Émeutes du 16 février 1994 : Il y a 28 ans, Dakar à feu et à sang, 6 policiers massacrés 

SENtract / Par Mohamed Bachir DIOP (Le Témoin) – Les événements du 16 février 1994 sont inoubliables pour ceux qui, ce jour-là, avaient été témoins des faits et aussi pour ceux à qui ils ont été racontés. Une foule immense, en provenance d’un meeting de l’opposition présidé par l’opposant Abdoulaye Wade, avait investi la rue avec l’intention de «marcher jusqu’au Palais». Face à des policiers qui voulaient les en empêcher, les manifestants déchaînés se sont attaqués à eux. Les échauffourées, extrêmement violentes, donneront lieu à la mort de six policiers parmi lesquels certains découpés à la machette, les autres quasiment brûlés vifs dans leur car qui n’avait pu démarrer et se mettre à l’abri du fait d’une panne. Ce mercredi 16 février 2022, 28 ans après les faits, nul doute que les policiers, en activité ou à la retraite, vont se souvenir de cette horrible journée.

 

Aux Allées du Centenaire, le meeting qui avait été initié par la Coordination des forces démocratiques (CFD) qui regroupait la plupart des partis de l’opposition de l’époque et quelques organisations de la société civile avait été le détonateur des événements. Face aux discours incendiaires d’un Landing Savané, d’un Diop Decroix et d’un Abdoulaye Wade très en verve, la foule était en délire. Parmi les participants, des membres du mouvement «Moustarchidine wal moustarchidati» étaient fortement présents car leur leader, Moustapha Sy, était emprisonné suite à des propos qu’il avait tenus lors d’un meeting public du Pds à Thiès le 23 octobre 1993. Le marabout avait été arrêté le 30 octobre 1993 pour avoir déclaré lors de ce meeting thiessois que notre pays connaissait «trois crises : une crise d’autorité, une crise de compétence et une crise de confiance».

Ces propos n’avaient pas eu l’heur de plaire au président Abdou Diouf et c’est ainsi que Moustapha Sy avait été arrêté et conduit au parquet puis devant le juge d’instruction qui, sur demande du procureur de la République, avait ordonné son incarcération à la prison centrale de Dakar en vertu de l’article 80 du code de procédure pénale.

Aussi, la présence des «Moustarchidines» aux côtés de l’opposition d’alors lors du fameux meeting du 16 février 1996 à ce qui s’appelait Allées du centenaire à l’époque s’expliquait par leur volonté de manifester pour faire libérer leur guide. Enflammée par les discours guerriers des leaders, la foule exigea de marcher aussitôt encouragée quelque peu par Me Abdoulaye Wade qui leur donna son feu-vert de façon implicite : «Vous voulez marcher ? Eh bien faites-le donc, marchez si c’est ce que vous voulez, ce n’est pas interdit par la Constitution!».

Comme un seul homme, la foule se dirigea alors vers le siège de la Rts où attendait la police avec fermeté. Mais les chefs des services de sécurité avaient minimisé l’ampleur des événements puisque la police n’avait déployé que quelques dizaines de policiers seulement armés de grenades lacrymogènes.

Surpris par le déferlement de manifestants, les policiers présents sur les Allées du Centenaire tentent de se replier. À l’époque reporter du Témoin, Ibrahima Ndoye, aujourd’hui ministre conseiller du président de la République, présent lors des événements assiste, horrifié, au massacre sanglant d’un policier. Le pauvre ne parvient pas à rejoindre le car stationné aux alentours de la Rts, il sera rattrapé par les manifestants sur les grilles de la BHS et découpé à la machette, bras et jambes coupés. Quant à ceux qui se sont réfugiés dans le car, ils ont été quasiment brûlés vifs ou morts par asphyxie car le véhicule n’avait pu démarrer à cause d’une inopportune panne. De carburant, prétendront certains.

Pourtant, selon des informations de première main, le ministère de l’Intérieur avait été prévenu par les RG (Renseignements généraux) d’une forte possibilité d’émeutes ce jour-là car, deux jours plus tôt, lors d’une réunion des Moustarchidines, cette occurrence avait été évoquée et certains membres du mouvement avaient décidé de dissimuler des machettes par devers eux pour le cas où…

Les prévisions alarmistes des RG n’avaient pas été exploitées par les autorités du ministère de l’Intérieur pour prendre les mesures idoines, c’est-à-dire déployer suffisamment de policiers lourdement armés dans les environs du lieu du meeting. La faiblesse du dispositif des forces de l’ordre sur place explique le laxisme de leur intervention et, donc, le massacre de six des leurs. Gouverner, c’est prévoir dit-on, mais ce jour-là le ministère de l’Intérieur a failli.

En tout cas, la répression des auteurs du massacre des six « bérets rouges » n’allait pas tarder. Plus de 150 membres du mouvement des Moustarchidines seront arrêtés, de même que des membres des partis d’opposition qui vont rejoindre leurs leaders en prison. Les Moustarchidines et Moustarchidates seront incarcérés dans les prisons de Dakar et Rufisque où ils vont rester des mois avant de bénéficier d’un non-lieu. L’un d’eux, d’ailleurs, succombera dans les locaux de la police, fort probablement parce qu’il aura été victime de tortures qui lui seront fatales. Il s’agit du dénommé Lamine Samb, membre de la section de Niarry Taly à Dakar.

Dès le lendemain des événements, le ministre de l’Intérieur, à l’époque M. Djibo Kâ, annonce par arrêté n°001123 du 17 février 1994 l’interdiction sur l’étendue du territoire national de toute activité du mouvement «Dahiratoul Moustarchidina Wal Moustarchidati». Il prévient également que toute infraction à cette disposition sera poursuivie et punie conformément à la loi.

Parmi les Moustarchidines, beaucoup sont revenus sur les conditions de leur arrestation. Un certain Mouhamadou Mocoly, peut-être un pseudo, a ainsi déclaré à l’époque ce qui suit : «Je suis arrivé au Commissariat central le 19 février à 10h30. Les policiers m’ont mis des menottes après m’avoir déshabillé. Ils étaient cinq, en civil, et se mirent à m’insulter et à m’accuser du meurtre de leurs collègues. Comme je niais les faits, ils reçurent l’ordre de me frapper. Durant 25 minutes les coups de matraque pleuvaient. Un balayage du pied me mit à terre. Du diluant me fut ensuite versé sur le sexe et les coups continuèrent de plus belle. En tant que reproducteur à la Nationale d’Assurance, ils me forcèrent à dactylographier mon propre procès-verbal. Ils me forcèrent également à rompre mon jeûne».

Naturellement les Moustarchidines n’oublieront jamais ces événements puisqu’ils seront pourchassés, traqués et leur mouvement interdit de toute activité. Cela affectera durablement leur cohésion car nombre d’entre eux vont démissionner du Dahira et, depuis cette date d’ailleurs, ils sont regardés en coin par nombre de Sénégalais qui les considèrent comme des dangers potentiels.