– Par Ousseynou Nar Gueye- *
[Publié une première fois le 7 février 2022, avec le titre « Mali-France: la corde à coup sûr bientôt rompue« ].
SENtract – Le Mali a mal à sa France. Mais, tout est bel et bien de la faute du régime kaki de Bamako dirigé par le taciturne Assimi Goïta et de son chef de gouvernement aux accents castristes, Choguel Maïga. Depuis des mois, le Mali nie avoir recours aux services stipendiés des mercenaires russes de Wagner. C’est une dénégation qui défie l’évidence.
Car, si la France, les USA encore récemment, l’Union européenne, dans un beau chorus, affirment mordicus que les voltigeurs de Wagner sont sur le sol malien, c’est bien parce que leurs moyens de renseignements leur donnent la capacité de le savoir. Les mêmes moyens de renseignements qu’ils mettent au service de la lutte antidjihadiste dans ce pays, avec force drones et images satellitaires. Les bras musclés Wagner, qui ne font pas du Mozart, ni dans le velours, auront donc été le nœud gordien entre l’Élysée, le Quai d’Orsay et le ministère français de la Défense d’un côté, et un pouvoir malien prompt à la bronca supposément anti-impérialiste.
A partir du moment où l’imperium malien a cru bon de confier une fonction régalienne et de souveraineté à une milice privée, fût-elle étrangère et parrainée par la grande puissance qu’est la Russie, Paris s’est estimé autorisé, à juste titre, à nier de plus en plus publiquement toute légitimité républicaine aux dirigeants maliens. Macron le premier a traité le régime d’illégitime. Le ministre des Affaires étrangères français le Drian s’est mis dans le même Sillon, de même que la ministre française des Armées Florence Parly. Tapant plusieurs fois dans le même clou, depuis plusieurs mois. Ce qui a suscité force réactions outrées sur les bords du fleuve Djoliba. Le problème, quand on est accusé d’illégitimité, c’est qu’on fait la course à la surenchère. Choguel Maïga, à la tribune de l’Assemblée générale des nations-Unies, et entre autres fourriers, le pourtant très policé Abdoulaye Diop, ministre des Affaires étrangères, ont protesté de leur dignité bafouée de dirigeants et de celle du peuple malien piétinée.
Dans cette course à l’échalote sur une pente raide, le point de non-retour est désormais atteint, avec l’expulsion de Bamako de l’ambassadeur français, dont Paris a vite dit qu’il l’a « rappelé » . Paris a aussi réagi en indiquant qu’il continuerait à ‘‘œuvrer pour la stabilité et le développement du Sahel’’. Cherchez l’absent le plus présent dans cette phrase, qui est le Mali, éléphant dans la pièce que Paris ne veut plus nommer. Car il faut bien qu’il y a un adulte dans cette sainte querelle. Il ne fait pas grand doute, à mon sens, que Paris retirera la force Barkhane du Mali, ne voulant pas « rester à tout prix » dans ce pays. Ce retrait devrait vraisemblablement intervenir en cas de réélection en avril prochain d’Emmanuel Macron comme président de la France. Le prix du sang versé par la cinquantaine de soldats français déjà tués au mali, tout comme les forces européennes de Takuba, ne peuvent décemment cohabiter avec Wagner. Cela, les opinions publiques occidentales ne le tolèreront pas. Au contraire de François Hollande qui a affirmé ingénument que l’intervention française au Mali avait été ‘‘le plus grand jour de sa vie’’, Macron n’est embarqué dans l’intervention au Mali qu’à son corps défendant, en enfant de la post-colonie qu’il est.
Il avait déjà sommé les présidents du Sahel de venir à son sommet de Pau comme à Canossa, confirmer qu’ils étaient bien demandeurs de la présence militaire française dans leurs pays respectifs. Le Mali ne peut pas prêcher pour la paix dans ses relations avec ses souteneurs pour le retour de la paix civile sur son territoire, et poser de tels actes de défiance que ceux vus récemment. Ils contreviennent aux plus basiques des règles de courtoisie diplomatique. Les opinions publiques du Sahel, notamment au Mali et au Burkina, sont dans la contestation montante de la présence militaire française dans leurs pays, faute de résultat probant dans la lutte contre le djihadisme. Cela conduit à l’irruption dans les palais présidentiels de ces pays de militaires, qui font de l’Anti-France leur fonds de commerce pour faire écho aux clameurs populaires. Mais à cette aune, on se met doublement au ban de la communauté des démocraties : comme putschistes d’abord, en tant que pouvoir délégitimé ensuite. Bamako signifie ‘‘la mare aux crocodiles’’. On ne sait qui, du pouvoir malien, de l’Élysée ou du parrain de Wagner qu’est Poutine, verse en ce moment des larmes de crocodile sur le sort du peuple malien, qui n’a plus un État digne de ce nom.
*Éditorialiste sénégalais, fondateur du site d’information Sentract