SENtract – Les similitudes entre les deux hommes ne manquent pas. Quadragénaires – l’un est né en 1974, l’autre en 1975 – et opposants déterminés au régime de Macky Sall, chacun vient d’être élu maire dans un bastion important lors des locales du 23 janvier : à Ziguinchor, en Casamance, pour Ousmane Sonko ; à Dakar pour Barthélémy Dias.
Mais entre ces deux-là, qui ont uni leurs forces au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), les comparaisons vont plus loin. Chacun vit en effet avec, suspendue au-dessus de la tête, une épée de Damoclès judiciaire susceptible de contrarier une trajectoire politique jusque-là prometteuse.
Coups de feu et accusation de viols
Le 2 mars, à peine investi dans ses nouvelles fonctions, le maire de Dakar devra comparaître devant la cour d’appel de la capitale. L’affaire est ancienne mais les faits sont sérieux. Le 22 décembre 2011, à la veille de la désignation d’Abdoulaye Wade par le Parti démocratique sénégalais (PDS) pour être candidat à un troisième mandat, un attroupement de militants de son parti se forme devant la mairie de Mermoz-Sacré-Cœur, à Dakar, que Barthélémy Dias occupe depuis 2009 – des « nervis » recrutés pour l’impressionner car il s’opposait alors au mandat de trop du président sortant, affirmera-t-il.
En pleine journée, devant les caméras et sous les yeux des journalistes, l’édile d’arrondissement, une arme à feu dans chaque main, tire à plusieurs reprises vers les hommes stationnés à une centaine de mètres de là, sous le regard impassible de deux policiers en tenue et d’un commissaire en civil, appelés à la rescousse.
Lors de ces échauffourées, l’un des partisans du PDS, Ndiaga Diouf, trouvera la mort. Barthélémy Dias, lui, est alors placé en détention provisoire pendant près de six mois. Lorsque son procès se tient, en avril 2018, impossible de démontrer que la balle meurtrière provient d’une de ses armes – dont l’une est factice. Mais « Barth’ », comme on le surnomme, est condamné à une peine de six mois de prison, couverte par sa détention provisoire. Une condamnation qu’il conteste et qui l’a conduit à faire appel.
Ousmane Sonko [qui n’a pas souhaité s’exprimer dans le cadre de cet article] a, lui aussi, maille à partir avec la justice. Depuis mars 2021, il est inculpé et placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d’une accusation de viols portée par une jeune Sénégalaise qui officiait dans un salon de massages où il avait ses habitudes en raison de douleurs persistantes aux lombaires. D’après le témoignage d’Adji Sarr, lui aussi aurait porté sous sa veste deux armes, qu’il déposait ostensiblement sur une table avant de recevoir un massage.
Depuis un an, l’instruction stagne. Et aucune confrontation n’a encore eu lieu entre les deux principaux protagonistes. Mais si la procédure devait déboucher sur un procès, qui peut préjuger des répercussions politiques qui pourraient s’ensuivre ?
Des dossiers à risque… pour l’exécutif
« Macky Sall est en réalité plus embêté que Barthélémy Dias et Ousmane Sonko par les affaires judiciaires qui les visent. Car si l’un ou l’autre était condamné prochainement, on se dirait que c’est parce qu’ils ont gagné à Dakar ou Ziguinchor », assure un responsable politique de l’opposition qui connait les deux hommes. Dans la mouvance présidentielle, un ancien ministre de Macky Sall confirme ce diagnostic : « S’ils étaient empêchés d’exercer leur mandat et de concourir aux prochaines élections, cela se retournerait contre le régime. Je ne pense pas que la situation en arrivera là. »
Faut-il en déduire que la justice, dans ces dossiers sensibles, laissera du temps au temps ou s’efforcera de ne pas placer l’un ou l’autre des deux hommes dans une posture susceptible d’entraver son ascension politique ? Dans l’immédiat, invoquant ses nouvelles fonctions de maire de Ziguinchor qui l’obligeront à voyager hors du Sénégal, Ousmane Sonko vient de déposer une nouvelle demande visant à lever le contrôle judiciaire qui pèse sur lui depuis près d’un an.