leurs choix politiques et socio-économiques, sans l’aval de leurs maîtres du bloc occidental, sous peine de sanctions comme celles infligées au Mali, de destitution, voire d’élimination physique. Les dirigeants du bloc occidental cooptent des personnes dociles qu’ils placent à la tête des Etats africains ; ces derniers ont pour ordre de servir prioritairement les intérêts de leurs maîtres occidentaux, au détriment de ceux de leur pays et de leur peuple. Mais seulement depuis ces dernières années, la donne a changé à cause d’un fait nouveau : le soutien apporté par le bloc de l’est aux peuples et aux Chefs d’Etat africains qui veulent se libérer du joug de l’hégémonie occidentale. Une nouvelle configuration géopolitique du monde basée sur le respect mutuel et des rapports gagnant/gagnant plus équitables entre Etats, est en train de voir le jour. Le modèle hégémonique du bloc occidental prend de l’eau de toutes parts et menace de s’effondrer en Afrique. 

    L’hégémonie occidentale, celle du gouvernement transnational du monde utra-libéral, a ceci de particulier qu’elle s’appuie sur le pillage sauvage des ressources des pays africains, et sur des rapports économiques et politiques inégalitaires. Les anciennes colonies françaises réunies au sein de la Françafrique paient le plus lourd tribu de ce système prédateur et destructeur : la misère reste endémique au sein des populations plus de 60 ans après les indépendances factices, avec un endettement colossal à travers des prêts et des « aides au développement », assortis de taux d’intérêt  et de pénalités pour retards de remboursement rédhibitoires, qui constituent un moyen de pression visant à garder ces pays sous dépendance, tout en les paupérisant davantage. 5 des 14 pays de la Françafrique sont classés au peloton de tête des Etats les plus pauvres d’Afrique, à savoir, le Centrafrique, le Burundi, la RDC, le Niger et le Togo. Ces derniers, paradoxalement, possèdent d’immenses richesses minières, lesquelles sont exploitées au profit des sociétés multinationales du bloc occidental et de leurs associés locaux, au détriment des États et de leurs populations. La monnaie, en l’occurrence le franc CFA, qui est un levier économique important, reste contrôlée par le Trésor français. L’arrogance, la menace, le chantage, le discours paternaliste de la France vis-à-vis de ses partenaires africains sont de moins en moins tolérés au sein de la jeunesse africaine. 

 

L’Afrique d’aujourd’hui est différente de celle d’hier, la jeunesse africaine, qui constitue les 3/4 de la population au-dessous de 40 ans, ont une autre vision du monde ; le taux de scolarisation est plus élevé ; grâce aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment Internet et des réseaux sociaux, elles ont accès au monde entier en un clic, et sont mieux informées de tout ce qui s’y passe. Grâce à la mondialisation, à l’émigration, les Africains sont plus ouverts et mieux intégrés au reste du monde, dans les milieux estudiantins, culturels et professionnels ; ils sont décomplexés, aussi performants et compétents que leurs camarades ou collègues occidentaux, à qui ils ne se sentent pas inférieurs, contrairement à leurs parents et grands-parents des années 1960.

 

    les sanctions infligées au mali sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase déjà plein du ressentiment de la jeunesse africaine vis-à-vis du larbinisme de leurs dirigeants face au bloc occidental. ils se sentent de plus en plus révoltés de devoir payer les pots cassés, d’être les laissés-pour-compte de ce système. De même, ces peuples africains d’aujourd’hui supportent mal le limogeage systématique ou l’assassinat de leurs leaders, dont le seul tort est de se battre pour la libération réelle, le développement et le bien-être de l’Afrique, tels que les héros des indépendances, Thomas Sankara, Mouammar Kadhafi, Laurent Gbagbo, pour ne citer que ceux-là.

    Ce qui se passe au mali, concerne étroitement tous les pays africains dominés par le bloc occidental ; les peuples africains sont conscients qu’ils tiennent là, une chance inouïe de se libérer enfin du joug de l’impérialisme occidental, de pouvoir profiter enfin de leurs richesses, de choisir librement leurs partenaires, se libérer du poids d’une dette qui est utilisée contre eux comme moyen de chantage pour les garder éternellement sous la domination occidentale. il en a été du Centrafrique hier, que du Mali aujourd’hui. l’enjeu du combat malien pour son indépendance est capital pour tous les peuples africains. Si le bloc occidental perd cette manche au Mali, cette déconvenue pourrait précipiter la chute de l’édifice de leur impérialisme séculaire, déjà lézardé, et tous les autres pays dominés n’attendent que l’élargissement de cette brèche pour s’y engouffrer. le monde semble à l’aube d’un basculement historique des équilibres géopolitiques en faveur le bloc de l’est. Le bloc occidental paie ainsi des décennies d’une hégémonie prédatrice, inhumaine et destructrice sur l’Afrique des peuples. 

Caroline Meva

Ecrivaine